Prague, 1891. Cinq garçons visitent le Salon des Sciences et des Techniques, émerveillés devant les nouvelles inventions. Suite à un incident qui mobilise l'attention de la foule, ils vont grimper à bord d'un dirigeable et s'envoler. Une tempête les oblige à se poser sur une île déserte où leurs découvertes vont se multiplier.
Pour son film, Karel Zeman a choisi d'adapter le roman Deux Ans de vacances de Jules Verne. Dans le livre, une quinzaine de garçons échouent sur une île inconnue après le naufrage de leur bateau et apprennent à vivre ensemble tant bien que mal. L'auteur y imprime sa patte inimitable, faite d'aventures, de tendresse et d'un regard incisif sur la nature humaine et en particulier l'enfance. Karel Zeman a su retranscrire tout cela ici, nous livrant une oeuvre fantastique dans tous les sens du terme, aussi merveilleuse que les inventions qui font rêver les visiteurs du Salon à l'aube d'un nouveau siècle.
Ce réalisateur surnommé le «Méliès Tchèque» a débuté dans les années 40 en réalisant des publicités. Pour ses premiers projets personnels, il expérimentait déjà avec son étonnant mélange d'images animées et réelles. Le jeune homme fut vite remarqué et sa passion pour le cinéma le dirigea tout naturellement vers le grand écran. Son expérience dans le domaine de la création visuelle en fit un véritable touche-à-tout dont témoignent ses réalisations au fil des années.
Pour ce DIRIGEABLE VOLE, les images animées se composent de gravures de bois contemporains dont certains éléments sont mis en mouvement. Cela crée un effet très particulier mais esthétiquement plaisant. L'imagerie naïve combinée avec les inventions futuristes qui jalonnent le film est entièrement au service du temps où se déroule l'histoire, et arrive à nous faire oublier les techniques employées. Il se dégage des images d'une poésie rare qui suscite l'émerveillement chez le spectateur, et nous renvoie directement aux découvertes marquantes de notre propre enfance.
Zeman se permet également quelques commentaires sociaux plutôt virulents, à commencer par le jugement des adultes sur les enfants. Ces derniers vivent dans un monde qui leur est propre, fait d'innocence et d'imagination où on ne mesure pas encore la portée réelle de ses actes. A leurs yeux, l'envol représente une promesse d'aventures extraordinaires et non un crime condamnable comme c'est perçu par les autorités. Le voyage est par ailleurs entrecoupé de passages concernant l'enquête en cours qui réserve son lot de surprises. D'un côté, les parents sont convoqués au tribunal et jugés sur leur éducation et mode de vie, et de l'autre, les médias sont représentés par des journalistes avides du dernier scoop ou de rédacteurs en chef débordant d'imagination.
Tout ceci n'est pas exempt d'un humour souvent enfantin. Certains passages ne sont pas sans rappeler le genre humoristique appelé «Slapstick », si prisé des américains que l'on retrouve par exemple chez Buster Keaton ou les Trois Stooges. Les scènes prêtent à sourire mais sont toutefois vite oubliées. Le vrai amusement du film provient du personnage d'un agent secret zélé et sans scrupules, absolument au fait des dernières inventions. La scène où il pénètre dans une maison en pleine vue des occupants pour subtiliser une photo sous cadre est franchement réussie, ainsi que les passages où il se sert de faux bras mécaniques pour espionner ou attacher une femme et son mari. Son chef est étrangement représenté par un squelette qui parle et qui emploie des méthodes punitives très similaires de celles du Blofeld de la série des James Bond. Ce choix qui peut paraître radical renvoie directement aux réunions du gouvernement. Nous passons à travers plusieurs voûtes fermée par des grilles avant d'arriver dans une salle neutre où les militaires se trouvent dans l'obscurité. La menace est palpable mais ces dirigeants de l'ombre n'auront pas le dernier mot pour autant.
Une pointe d'érotisme vient rehausser le tout sous forme de danseuses de cancan projetant leurs jambes en l'air en équilibre sur une plateforme maintenue dans les airs par un ballon dirigeable, ou une photo drôlement osée pour l'époque.
L'image est présentée dans un 16/9, compatible 4/3. Elle se rapproche de la perfection en ce qui concerne la copie. Les noirs sont profonds, les contrastes précis, nous faisant oublier des incrustations parfois visibles mais toujours étonnantes.
La majorité du film se déroule dans un monochrome à dominante sépia. Cela crée une ambiance nostalgique en phase avec l'époque de l'histoire. Par moments, l'image est teintée d'un magenta ou d'un bleu uniforme pour souligner des pensées ou des émotions vives. L'effet est saisissant, presque choquant, et ajoute une dimension psychologique pas forcément discernable au premier coup d'oeil. Le réalisateur nous ouvre la voie à un univers où, littéralement, tout n'est pas que noir ou blanc, tout en gardant son histoire bien ancrée dans la réalité.
Cette édition ne présente aucun choix pour la piste de son puisqu'elle est unique : en français et en mono. Cependant, le doublage est très réussi et la superbe bande originale parfaitement rendue.
Malheureusement, les Editions Montparnasse n'ont pas vu l'utilité de nous offrir quelques suppléments. Il y en aurait pourtant long à dire par un spécialiste des effets visuels ou tout simplement sur le réalisateur et son univers si personnel. A noter enfin qu'il n'existe pas beaucoup d'oeuvres de Karel Zeman qui soit accessible en DVD si l'on except le Japon. Aux Etats-Unis, nous avons THE FABULOUS WORLD OF JULES VERNE (LES AVENTURES FANTASTIQUES) toujours sans aucun bonus mais dont le disque (un DVD-R, soit dit en passant) n'est peut être pas très officiel même si on peut le trouver chez divers revendeurs américains. En France, le spectateur n'a le choix qu'entre le DVD présenté ici et un dessin animé intitulé SINDBAD qui est en fait une compilation de courts-métrages. En allemand seulement, et donc Outre-Rhin, ils ont droit à VOYAGE DANS LES TEMPS PREHISTORIQUES. Alors qu'au Japon, il sont bien plus vernis avec des versions tchèques sous-titrées en japonais de quasiment toute la filmographie du cinéaste vendus au détail ou même regroupés en coffret (LE BARON DE CRAC, L'ARCHE DE MONSIEUR SERVADAC, LE SORTILEGE DES TROIS LUTINS...).
Au final, ce film s'adresse autant aux parents qu'à leurs enfants. Les grands seront impressionnés par les prouesses techniques de l'ensemble tandis que les plus jeunes s'imagineront à bord du dirigeable, en route pour des aventures inconnues…
