TOP CINEMA 2024
Cette année 2024, j'ai proposé sur DeVilDead.com uniquement des textes rétrospectifs. J'ai ainsi pu avancer notre cycle dédié aux films d'horreur du vingtième siècle (dont nous devrions voir le bout en 2025 !)
Cela ne signifie en rien que je tiens les films du passé pour meilleurs (ou pires) que ceux d'aujourd'hui. Je m'inscris en faux contre la formule «c'était mieux avant» !
Vous trouverez ci-dessous une sélection de dix films fantastiques sortis en France en 2024 et m'ayant emballé. Je n'ai vu qu'une quarantaine de métrages éligibles et je ne prétends pas à l'exhaustivité. Mais nous espérons que cette liste donnera aux lecteurs envie de découvrir certains métrages leur ayant échappé des douze derniers mois.
1. CITY OF DARKNESS de Soi Cheang
Après LIMBO, Soi Cheang nous délivre un second uppercut avec CITY OF DARKNESS. Ce titre se déroule dans les années quatre-vingt et relate les aventures d'un réfugié chinois à Hong Kong, dans le quartier pauvre de Kowloon. CITY OF DARKNESS commence tel un Film Noir traditionnel. Soi Cheang y déploie comme dans LIMBO son talent à mettre en scène une ville-spectacle.
Pourtant, CITY OF DARKNESS est autre chose. CITY OF DARKNESS ne raconte pas une histoire se déroulant dans les années quatre-vingts. Il en rapporte le souvenir.
Le souvenir transmis et déformé par la tradition orale et par les inventions. Des inventions et des exagérations que la population de Hong Kong a diffusées et déformées, dans les bars, les restaurants, les coursives, les maisons de passe et les boutiques. Au gré d'un imaginatif «téléphone cantonais» !
Ce qui devrait n'être qu'un règlement de compte sordide entre malfrats devient alors une épopée magique. Les petites frappes et les hommes de main deviennent des demi-dieux aux pouvoirs surhumains Nous assistons à un choc entre le Bien et le Mal aux implications mythologiques.
CITY OF DARKNESS est aussi une œuvre de nostalgie. Nostalgie d'une ville dans la ville qui n'existe plus, mais aussi nostalgie d'un cinéma Hong Hongkongais des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix où tout était permis, où la caméra virevoltait, où l'action était intense et où les cascadeurs se livraient à des folles prouesses.
2. FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX de George Miller
Parmi les obsessions de George Miller, nous trouvons la création du mythe, la figure du héros et le rôle du conteur dans la construction d'une épopée. MAD MAX 2 : LE DEFI, MAD MAX AU-DELÀ DU DÔME DU TONNERRE ou le superbe TROIS MILLE ANS À T'ATTENDRE creusaient ce sillon. Sillon que FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX reprend de plus belle. Là où son prédécesseur MAD MAX : FURY ROAD jouait la carte de la linéarité et de l'unité de temps, FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX conte un récit étalé sur des année et bâti en chapitres. Il narre une odyssée imaginative, spectaculaire, riche en scènes fortes, avec pour enjeu la construction d'une femme, d'une héroïne, d'une valkyrie de l'âge du métal : Furiosa, la convoyeuse manchote qui était déjà la vraie héroïne de MAD MAX : FURY ROAD. C'est aussi le conte de Dementus, Nemesis dérisoire de Furiosa, méchant improbable et maladroit, sorte de Max Rockatansky qui aurait (encore plus) mal tourné et qui apporte aussi sa singularité à cette nouvelle Saga du désert atomique.
3. PAUVRES CRÉATURES de Yorgos Lanthimos
PAUVRES CRÉATURES évoque immanquablement le mythe créé par le roman «Frankenstein ou le Prométhée moderne». Un savant fou de science redonne la vie à un cadavre de femme et y greffe le cerveau d'un bébé. Un argument rappelant vaguement FRANKENSTEIN CRÉA LA FEMME de la Hammer, mais PAUVRES CRÉATURES revient surtout à la source littéraire de Mary Shelley en empruntant la forme d'un roman philosophique. Bella, créée ici par le docteur Baxter, est une enfant dans un corps d'adulte. Elle part à la découverte du monde et d'elle-même, au gré de voyages surréalistes et de rencontres farfelues. Et ce dans un film unique, porté par un regard malicieux et une distribution impeccable.
4. CIVIL WAR d'Alex Garland
Les cinéphiles le savent, les États-Unis n'ont jamais cessé d'être en guerre civile. À sa conclusion, la Guerre de Sécession n'a fait que passer à un état larvé. Guerres entre les races (dès NAISSANCE D'UNE NATION, véritable acte de naissance d'Hollywood), guerres entre les villes et les campagnes (avec des Survival comme DÉLIVRANCE ou MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE), guerre entre les morts et les vivants même (dans les films de zombies de George A. Romero). Et bien sûr, conflits raciaux, civilisationnels ou sociaux mis en scène dans les Westerns américains de toutes sortes, les rivalités y étant systématiquement résolus à coup d'armes à feu.
Dans CIVIL WAR, la guerre éclot au grand jour, dans des paysages n'ayant pas connu de tels conflits depuis plus d'un siècle. Les autoroutes, les maisons de campagne et de banlieue, les stades des lycées, la Maison Blanche elle-même... Tous ces décors mis à toutes les sauces dans le cinéma américain se métamorphosent sous nos yeux pour accueillir un suicide collectif, l'Amérique s'y massacrant elle-même. Un spectacle brillamment mis en scène par le britannique Alex Garland, toujours une valeur sûre et pertinente du cinéma d'anticipation.
5. VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT d'Ariane Louis-Seize
Pour l'anniversaire d'une fillette vampire, sa famille lui offre sa première proie à tuer elle-même, en l'occurrence le clown Rico Berlingot, recruté pour animer cette fête ! Dès sa première scène, VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT donne le ton, celui d'une comédie fantastique pince-sans-rire, portée sur l'absurde et l'humour caustique. Son principal ressort est la vie cachée des vampires dans notre monde d'aujourd'hui, appuyant le décalage entre les obligations macabres des Créatures de la Nuit et la vie urbaine contemporaine. Ce qui n'est pas sans rappeler VAMPIRES EN TOUTE INTIMITÉ et sa colocation surréaliste, mais en adoptant ici la forme d'une comédie sentimentale, réussie et sarcastique. Ce film donne le beau rôle aux marginaux et autres décalés de la vie, et il constitue la jolie surprise de l'année.
6. LA MALÉDICTION : L'ORIGINE d'Arkasha Stevenson
Malmenée par un remake de 2006 déjà oublié et par une série télévisée «DAMIEN» de 2016, passée inaperçue dans le surproduction d’œuvres de Streaming, le cycle amorcé par LA MALÉDICTION n'appelait pas un nouveau chapitre. L'annonce d'un métrage se déroulant avant le film de Richard Donner a donc laissé perplexe.
LA MALÉDICTION : L'ORIGINE est pourtant une réussite vénéneuse, formidablement portée par l'actrice Nell Tiger Free, dans une reconstitution réussie de la Rome des années soixante-dix (le film est tourné intégralement en Italie). Il frôle les deux heures mais n'ennuie jamais. Il génère lentement son ambiance poisseuse, son horreur intime et cultive une atmosphère de mystère et de gothisme à l'intensité croissante et impitoyable.
7. ABIGAIL de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett
Des malfaiteurs ont pour mission de garder toute une nuit une fillette kidnappée. Pas de chance pour eux, celle-ci est en fait une vampire ! Après avoir relancé la série SCREAM en 2022, le tandem Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett s'éloigne de l'horreur adolescente pour retourner au défouloir Gore qui a fait la réussite de leur WEDDING NIGHTMARE. ABIGAIL, huis-clos ultra-violent et riche en humour noir, reprend donc des éléments de ce dernier, mais aussi du VIOLENT NIGHT de Tommy Wirkola, et ce pour un résultat drôle, sanglant et irrévérencieux.
8. LA BÊTE de Bertrand Bonello
En 2044, dans un étrange monde du futur, les humains se font purger de leurs émotions par une Intelligence Artificielle omnipotente, au gré de séances de «purification». Il s'agit en fait d'explorer et d'effacer les souvenirs de leurs vies antérieures. Cinéaste éclectique, Bertrand Bonello étonne avec cette dystopie originale, romantique au bon sens du terme, passionnée, mêlant des souvenirs de cinéma parfois attendus (David Lynch), parfois plus surprenants (la scène sous-marine d'INFERNO). Cette variation étonnante sur le thème de la réincarnation et de l'Amour par-delà le temps bénéficie d'une texture singulière et constitue une réussite du cinéma fantastique français.
9. MOTHER LAND d'Alexandre Aja
Deux garçons vivent reclus avec leur mère au cœur d'une forêt, dans leur maison. Ils sortent peu et restent toujours attachée à cette demeure par une corde. Avec HAUTE TENSION et LA COLLINE A DES YEUX, Alexandre Aja s'est d'abord affirmé comme un efficace illustrateur de l'horreur gore et violente. Pourtant, entre un PIRANHA 3D et un CRAWL du même tonneau, il tourne des titres plus étonnants, tel HORNS avec Daniel Radcliffe ou ce MOTHER LAND. Ce dernier se présente comme une mythologie imaginaire, dans la veine des films de M. Night Shyamalan (en particulier THE VILLAGE). Mais il part dans un fantastique imprévu, tordu, égrainant petit à petit une trame psychanalytique inattendue et profonde, soutenue par l'interprétation exceptionnelle des deux acteurs enfants.
10. MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola
Un architecte veut reconstruire la cité New Rome, ravagée par une catastrophe. Il y voit l'occasion de bâtir une société nouvelle et humaniste, basée sur le Mégalon, matière révolutionnaire qu'il a découverte. Avec MEGALOPOLIS, Francis Ford Coppola illustre une veine utopiste, déjà vue dans son TUCKER, avec son inventeur passionné et optimiste. Mais il l'étend à l'échelle d'une civilisation, gangrenée par les forces de la corruption et de la réaction. Le plus touchant dans MEGALOPOLIS, héritier à peine masqué de METROPOLIS, est la présentation de l'artiste comme un vrai super-héros. Il a le super-pouvoir poétique de suspendre le temps et surtout de créer, de construire ou de reconstruire ce qui a été détruit. En proclamant en 2024 que l'Art et l'Imagination vont sauver l'humanité, Francis Ford Coppola nage à contre-courant et nous fait un bien fou !