Paul est un adolescent surdoué qui étudie à la fois l'électronique et la médecine. Pour preuve de son génie, il a construit de ses petites mains un robot à l'intelligence artificielle très développée qui répond au nom de B.B. (prononcez «Bibi»). Il est également amoureux de sa voisine, la jolie Samantha, qui vit avec un père alcoolique et violent. Malheureusement, Paul ne va pas avoir de chance. Non seulement B.B. va se faire exploser à coup de fusil par une vieille acariâtre, mais Samantha va périr des mains de son horrible père. C'est alors qu'il va tenter de greffer la puce de son robot dans le cerveau de feu sa bien-aimée dans l'espoir de la réanimer.
Wes Craven est un grand nom du fantastique, un «maître de l'horreur» dont la réputation s'imposa grâce à de spectaculaires réussites (artistiques et/ou financières) comme LA COLLINE A DES YEUX, LES GRIFFES DE LA NUIT et son célèbre croquemitaine Freddy Kruger, L'EMPRISE DES TENEBRES, LE SOUS-SOL DE LA PEUR ou encore SCREAM. Malheureusement, entre les titres de gloire s'immiscent des œuvres bien moins flatteuses. Pour se justifier d'une carrière si inégale, Craven sort invariablement l'excuse de producteurs peu scrupuleux saccageant son travail. L'AMIE MORTELLE, l'un de ses opus les plus confidentiels, nous livre clairement les clefs de l'un de ses plus beaux ratages.
Tatoué par le fantastique dès le début de sa carrière, Wes Craven ne rêve que d'échapper au genre dans lequel il s'est plus ou moins volontairement enfermé. L'énorme succès des GRIFFES DE LA NUIT en 1984 fait tourner son nom à Hollywood. Après avoir torché rapidement une séquelle pénible à LA COLLINE A DES YEUX, Craven est alors approché par une Major pour mettre en scène son prochain film, L'AMIE MORTELLE en 1986. Le metteur en scène y voit l'occasion d'entrer (enfin) dans la cour des grands et de signer un film certes fantastique mais loin des ficelles horrifiques sur lesquelles il a pourtant battit sa réputation. Ce qui n'est pas du tout le désir de la Warner Bros. Si cette dernière a débauché un réalisateur de film d'horreur, c'est bel et bien pour surfer sur la vague initiée par LES GRIFFES DE LA NUIT et pas autre chose.
Basé sur la nouvelle Friend écrite par Diana Henstell (retitrée Deadly Friend suite au film), L'AMIE MORTELLE est énième variation du mythe de Frankenstein saupoudrée de romance adolescente. Dans le rôle principal, nous retrouvons le petit Albert de LA PETITE MAISON DANS LA PRAIRIE, Matthew Laborteaux. Quant à Samantha, elle est interprétée par la jolie Kristy Swanson, celle qui fut la première Buffy ! Car avant de devenir une série télévisuelle à succès, BUFFY THE VAMPIRE SLAYER était à l'origine une petite série B avec Rutger Hauer, Donald Sutherland, Paul Reubens alias Pee-Wee, Hilary Swank ou encore Luke Perry. A noter que le scénario est signé d'un certain Bruce Joel Rubin, qui figure aux génériques de BRAINSTORM de Douglas Trumbull, GHOST de Jerry Zucker et surtout L'ECHELLE DE JACOB d'Adrian Lyne.
Dans le milieu des années 80, le thème du robot et de l'intelligence artificielle était alors dans l'air du temps, comme en témoigne le succès de SHORT CIRCUIT sorti la même année que L'AMIE MORTELLE. L'avancée laborieuse de la robotique étant régulièrement au cœur de l'actualité, l'histoire du film de Craven fait aujourd'hui immédiatement sourire. L'ado, certes surdoué, qui bricole dans sa chambre un robot ultra perfectionné pour ensuite greffer une puce dans le cerveau de sa copine défunte, il n'y avait que les 80's pour oser nous pondre ça. Pourtant, si L'AMIE MORTELLE est un ratage, ce n'est pas tant pour son parti pris naïf et obsolète.
Dans la lutte et l'incompréhension qui opposa Craven et ses producteurs, de multiples aberrations vont naître à l'intérieur du film. Alors que le metteur en scène pense être aux commandes d'un film posé et qu'il tente de soigner ses personnages, de nombreuses scènes gores lui sont imposées pour relever la sauce. Totalement gratuites, elles apparaissent la plupart du temps sous forme de séquences de rêves bâclées, ou bien viennent s'intégrer aux forceps pour de grands moments d'hilarités (comme cette décapitation à coup de ballon de basket, qui fera rire tous les nuls en sport qui se seront déjà pris un ballon en pleine poire à l'école).
L'AMIE MORTELLE suit donc de manière schizophrénique le périple de la jolie Samantha réanimée, et bien évidemment décidée à se venger de son père tyrannique mais aussi de la vieille bougresse qui a chevrotiné B.B. (car notre robot est un petit nerveux, comme nous le démontre la séquence pré-générique). La plupart des clichés sont au rendez-vous, comme la bande de voyou de l'école qui martyrise notre petit génie et qui en prendra pour son grade le moment venu. Détail complètement incongru, Samantha bouge comme-ci elle avait elle-même un corps artificiel : ses mains forment des pinces, la partie supérieure et inférieure de son corps ne sont pas synchro dans les virages, et surtout Samantha voit «pixélisé» comme un robot alors que ses yeux sont bien humains. Pour enfoncer la gaudriole, la bande sonore est caviardée de voix caverneuses susurrants «Bibiiii !» a chacune des apparitions de Samantha.
L'AMIE MORTELLE est donc ce que l'on peut appeler un indéfendable ! Et ce n'est pas la fulgurante absurdité du final (imposé là encore par des producteurs n'y connaissant vraiment rien) qui risque d'arrondir les angles. Pourtant, le spectacle n'est paradoxalement pas désagréable, et les nombreuses embardées dans le n'importe quoi donnent finalement une espèce de personnalité, certes branque, au film, qui aurait risqué de souffrir d'une terrifiante platitude si Craven avait pu diriger le film plus classique qu'il souhaitait pourtant. Ce dernier réalisera enfin son souhait de sortir du fantastique en signant le lénifiant LA MUSIQUE DE MON CŒUR en 1999, grâce au succès des SCREAM. Cette embardée hors du cinéma fantastique ne mènera finalement qu'à tourner des hurlements supplémentaires. Et il connaîtra à nouveau une expérience très malheureuse de production chaotique avec le pathétique CURSED en 2005.
L'AMIE MORTELLE était jusqu'à maintenant inédit en DVD, si l'on excepte un bootleg qui zonait dans quelques recoins du net. Une édition américaine est censée voir le jour sans que l'on n'ait de nouvelles concrètes. Ce qui revient à dire que le disque français est pour l'instant le seul et unique moyen de revoir le film en DVD. L'image, si elle respecte le format original du film, n'est pas anamorphosée et donc ne dispose pas de l'option 16/9. En revanche, la copie est d'une propreté et d'une qualité très satisfaisante. Toutefois, le contraste est assez timide (les noirs sont gris) et la compression est assez visible (voir les petits carrés qui apparaissent sur le générique de fin pourtant sur fond noir). Les pistes sonores proposées sont des monos là encore clairs et efficaces. Il n'y a par contre aucun bonus mais le prix de vente est placé dès le départ assez bas (moins de dix euros).
Il est étonnant que le nom de Wes Craven n'aide pas plus ce laborieux L'AMIE MORTELLE à bénéficier d'une édition digne de ce nom. C'est, en attendant mieux, le seul moyen de se replonger dans le côté obscur de la filmographie du père de Freddy, et de se régaler (au troisième degré) des méfaits de Bibi, une tentative de nouveau croquemitaine particulièrement embarrassante.