EVIL DEAD : Interview Fede Alvarez

2. Partie 2

A propos de l'écriture de EVIL DEAD, qui a eu l'idée du sevrage d'un personnage toxicomane ?

C'est moi. Dès le départ Sam Raimi m'a dit qu'il allait me laisser le contrôle de manière à créer un nouveau EVIL DEAD. Il n'avait pas, à ce moment là, penser à la façon d'apporter du neuf dans l'histoire originale. Mais on ne voulait pas raconter l'histoire de cinq potes qui vont boire des bières et fumer de l'herbe dans une vieille cabane au fond des bois. On pensait que cela avait déjà été fait trop de fois.

C'est malheureusement un sujet qui revient chaque semaine…

Exactement. Même LA CABANE DANS LES BOIS se moque de ce point de départ. A l'époque, LA CABANE DANS LES BOIS n'était pas encore sorti mais on savait déjà qu'on ne trouvait pas cela pertinent. Je suis trop vieux pour ça. Donc, il fallait avoir une approche plus sérieuse, sombre et dure. Donc, on s'est demandé pourquoi des jeunes iraient s'isoler dans une cabane qui ressemble à un taudis, plutôt inquiétante même. La seule raison pour laquelle on irait s'isoler aussi loin, c'est pour échapper à quelque chose. Parce qu'on peut fumer de l'herbe dans son appartement et donc sans bouger de chez soi. L'idée d'une désintoxication était une bonne explication à cet isolement. Car la meilleure façon d'y échapper, c'est de s'éloigner de son quotidien, de son téléphone, de son dealer… C'était aussi une façon de se débarrasser des téléphones, on ne les voit jamais appeler qui que ce soit… Ils se débarrassent de tout et vont là bas. Sans compter, en plus, qu'il s'agit d'une vieille cabane où ils allaient quand ils étaient enfants, et qu'ils appréciaient l'endroit. Pour eux, ce n'est pas une cabane inquiétante, c'est un endroit où ils ont des souvenirs d'enfance. C'est donc en quelque sorte un lieu où ils devraient se sentir bien. C'était le parfait point de départ qui permettait de donner de l'épaisseur aux personnages. Par la suite, le personnage devient un peu fou en raison du manque. Toutes les bonnes histoires de possessions sont liés à la transformation d'une personne normale en monstre. Dans la vraie vie, si vous connaissez un toxicomane, il arrive un moment où il agit de manière anormale et en vient à vous faire peur. Cela fonctionne aussi avec l'alcoolisme et, bien sûr, la folie elle-même. Cela apporte une idée supplémentaire à EVIL DEAD mais c'est aussi propre à tous les films de possessions. Dans L'EXORCISTE, c'est l'histoire d'une petite fille qui est à la charnière entre l'enfance et l'adolescence. Il y a un éveil à la sexualité et sa mère ne sait pas comment gérer le problème. L'histoire de possession est une métaphore de tout cela. C'est la raison pour laquelle je trouvais intéressant d'ajouter l'intrigue parallèle à propos de la drogue.

Dans le film, il y a un court passage où les personnages pensent que Mia déraille à cause de son état de manque. Mais est ce que vous avez été tenté, à un moment ou un autre, de jouer beaucoup plus sur l'ambiguïté de la drogue. Réalité ou délire ?

A un moment, nous y avons pensé. Il en reste quelques détails, d'une manière ou d'une autre. Mais, puisque vous le demandez, je vais vous confier quelque chose que je n'ai jamais dit dans une interview. Si vous vous souvenez, au début du film, elle jette de l'héroïne dans un puits, comme une façon d'abandonner la drogue derrière elle. On avait pensé que, plus tard, tout le monde se mettrait à boire de l'eau du robinet alors qu'elle provenait du puits. Tout le monde se mettrait alors à halluciner et délirer. C'était une façon de se demander s'ils ne devenaient pas tous dingues. Je ne sais pas si boire de l'eau avec de l'héroïne provoquerait ce genre de chose, surtout qu'il faudrait une tonne de drogue pour que cela ne soit pas dilué dans l'eau du puits. Mais c'était bien dans la première partie du film que l'on aurait pu être amené à se demander si cela se déroulait dans leur tête, ou bien dans la réalité. Bien sûr, si vous connaissez les films précédents, vous savez qu'il s'agit de la réalité et vous savez que le livre existe… Cela n'aurait donc pas fonctionné auprès de tout le monde, particulièrement les fans. Pour ceux qui n'ont pas vu les films originaux, cela aurait été différent. Certains jeunes viennent d'ailleurs me demander si EVIL DEAD n'a pas été inspiré par LA CABANE DANS LES BOIS. Ils ne connaissent pas les films originaux, pourtant des classiques du genre.

A la fin du film, je me suis demandé s'il s'agissait d'un remake, d'une suite ou bien d'un métrage s'inscrivant dans le même univers que les autres EVIL DEAD.

Pour moi, il s'agit plus d'une suite que d'un remake. Il s'agit de la même cabane. C'est d'ailleurs pourquoi la voiture est là. Mais il faut se souvenir du premier film seulement car si vous prenez EVIL DEAD 2, cela ne cadre plus. Mais à la fin du premier film, la voiture reste à l'extérieur. Trente ans plus tard, le livre a retrouvé son chemin vers la maison et tout est prêt à recommencer. S'il y a tant de similarité avec le premier film, c'est peut être parce que le livre force les événements à se répéter.

A propos du livre, il est moins présent dans le premier EVIL DEAD. Dans votre film, il est souvent à l'écran du début à la fin. C'était votre choix de le mettre plus en avant ?

Définitivement, oui ! Car c'est le livre qui détient le pouvoir. Il m'apparaît donc pertinent qu'on lise directement dedans. On n'allait pas placer un petit enregistreur et faire comme dans le premier film. C'était bien mieux de l'utiliser du début à la fin.

Si pour vous le film s'inscrit dans le même univers, pourquoi avez-vous changé le design du livre, le look des possédés, ainsi que d'autres éléments comme la rivière en crue qui remplace le pont ?

Quand on fait un film comme ça, nous sommes confrontés à deux types de public. Ceux qui n'ont pas vu les films originaux et pour qui tout est nouveau. Et, bien sûr, ceux qui ont adoré les films et qui les connaissent… En général, ceux qui aiment les films originaux n'ont aucune envie que l'on change quoi que ce soit. Mais, en même temps, cela voudrait dire refaire le même film. A quoi cela servirait de refaire exactement le même film ? Si vous n'aimez pas le nouveau film, vous pouvez toujours revoir l'original. De mon point de vue, cela n'a pas non plus d'intérêt de faire des changements pour rendre le film plus moderne. Ca ne rendra pas l'histoire originale meilleure et le film aura un aspect vieillot dans dix ans. Donc, mon objectif, c'était plutôt de surprendre les fans avec quelque chose de différent. Par exemple, pour les maquillages, nous avons adopté une approche différente avec des effets plus modernes. De plus, ça rend les possédés plus terrifiants car ils s'infligent des blessures eux-mêmes. Mia se brûle avec de l'eau bouillante et cela explique pourquoi elle finit par ressembler à ce qu'elle devient. Ou bien Natalie qui se fait des blessures pour agrandir son sourire. Tout cela donne une explication à leur transformation physique et tous les changements sont basés sur l'idée de rendre le film plus réaliste. Pour les possédés, il y a une chose que je regrette, peut être. Ce sont les yeux. J'aurais peut être du faire quelque chose plus proche de l'original. Et vous savez quoi ? Cela fonctionnait bien dans le film original car les yeux blancs ont un côté très impersonnel. Cela ressemble un peu à un aveugle, on ne sait pas s'il vous regarde…

C'est quelque chose qui me fait assez peur.

Oui, moi aussi ! Mais dans mon film, cela aurait fonctionné différemment. Par exemple, quand Eric tire sur Natalie et qu'elle se retourne. On comprend ce qu'elle va faire avec le regard. Et c'est ce qui fait peur, de savoir que vous êtes visés. Avec des yeux blancs, cela n'aurait pas eu le même effet. Dans le film original, il n'y a pas de connexion avec le regard entre les personnages. Dans mon film, cela aurait donné un côté moins personnel. Car mon film, cela parle aussi de Eric contre David. De Mia en colère contre David et Natalie avec une envie de vengeance. Je pensais donc qu'il s'agissait d'une meilleure idée. Je ne sais pas ! Certains fans s'en plaignent donc j'aurais peut être du faire des yeux plus blanc, je ne sais pas !

Difficile à dire ! Par contre, j'ai trouvé que les possédés ressemblaient plus à ce que l'on voie dans L'EXORCISTE, particulièrement le troisième film, mais aussi par certains côtés aux films de fantômes asiatiques. Une jeune femme, habillée de blanc avec de longs cheveux noirs…

Au début, peut être, oui. Lorsqu'elle se voit elle-même, vous vous en rendrez compte en revoyant le film. C'est Mia qui porte le même pyjama et c'est un peu comme une vision future d'elle-même. C'est un peu à ça qu'elle ressemblera après le viol dans l'arbre. Elle a comme une sorte de fragments de ce qui va lui arriver. Mais je n'ai jamais essayé de tendre vers le style japonais. C'est vraiment un tout petit passage du film qui peut éventuellement y faire penser d'une certaine façon. Ce n'est pas une histoire de fantômes de toutes façons et les effets n'ont rien à voir. Dans les films de fantômes, on essaie de vous faire sursauter. Par exemple, soudainement, on voit un un fantôme derrière un personnage et lorsqu'il se retourne, il n'y a plus rien. Ce que j'aime dans le cinéma d'horreur, c'est que l'on ne fait pas ça. Elle ne disparaît pas, elle court dans la maison, elle peut devenir folle et halluciner mais quand quelque chose vient vous faire sursauter, c'est pour introduire quelque chose. Mener vers une autre scène. A mon avis, c'est très différent des films de fantômes japonais.

Dans le premier film, il y a une scène choc qui fait vraiment mal alors que cela s'avère plus simple que des démembrements à la tronçonneuse. C'est un crayon qui vient s'enfoncer dans une cheville. Cela fait plus mal car on peut facilement s'identifier à ce type de blessure… Dans votre film, il y a plusieurs scènes qui donnent l'impression que vous avez voulu trouver des moyens de choquer de cette façon comme avec l'aiguille ou le cutter sur la langue. Ce type de scène s'avère en général beaucoup plus efficaces que du gros gore…

Oui, tout à fait ! C'est en quelque sorte un art de réussir cela comme dans le film original. Je ne sais pas si vous vous souvenez de SIMETIERRE mais la plupart des gens se souviennent surtout de la scène avec le scalpel qui tranche la cheville. Et si tout le monde s'en souvient, comme vous l'avez souligné, c'est qu'il s'agit d'une douleur que vous pouvez imaginer. Et c'est cela qui rend la scène dérangeante. Ce sont en général les meilleurs moments, bien plus que les effets sanglants. Par exemple, mon passage préféré, c'est celui avec la machette dans le genou. Cela fonctionne de la même façon que l'aiguille qui n'est pourtant pas un passage très sanglant. Ce type de séquences sert aussi à prévenir le public qu'avec ce film, il faut s'attendre à tout et qu'il faut s'attendre à voir des trucs compléments fous et dérangeants. Ensuite, lors de la prochaine scène de suspense, vous savez que tout peut arriver. Vous ne savez pas ce qui va arriver mais vous savez qu'à un moment ou un autre, vous serez exposé à quelque chose du même genre. Cela ajoute au suspense. C'est un peu comme lorsque Eric se fait frapper avec un pied de biche. La majeure partie du public s'attend à ce qu'il vise les yeux ou quelque chose d'horrible comme ça. Avec ces passages, vous créez une tension latente sur ce qui pourrait arriver. D'ailleurs, même si vous n'aimez pas le film, lorsque vous arrivez au moment où il retire l'aiguille, ça ne peut pas vous laisser insensible. C'est pour moi ces détails qui deviennent les moments cruciaux de ce genre de films !

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Dossier réalisé par
Christophe Lemonnier
Remerciements
Fede Alvarez, Olivia Malka & Kinema Film