Même si les préjugés finissent par tomber petit à petit, il n'en reste pas moins que se frayer un chemin dans le cinéma est certainement bien plus difficile pour une réalisatrice que pour un homme. La crédibilité d'un cinéaste n'est pourtant pas une question de «couille» et dans un certain sens Izabel Grondin n'en manque pas (au figuré). Car elle œuvre au Québec depuis de nombreuses années déjà sur un terrain qui n'aide pas forcément non plus à se forger l'image d'un cinéaste malléable ou, en tout cas, bankable ! D'ailleurs, le titre de la compilation de ses courts-métrages ne qualifie pas vraiment Izabel Grondin. Il aurait été plus juste de parler, dans le bon sens du terme, de folies «Perpétuelles» plutôt que «Passagères» puisqu'elle semble être vouée corps et âmes à faire dans l'horreur. Mais ce titre s'avère, en tout cas, parfait pour les six histoires horribles qu'elle vous aura balancer à la figure à l'issue du visionnage de ce DVD !
La présentation des courts-métrages ne semble pas suivre une logique prédéfinie, tout du moins en apparence. Ils ne sont ainsi pas classés chronologiquement et l'on passe du dernier bébé cinématographique d'Izabel Grondin, LES DRUJES à un autre court réalisé quatre ans auparavant. Cela n'a finalement que peu d'importance car, à l'exception de RUBEN IS NOT WELL... et PIEGE A RATS en raison de la qualité de l'image, bien malin sera celui qui pourra les dater tant ils semblent tous réalisés avec soin. Avec peu de moyens, c'est vrai… mais avec soin ! Mais, en apparence, ses films ne se ressemblent pas pour autant, la réalisatrice passant de la couleur au noir et blanc, de la vidéo à la pellicule, suivant ses courts et ses sujets pour instaurer à l'arrivée un univers bien à elle.
Premier choc, là où l'on attendait des histoires délicates retranscrivant la sensibilité féminine, Izabel Grondin malmène ses spectateurs avec une approche brutale et d'une extrême crudité. Si le gore est bel et bien présent, l'efficacité de ses courts-métrages provient pour beaucoup de leur bande sonore (musique industrielle et hurlements...) où des situations déstabilisantes. L'un des plus réussis à cet effet est certainement ASPIRALUX. Débutant de façon légère, il opère graduellement comme une véritable descente aux enfers pour le personnage principal humilié par un tortionnaire inattendu. En contrepoint, LES DRUJES, le dernier en date, apparaît comme bien plus sage et civilisé comparé aux autres. Son histoire n'est pas sans rappeler l'angle realiste et sobre appliqué au vampirisme dans le courant des années 70 au travers de films tel que VAMPYRES.
Aux courts-métrages présentés, on pourra reprocher des trames un peu trop simpliste. En même temps, le cinéma d'horreur l'est souvent dans son ensemble et, ici, le format court n'offre pas de grandes possibilités de développement. Pourtant, l'un d'entre eux, sort du lot avec son habillage plus auteurisant. RÜBEN IS NOT WELL fait d'ailleurs penser, par instants au MANIAC, de William Lustig dans sa description du personnage et de son obsession. On notera aussi CLICK HERE qui tend vers une sorte de schéma à la RING mais composée de quelques astuces supplémentaires.
Izabel Grondin joue la carte de l'horreur mais la plupart de ces courts-métrages sont aussi marqués par le sexe. La chose semble à peine effleurée avec ses deux héroïnes que l'on imagine lesbiennes dans LES DRUJES mais est bien plus présente dans CLICK HERE avec son personnage obsédé sexuel qui découvre le nirvana grâce à un site internet très particulier. Tout d'abord plaisir, le sexe prend une forme contagieuse mais il peut aussi devenir bien plus violent ou traumatisant comme on peut le découvrir aussi dans le très glauque ASPIRALUX.
Horreur, violence et sexe pourraient donc résumer l'œuvre d'Izabel Grondin qui est aussi grandement sous influence. La réalisatrice ne peut pas vraiment laisser de côté sa cinéphilie horrifique qui l'a bercé depuis son enfance. Dans PIEGE A RATS, on pense ainsi au DEMONS de Lamberto Bava. Le titre de TERRORE est aussi un appel au cinéma italien alors que le court semble tout autant marqué par EVIL DEAD de Sam Raimi. Il serait bon aussi de citer un acteur récurrent dans les courts de la cinéaste. A savoir Martin Plouffe qui incarne des personnages masculins martyrisés et qui devient en quelque sort le Scream King d'Izabel Grondin.
Le DVD regroupant les courts-métrages de la réalisatrice est un DVD-R. Mais il n'a rien d'amateur puisque le disque est livré dans un boîtier DVD conventionnel et sous cellophane avec, à l'intérieur, un petit menu des courts-métrages accompagné de crédits. L'authoring, les menus, ainsi que l'encodage n'ont pas non plus grand chose à voir avec un DVD bricolé avec deux mains gauches. Ce n'est pas la première fois que nous voyons ce type d'expérience comme nous l'avions vu avec MAXIMILIANI ULTIMA NOX.
En ce qui concerne l'image, le rendu est très variable ce qui s'explique assez naturellement. En fonction des courts, le tournage s'est fait en DV, en Betacam ou sur pellicule 16mm. Dans l'ensemble, le résultat est très satisfaisant et n'a que peu de soucis de compression. L'image la moins probante étant celle de PIEGE A RATS mais celui-ci est placé dans la section des suppléments et s'avère d'ailleurs totalement muet.
Pour le son, il faut reconnaître que c'est un peu pareil. Toutefois, on peut faire quelques reproches concernant le mixage sonore des voix qui sont parfois un peu difficiles à comprendre. Cela étant sûrement du à la prise de son d'origine réalisée de façon brute de décoffrage. Un souci qui s'amplifie pour le spectateur français pas forcément habitué à l'accent et au phrasé de la langue française telle qu'on la parle au Québec. Les longs métrages du Québec sont d'ailleurs le plus souvent exploités en France avec un sous-titrage français. Justement, le DVD contient des sous-titrages mais en anglais et sur seulement trois courts et le documentaire. Un petit plus qui a bien aidé lors de la vision du disque. Notez tout de même que le français du Québec fonctionne à merveille, hormis l'aspect purement technique, et participe à la réussite de certains courts tel que ASPIRALUX.
Ce disque contient aussi un petit documentaire qui vient nous éclairer sur Izabel Grondin. Le gros du FABULEUX DESTIN D'IZABEL GRONDIN est composé d'une interview de la réalisatrice et d'extraits de ses courts. On peut aussi y découvrir un étonnant documents où elle apparaît enfant exprimant déjà le souhait de faire des trucs qui font peur ! Huit minutes fort sympathiques où elle essaye de tordre le coup aux préjugés tout en parlant de son cinéma. N'oubliez pas d'attendre la fin du docu pour découvrir une petite intervention très surprenante montrant une attitude assez prude à l'évocation d'une question ce qui finit de nous donner un aperçu très «mimi» de sa personnalité.
Le DVD sert de plus en plus à promouvoir le court-métrage et certains cinéastes ont ainsi la possibilité de diffuser plus facilement leurs œuvres auprès du grand public. Avec FOLIES PASSAGERES, l'entreprise est très réussi mais il faut quand même rappeler que les courts d'Izabel Grondin risquent de choquer des spectateurs trop sensibles.
Ce disque est disponible par correspondance pour la somme 25 dollars (canadien) pour les résidents d'Amérique du Nord et de 18 euros pour les européens, frais de port compris. Pour plus d'information, vous pouvez envoyer un mail à semiramis@videotron.ca