4. Jesus Franco (Interview)

Francis Barbier : Vous avez travaillé avec beaucoup de femmes dans les rôles principaux de vos films. Vous décririez-vous comme un auteur féministe ?

Jesus Franco : Oui, dans le sens où j'ai toujours préféré travailler avec des femmes. Pas simplement pour le plaisir (rires), mais parce que ce sont de plus grandes professionnelles. Les hommes sont toujours en train de pinailler sur tel ou tel plan, sur ce qu'ils préfèrent avoir à disposition dans un tournage, le maquillage, les costumes… Les hommes sont capricieux, immédiatement vexés quand je faisais des remarques sur une scène. C'était toujours difficile. Et au contraire toujours plus facile avec les femmes.

Même avec des collaborateurs aussi proches qu'Howard Vernon ?

Howard Vernon était homosexuel. C'était donc autre chose. Sa façon de voir la vie, sa façon d'écrire - il écrivait très bien -, son intelligence… C'était plus facile pour lui comme pour moi de travailler ensemble et de le diriger. Il n'avait pas toujours des rôles extraordinaires, mais il était toujours parfait dans ses interprétations. Il avait un charme, une prestance qui portait le film à un autre niveau.

Vous avez collaboré pendant plus de 30 ans avec lui. Plutôt rare au cinéma, non ?

Il y a un moment où vous ne pouvez plus expliquer les choses. Howard et moi nous entendions parfaitement. C'est rare. Mais hormis Howard, comme homme, il n'y a que Klaus Kinski avec lequel je me suis bien entendu.

Klaus Kinski ?

Ce qu'on a raconté sur Kinski était la plupart du temps des conneries. Lui et moi nous comprenions très bien. Si bien qu'au bout de quelques films, on se parlait à peine. On se parlait avant le tournage, on décidait comment on allait faire et après c'était parti. Sa réputation a été faite par des imbéciles. Klaus était un acteur qui voulait savoir pourquoi on faisait tel ou tel plan. Un acteur, c'est la chose la plus importante d'un film. Il n'y a que lui à l'écran. Et Klaus avait simplement besoin de savoir où le réalisateur allait.

Vous avez été acteur. C'était aussi parce que vous aviez plaisir à vous diriger, à vous voir à l'écran ?

Me voir à l'écran, je déteste ! (rires) Mais je pensais que je pouvais donner quelque chose d'intéressant au personnage et aider les autres acteurs à paraître meilleurs que moi.

Pour en finir avec les acteurs, qu'en est-il de Christopher Lee ? Vous avez aussi travaillé à de nombreuses reprises avec lui.

Christopher Lee est un grand monsieur. Il a été marqué par Dracula, mais lui, il voulait en fait jouer le Roi Lear. Nous avons fait près de huit films ensemble. Très sympathique, créatif, fascinant... J'étais un metteur en scène espagnol, latin, et lui un Anglais assez sérieux. Cela dit, il parlait très peu au début de notre collaboration.

Et qu'est-ce qui a dégelé l'atmosphère ?

Dracula. Jusque-là, notre collaboration était sympathique mais froide. Je voulais faire une adaptation fidèle au roman, mais la production avait fait des coupures dans le texte mais peu importe. J'ai dit "On le fait comme c'est écrit. On le tourne et puis après, vous en faites ce que vous voulez". Et Christopher l'a joué de manière magnifique, professionnelle.

Ce n'est pas très étonnant venant de sa part.

Absolument. Il a joué comme un maestro.

Puisque vous êtes juré à ce Festival, quel regard portez-vous sur le cinéma de genre d'aujourd'hui ?

Je n'aime pas beaucoup les films actuels que je viens de voir. Il n'y a pas de cœur, pas d'âme. Qu'elle soit maléfique ou non. Ces bestioles animées par ordinateur qui courent partout dans New York, c'est de la connerie. Il n'y a pas d'âme.

Ce n'est pas votre conception du cinéma ?

Non, il faut qu'il y ait un minimum d'âme. Pas de choses gratuites comme j'ai vues aujourd'hui. Je sais que la plupart des jurés parlent, parlent entre eux. Moi je ne parle pas. Je regarde, c'est tout. On verra bien à la fin.

D'un point de vue technique, quels apports appréciez-vous aujourd'hui ?

La caméra numérique, je n'ai rien contre. Économiquement, c'est très intéressant. Ce n'est pas comme les trucages par ordinateur. Ce n'est plus réel.

Trois films se disputent un même format : CLOVERFIELD, DIARY OF THE DEAD et [REC]. Tournés à la manière d'un documentaire. Selon vous, qu'est-ce qui fait que ce format soit de plus en plus présent sur les marchés du film ?

L'avantage de cette petite caméra, c'est que ça coûte moins cher. Des films peuvent ainsi être faits par des gens qui ne sont pas des gens de cinéma. Des financiers, des amateurs. Avec des effets spéciaux. On vit des moments assez pauvres, où l'authentique disparaît. On n'y croit plus. Je crois que l'essentiel pour un réalisateur est de tourner une histoire à laquelle le spectateur peut croire.

Pour terminer. Mon film préféré est UNE VIERGE CHEZ LES MORTS-VIVANTS. On y trouve beaucoup de poésie, une ambiance fantastique, un érotisme macabre. On a l'impression de marcher dans un rêve ou un cauchemar.

A 100%. C'est un cauchemar, en effet. J'ai essayé de tracer une ligne entre la réalité et autre chose. À partir du moment où le garçon fait la connaissance de la jeune fille, on sait que c'est fini pour le réel. Une vague féerique, surréaliste. C'est la vague des rêves, ce qui est pour moi la base du cinéma... Ça doit être au-delà des choses claires et compréhensibles. J'ai essayé de tendre vers cela. On m'a parfois reproché d'aller trop loin.

On ne va jamais trop loin, à mon avis. On aurait alors toujours des produits sans imagination.

Oui, il faut toujours repousser les limites. Même en dehors du vrai documentaire, comme partir à la guerre, montrer les vraies batailles, sans artifice… Et faire quelque chose de positif pour l'humanité. À côté de cela, les trucs qu'on voit sauter à l'écran cette semaine, c'est complètement débile !

Ce ne sont pas ces films-là qui passeront à la postérité.

Absolument. Il y a des films qui ne meurent jamais. Comme le NOSFERATU. Je parle du premier bien sûr.

La deuxième version semble représenter autre chose ?

J'avais dit à Klaus mais pourquoi refaire le plus beau film qu'on ait jamais tourné ? Quelle prétention ? Quel besoin ? On ne peut pas améliorer cela ! On ne va pas réécrire un roman de Victor Hugo ! Aujourd'hui, on se souvient du premier plutôt que du deuxième. Malgré les moyens, les possibilités techniques... Parce que le cinéma n'est pas un art clair. C'est comme une amie que nous cherchons perpétuellement… UNE VIERGE CHEZ LES MORTS-VIVANTS, c'est un des rares cas où je l'ai trouvée.

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Dossier réalisé par
Francis Barbier