4. Interview Bruno Forzani & Hélène Cattet

DeVilDead : Vous avez semblé etre très intimidé pour votre présentation du film, sur la scène de Gérardmer, avant la projection...

Bruno Forzani : J'ai eu beaucoup de mal à monter sur scène et à dire quelque chose. J'ai cru que je n'allais rien dire.

Hélène Cattet : J'avais préparé quatre phrases…et voilà, la panne...

Bruno Forzani : En fait, comme tout le monde parlait de giallo, giallo, giallo... Je voulais remettre les choses en perspective par rapport à notre film.

En effet car le film ne reprend qu'une partie des éléments du giallo. AMER s'en éloigne pour le reste et privilégie la forme pour exposer ses thèmes au travers de métaphores. On ne peut pas dire que l'accès à AMER soit des plus aisé pour un large public...

Bruno Forzani : On est revenu pour le générique de fin et on a entendu une salle partagée. C'était très tranché.

La vision du film au LUFF (Lausanne Underground Film Festival) a été similaire. Le film a divisé les spectateurs. Une partie d'entre eux fut sensible aux codes du genre, à l'ambiance. Les autres ont été désarçonnés et n'ont pas su comment l'appréhender.

Bruno Forzani : Nous l'avons écrit pour avoir un maximum d'ouverture au niveau des interprétations. A chaque fois que tu revois un film, tu découvres une nouvelle couche. Un film qui nous a vachement marqué, c'est MILLENIUM ACTRESS de Satoshi Kon. En termes de niveaux de lecture, il existe une profondeur incroyable. Et à chaque vision, on découvres autre chose. L'écriture est donc un mélange entre ça et INFERNO. INFERNO est un des films qui m'a fait le plus flipper étant jeune. Je n'avais pas compris pourquoi. Et quand j'ai rencontré Dario Argento, je lui ai posé la question. Il m'a expliqué qu'il avait écrit le scénario avec l'inconscient et les associations d'idées. Peut-être l'explication de mon point de vue de spectateur quant à la terreur ressentie ? C'est donc un mélange de ces deux types d'écritures. On laisse des portes ouvertes, des personnages métaphoriques qui peuvent avoir plusieurs explications. Ca peut être une déclaration d'amour au giallo pour certains... Une déclaration d'amour envers le personnage principal…

Hélène Cattet : Ou de la découverte du corps, du désir...

Bruno Forzani : Ou de la sensualité. L'écriture cinématographique et iconographique du giallo, le cinéma italien des années 60 ou 70, c'est le genre de langage parfait pour parler de ces sujets. Ce n'est donc pas un giallo, en effet. Et pourtant, les premiers articles que j'ai lu sur le film, c'était soit un pied de nez au giallo, soit un giallo expérimental…

La narration, la structure ne correspond pas du tout en effet à un giallo. Il s'agit plus d'un film refermé sur lui-même… A vrai dire, nous n'avons pas vraiment adhéré au film…

Bruno Forzani & Hélène Cattet : (rires) Je croyais que vous étiez sympas !

Si, si, on est sympas mais on est surtout franc et on ne va pas se mentir ! Nous sommes resté en dehors du film. Justement, à ce propos, n'avez-vous pas peur de la réaction du public, le film étant plus que souvent vendu avec l'étiquette du giallo ?

Hélène Cattet : Cette envie de tout mettre dans une case… Je n'ai pas spécialement envie de mettre AMER dans une case. Il s'agit d'un mélange de ce qui nous influence, un métissage.

Bruno Forzani : La grosse différence lorsque nous avons présenté le film les premières fois, hormis l'affiche pour qui reconnaît l'influence, c'est que les mecs ne savaient pas ce qu'ils allaient voir. Il n'avaient jamais entendu parler du film et n'avent aucune attente. Et ça leur a plu. Maintenant, comme vous dites, il y a une certaine attente du type "le nouveau giallo". Et, là, les spectateurs vont être automatiquement déçus.

Tout dépend de la perception de chacun. Par exemple, au LUFF, nous ne connaissions pas le film. Mais en voyant l'affiche, tout de suite, on pense que ça ressemble à ALLA RICERCA DEL PIACERE…. Visuellement, ça n'est pas innocent. Qu'espérez-vous de la carrière du film ?

Hélène Cattet : Aucune idée. Il y aura une dizaine de copies..

En tout cas, au LUFF, le film semblait plus à sa place. Alors qu'à Gérardmer, cela parait moins évident par rapport au public...

Bruno Forzani : Nous avons d'abord été dans des sections parallèles. Ce coup-ci, il s'agissait de la première projection avec un public aussi large. On a eu de bons retours dans les sections parallèles, les festivals plus pointus. Et, là, on se retrouve confronté au grand public…

Hélène Cattet : Oui mais c'est quand même positif. Ca permet d'avoir un débat, de faire vivre un film.

Bruno Forzani : Je pense que les festivals de films fantastiques se doivent de présenter ce qui se fait en cinéma de genre avec le plus large spectre possible, du film bourrin au métrage tel que le nôtre. En ce qui concerne le devenir du film, il existera toujours des gens qui vont théoriser sur le public. Quand on a fait le film, certains nous ont justement dit de penser au public, blablabla… Mais on ne voulait pas perdre notre identité et ce que nous avons développé depuis six ans au travers de nos courts-métrages. Nous avons toujours eu cet amour et cette fétichisation du giallo.

Hélène Cattet : Dans nos courts, il s'agissait d'expérimentations autour du giallo, d'essayer de jouer avec le langage et l'iconographie afin de parler de sujets plus intimes.

Bruno Forzani : Cela peut aussi susciter une redécouverte pour certains. Des spectateurs ont vu pour la première fois un giallo après avoir visionné AMER. Le film leur a parlé à propos de la thématique, des images ou de l'ambiance. C'est comme l'utilisation d'Ennio Morricone. Tout le monde pense IL ETAIT UNE FOIS DANS L'OUEST, alors qu'il a fait plein de trucs magnifiques à côté. On partage cela avec la public : c'est un jeu ludique. Si, en plus, tu as une connaissance du giallo, c'est encore mieux. On souhaite jouer avec les conventions et les connaisseurs. Il y a la scène de la baignoire, qui est inévitable... Que peut-on faire avec, comment la détourner…

Et les spectateurs qui ne connaissent pas les références... Comment pensez-vous gagner l'affection de ce public ?

Bruno Forzani : C'est pour l'amour de l'art ! (rires)

Il est clair que AMER a une démarche artistique qui s'écarte du cinéma commercial. On voit bien que le film ne cherche pas à caresser le public dans le sens du poil…

Hélène Cattet : C'est vraiment la suite de nos courts-métrages. On a écrit un prolongement, en suivant un même feeling.

Quel fut la génèse du film ? AMER a-t-il été dur à monter ?

Hélène Cattet : Bien sûr. La galère.

Bruno Forzani : Quand tu ne veux pas faire de concessions et qu'on te dit que le public veut autre chose, c'est la guerre. Et voilà, maintenant, le film existe. Alors les gens pensent que nous nous sommes fait plaisir et puis voilà. On nous avait beaucoup dit "ça va pas plaire". Mais à la première projection, les gens ont quand même accroché. Maintenant par rapport au public… AMER a un parcours alternatif. C'est par des relais, des gens qui sont sur le terrain du film de genre, par des réseaux alternatifs que le film va passer. Déjà, le film existe. Ensuite, j'espère qu'il aura une belle vie, en DVD. On a écrit le film pour qu'il soit vu plusieurs fois. Maintenant au cinéma, on va aller présenter le film un peu partout. A Lyon, par exemple. Le cinéma de genre, ce n'est pas qu'un cinéma de bourrins. Il y a plusieurs autres choses, heureusement. Le cinéma bis et italien nous procure un plaisir énorme, etc...

Hélène Cattet : Il est aussi hyper-créatif et laisse des plages de liberté pour un cinéma qui est normalement commercial. Toutes ces audaces, cette noblesse.

C'est rare d'entendre parler du cinéma bis italien en le qualifiant de noble. Car à l'époque, il était considéré comme un cinéma peu digne d'intéret, des métrages commerciaux et d'exploitation...

Hélène Cattet : Ce cinéma est tellement riche. Ca se passe de mot, d'où la concentration sur l'aspect grahique et sonore du giallo dans notre film. Personnellement, ça me saoule lorsque c'est trop didactique. C'est un film où on se trouve dans l'univers fantasmatique et érotique de cette femme. On s'y perd aussi. C'est pour cela qu'on a pas voulu fermer de portes narratives. Comme ça, on se promène dans sa psyché.

Bruno Forzani : C'est comme dans PROFONDO ROSSODavid Hemmings visite la maison. Ca dure dix minutes… C'est beau, quoi. Ce sont ces moments-là que je préfère dans le giallo. On a voulu raconter notre histoire par le biais de ce type de séquence.

Pour en revenir à INFERNO, le film m'y a en effet fait penser.Tout comme L'AU-DELA... Ce sont, en quelque sortes, deux suites dans lesquelles l'histoire semble par moment devenir accessoire pour introduire des scénettes, des séquences fortes. AMER suit un peu ce principe. Mais il s'avère qu'il n'y a que des moments forts et, au final, cela dessert l'efficacité puisqu'il n'y a pas de contraste.

Bruno Forzani : Le contraste ne nous intéressait pas. Par exemple, dans L'ENFER DES ZOMBIES, il existe des séquences tellement belles, comme celle avec le requin. Et d'autres, comme celle où elle se cache dans le bateau, qui sont un peu ridicules. C'est con que ces séquences soient là.

Mais il n'y a plus de crescendo...

Hélène Cattet : C'est pour cela qu'on a voulu faire le film en trois parties. Que cela joue sur des tensions différentes, sur différents registres.

La troisième partie semble etre un hommage à PENSIONE PAURA, c'était volontaire ?

Bruno Forzani : Je ne connais pas... C'est quoi ?

Le film de Francesco Barilli réalisé en 1977 avec Leonora Fani et Luc Merenda. Qui parle entre autres de la frustration sexuelle d'une jeune femme qui travaille dans une pension tenue par sa mère. Dans une maison isolée à la campagne, abandonnée. On s'est meme demandé si vous aviez réussi à retrouver la maison !

Bruno Forzani : Vraiment ? En fait, la troisième partie, c'est en fait plus LES DIABLESSES d'Antonio Margheriti.

Cette dernière partie s'avère etre la plus nerveuse, la plus cauchemardesque. C'est peut-être là où le film parle le plus : la transcription par l'image de la sexualité...

Bruno Forzani : Ca me rappelle les premiers Cronenberg que je suis allé voir. Je me suis pris des trucs en pleine figure mais je ne savais pas quoi.

Et maintenant, qu'allez-vous faire après AMER ?

Bruno Forzani : Toujours un giallo. On partirait plus sur le pendant masculin de la mère, avec un début d'enquête. On est en train de travailler dessus. Un projet qu'on a commencé en 2004, pendant un an et demi. Puis on a arrêté. Et maintenant après avoir expérimenté AMER, on retravaille en fonction de ce que nous venons de faire. Ce sera plus ouvert, plus accessible.

En France, pas mal de monde semble s'intéresser au giallo comme c'est le cas, par exemple, de BLACKARIA ou IL GATTO... Pourquoi s'orienter vers cette mouvance ?

Hélène Cattet : Le mélange au sein des film d'exploitation offre une plage de liberté et d'audace qui donne des séquences sublimes de meurtres, érotiques … qui me plaisent.

Bruno Forzani : C'est juste le type de cinéma qui nous a donné envie de faire du cinéma. Mélanger le cinéma populaire avec un cinéma plus expérimental. Quand j'étais adolescent, je ne voyais que des slashers américains et j'en avais un peu marre. C'était juste des produits où je n'étais jamais surpris. Quand j'ai découvert Dario Argento, j'ai découvert autre chose. Qu'on pouvait faire des films visuellement chouettes avec quelque chose derrière, une matière à réflexion. Et quand j'étais à la Cinémathèque de Bruxelles où je faisias les Soirées B à Z, le but était de montrer un cinéma qui était en fait noble et pas seulement pour rigoler. Il y a des mecs qui viennent voir SUSPIRIA ou INFERNO et qui vont se marrer parce qu'ils viennent voir des trucs nommés "série B", alors qu'il y a des cinéastes qui ont expérimenté et tenté des choses incroyables. Le cinéma de genre peut être cathartique où tu as envie de te marrer mais il existe aussi cette noblesse cinématographique, comme dans les premiers Jess Franco.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier & Christophe Lemonnier
Remerciements
Remerciements Bruno Forzani, Hélène Cattet, aux organisateurs et à tous les bénévoles du Festival.