La nature est sereine, les oiseaux chantent leur hymne à la vie et la forêt, admirative, écoute en silence lorsque soudain, le charme est rompu. Un hurlement terrifiant vient briser la quiétude des lieux. Lisa est en effet victime de six violeurs rigolards et saouls qui ne lui épargneront malheureusement rien…
Quelques années plus tard surgit alors un vengeur aux goûts vestimentaires discutables qui, munit d'un pistolet à clous, va entreprendre de punir les criminels. Mais pas seulement... L'homme au casque de moto orné d'adhésif va en réalité aller plus loin et tenter de purger le mal à sa racine. C'est dans cet esprit qu'il éliminera les violeurs potentiels, les copines des violeurs potentiels, les collègues de travail des violeurs potentiels, les auto-stoppeurs qui auraient pu rencontrer des violeurs potentiels ou encore les adeptes du pique-nique qui mangent presque à l'endroit où pourraient agir des gens qui ont déjà entendu parler d'histoires de violeurs potentiels.
Dans cet univers de sauvages, tout le monde est lié de manière plus ou moins étroite avec le viol et, par extension, personne n'est à l'abri du menuisier aliéné.
Fort heureusement, le shérif ventripotent et le toubib en marcel moulant parviendront sans aucun doute à stopper ce justicier expéditif adepte des clous et des bons mots. A moins bien sûr que ce ne soit sa propre bêtise qui le terrasse...
Suite au choc provoqué par LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven, les années 70 voient la naissance d'un genre cinématographique nouveau : Le Rape and Revenge. Régi par une trame scénaristique peu sujette à la fantaisie, le Rape and Revenge se voit systématiquement (et fort logiquement) décomposé en deux parties... Tout d'abord le viol, bien évidemment atroce, inexplicable et inexcusable, filmés de manière complaisante et crue. Plus l'acte est terrifiant à l'écran, plus il justifie l'horreur de la vengeance qui va suivre… Généralement exécutées par un proche de la victime, ou par la victime elle-même dans OEIL POUR OEIL ou CRIME A FROID, les représailles se veulent expéditives et violentes, réalisées avec l'énergie et la rage du désespoir. Par le côté brut et bestial de ce qu'il montre, le Rape and Revenge et sa dérive urbaine le vigilante-movie (VIGILANTE, UN JUSTICIER DANS LA VILLE, etc…) ne sont donc pas des genres qui prêtent à sourire, et pourtant…
En 1985, Bill Leslie et Terry Lofton décident de passer à la réalisation pour ainsi ajouter leur pierre à l'édifice : le chaînon manquant entre le Rape and Revenge et le Slasher, genre rendu célèbre par John Carpenter et son terrifiant HALLOWEEN en 1978. Bill et Terry n'ont pourtant pas l'expérience du cinéma, pas plus qu'ils n'ont le budget ou le talent du reste mais qu'importe... Ils se lancent, biens certains de prouver au reste du monde que n'importe qui peut faire du cinéma avec n'importe quoi… Et bien chers amis, vous vous trompiez gravement…
Tout commence donc par une terrifiante séquence de viol, expédiée en moins de trente secondes et offrant difficilement le temps nécessaire aux protagonistes pour simuler le tombé de braguette. L'impact est saisissant, le spectateur comprend aussitôt qu'il n'aura plus de répit et qu'il est bel et bien parti pour 82 minutes d'horreur non-stop. La mise en scène terrifiante, les faux raccords monstrueux et les jeux d'acteurs tétanisant sont autant d'éléments qui font de ce film un grand moment d'angoisse cinéphilique…
Passée donc la séquence d'introduction étrangement brève, voici déjà venu le temps de la vengeance. Elégamment vêtu d'un treillis aux couleurs du printemps, notre pathétique cloueur a jugé bon de masquer son visage derrière un casque de moto dont la visière est judicieusement décorée de ruban adhésif noir… La ressemblance avec le héros de EXTERMINATOR : LE DROIT DE TUER n'est sans doute pas fortuite mais qu'importe car l'esthétique n'est manifestement pas la priorité du vengeur. Son pécher mignon bien à lui, ce sont les phrases chocs, celles qu'il débite gaiement avant, pendant et après avoir assassiné ses victimes. D'une platitude étonnante, elles sont fort heureusement rendues inaudibles par le port du casque et l'usage d'un modulateur de fréquence de toutes évidences en fin de vie. Vous qui rêviez d'entendre Dark Vador lire une blague depuis le fond d'une grotte un soir de beuverie, vous pouvez maintenant être pleinement exhaussé, et ce à de trop multiples reprises. L'usage d'un synthétiseur semblant incontournable dans les années 80, le tueur se voit de surcroît doté d'un rire artificiel ponctuant désagréablement ses méfaits...
Si malgré cela vos zygomatiques tiennent encore bon (félicitations), vous pourrez continuer de les mettre à l'épreuve en profitant des dialogues récités mollement par les différents intervenants. Ces derniers ont du reste une forte tendance à regarder hors champ, sans doute dans le but de lire les lignes qu'ils ne sont pas parvenus à assimiler par eux-mêmes... Outre l'absence total de crédibilité, cela explique aussi pourquoi certaines répliques mettent trois secondes à arriver alors qu'elles devraient couler de manière fluide. Ne jetons cependant pas la pierre aux acteurs puisque de toutes évidences, aucun d'eux ne l'est réellement ! Seul Rocky Patterson (incarnant le médecin légiste en débardeur) semble avoir connu une «réelle» carrière. Pour le reste du casting (clairvoyant), l'expérience CARNAGE restera fort heureusement unique ou presque. Avouons toutefois que le monde du 7eme art ne s'en porte pas plus mal, bien au contraire…
La longue liste des absurdités proposées par CARNAGE ne s'arrête bien entendu pas là, loin s'en faut...
Comment ne pas rester admiratif devant ces deux amis simplets jouant à la guerre avec de véritables pistolets à clous ? Comment ne pas rester bouche bée devant cette voiture dont les amortisseurs donnent tout ce qu'ils peuvent alors que le couple de passagers n'en est encore qu'à ôter leurs vêtements ? Que penser de ce pistolet à clous produisant un bruit de fusil d'assaut ? Que dire des victimes sourdes et aveugles à ce tueur qui se déplace autour d'elles en ricanant ? Rien. On ne peut rien dire, rien penser, on se contente d'admirer.
Nous resterons tout aussi dubitatifs devant les multiples plans exhibant sans complexe les arrière-trains flasques des intervenants mâles et les poitrines blafardes des victimes féminines. Nulle justification à cela, nous sommes bien là en présence de plans fesses gratuits destinés au racolage massif. Il en va de même pour les plans gores, particulièrement mal foutus, qui offrent le strict minimum de ce que l'on pourrait légitimement espérer d'une telle entreprise. Nous aurons droit par exemple à un clou enfoncé dans le slip d'un violeur, un autre (fatal) planté dans une épaule («Certaines blessures sont mortelles» s'exclame alors le médecin légiste) et une main en papier mâché tranchée par son propriétaire maladroit. C'est bien peu et surtout, c'est bien laid.
L'amateurisme global du film ne peut donc au final pas laisser indifférent. Nous sommes bien là en présence d'une véritable perle qui n'est pas sans rappeler les films d'Herschell Gordon Lewis. Malheureusement, malgré la bonne vingtaine d'années qui sépare CARNAGE de 2000 MANIACS, force est de constater que Bill Leslie et Terry Lofton échouent lamentablement et ne parviennent à aucun moment à égaler les oeuvres de l'inventeur du gore. L'entreprise sombre donc très vite (dès le premier plan en fait) dans le comique involontaire, la triste naïveté, le mauvais goût stupéfiant et le ridicule affligeant (voir le dément bondir hors champ pour s'en convaincre). De par son caractère assez extrême dans ces différents domaines, CARNAGE s'impose directement comme une véritable référence, un film réellement unique qui supporte aisément de multiples visions masochistes, un sourire béat aux lèvres et une larme d'euphorie au coin de l'oeil.
L'éditeur Bamboo nous propose une édition DVD Zone 2 française en rapport avec la qualité du film. Jamais jaquette n'aura été aussi horrible et rarement un menu fixe aura été aussi repoussant. L'image juste passable nous est proposée dans un transfert 4/3 en plein cadre d'origine et ce contrairement à l'édition Zone 1 Collector qui proposait un recadrage artificiel et inutile en 16/9. Bon point donc pour ce DVD qui nous permet de ne rien manquer du navet. En revanche, seule la piste sonore française nous sera proposée. Etouffée, ridicule, désynchronisée, elle participe avec brio à la plongée du film dans les abîmes du nanar... L'absence totale de bonus vient bien entendu parfaire l'ensemble mais le contraire aurait été décevant. A noter que CARNAGE est aussi sorti en France grâce à l'éditeur «Film retrouvé» qui propose pour seule différence une jaquette plus réussie, plus accrocheuse et donc avec moins d'à propos.
En bref, CARNAGE c'est un peu l'enfant difforme de la famille Rape and Revenge, le rejeton dont on espérait secrètement qu'il ne verrait jamais le jour et qui pourtant parade tristement chez nos revendeurs de daubes. Tel un monstre de fête foraine, il provoquera la pitié, la tristesse mais aussi quelques éclats de rires nerveux, pathétiques... Aussi c'est à toi, amoureux d'étrons filmiques que s'adresse ce message : Munis-toi d'une paire d'euros et cours acheter l'infamie qui bien vite saura devenir l'une des pièces maîtresses de ton étrange collection...