Interview Lamberto Bava (26-10-2004)

2. Partie 1

Francis Barbier : Comment avez-vous décidé d'entrer dans le monde du cinéma ?

Lamberto Bava : Disons que je n'ai jamais pensé faire du cinéma. Je me souviens à 7 ou 8 ans avoir écrit une histoire de pirates sur une vieille machine à écrire Olivetti, c'était tout ce que je voulais. Aller sur un tournage me faisait peur étant enfant : tout ce monde, ces acteurs, ces saltimbanques, ces énormes lumières... Puis j'ai fait mes études pour penser à autre chose. Mais un été, j'avais 17 ou 18 ans, je ne me souviens plus bien, mon père a demandé à me voir sur un tournage. Après mon arrivée, on m'a demandé de rendre service. Puis également le deuxième jour… et ce fut l'engrenage.

Comment étaient les relations avec votre père ?

Mon père… comment dire… était un homme hors du commun. Il n'était pas paternaliste ou régressif, plutôt complice… Un peu comme ses films. Lorsque j'avais des amis à la maison, il se mettait naturellement à discuter avec eux… Pas comme un père de famille l'aurait fait ! Ensuite, je me rappelle qu'un jour sur mon premier job de second assistant, il m'a renvoyé à la maison pour une simple bêtise (rires) ! Mais le chemin se fit naturellement après, je suis devenu son premier assistant puis je me suis intéressé à l'écriture.

Inévitablement, beaucoup de critiques ont comparé votre œuvre à celle de votre père.

Mes films sont bien sûr différents… Mais déjà, ce sont deux époques différentes. Je dois d'abord dire que le virus du fantastique était un peu dans les chromosomes de la famille. Mon père était un lecteur acharné. Nous avions un paquet de livres à la maison : littérature ancienne, moderne, fantastique, science-fiction, les "gialli", les bandes dessinées… Chaque époque possède son mode d'expression et mes premières lectures furent ainsi de la littérature fantastique. Mon père appréciait le fantastique classique, de Dracula aux contes russes, c'était sa source d'inspiration. Ainsi pour lui, l'élément fantastique va venir contaminer le cours naturel de la vie (comme Stephen King a pu le faire par la suite dans son observation de la famille qui se dégrade : le chien, la maison, le père, etc.). Peut-être que ce point de vue est aujourd'hui différent avec moi. L'élément dérangeant fait déjà partie du réel dans mes films.

Comment définiriez-vous votre style ?

Mon style…(hésitant)… Dans le genre fantastique… C'est un style formel, très attentif aux mouvements de caméra, une recherche dans le détail - aussi bien que dans la photographie -, dans une unité de lieu. Ainsi par exemple, une histoire d'horreur peut arriver dans une villa moderne et normale. Dans mon cinéma, les histoires d'horreur arrivent sous cet angle. Le quotidien… Ainsi le point de vue du récit cherche toujours l'élément qui fait naître la peur. La pulsion de peur naît non pas des endroits, des costumes, des décors mais des personnes du quotidien. Un enfant peut faire peur. Bien sûr, la réaction est de le défendre, mais en grandissant, à travers un acte, il peut devenir un monstre.

Comme dans LA MAISON DE LA TERREUR ?

Absolument. Mais je parle aussi d'une certaine considération dans des faits d'homicide. Pourquoi une personne considérée comme normale peut verser dans le meurtre ? Je pense que dans ce type de meurtre si monstrueux, par exemple une femme tuant son propre enfant, il peut peut-être exister un élément surnaturel, comme un élément du mal qui peut agir à ce moment précis.

Comment se passe le travail d'écriture dans un film comme DEMONS où vous étiez quatre ?

Ah. Je dois d'abord expliquer plusieurs choses. Mon premier scénario était un thriller plutôt brutal se déroulant intégralement sur un bateau (ndt : Il s'agit de UNA ONDATA DI PIACERE de Ruggero Deodato en 1975)… et qui a fini en film sexy (rires). Puis vint SHOCK, co-écrit avec Dardano Sacchetti. LA VENERE DI ILLE, que j'ai écrit avec le grand Cesare Garboli, en partant d'un très beau livre de Mérimée. J'en ai écrit la première partie, Cesare la deuxième et puis nous avons tout revu ensemble. C'est la deuxième version que mon père a accepté. Puis à ce point arrive BAISER MACABRE. Mon ami Antonio Avati m'a appelé pour me faire lire un petit article sur un fait divers bizarre. Il me dit "Elle te plait , cette histoire ? on pourrait en faire un film ?" Alors on s'est mis à écrire l'histoire à quatre (ndt : Pupi Avati, Dardano Sacchetti, Roberto "Tonino" Gandus et Lamberto Bava). En dix jours, nous avions 40 pages. Mais à ce moment, je devais rejoindre Dario Argento sur le tournage d'INFERNO à New York. Au troisième jour, je reçois un appel d'Antonio qui me dit que la Medusa (ndt : société de production et de distribution italienne) a lu les 40 pages et qu'ils veulent faire le film ! C'était en Octobre et à fin Novembre 1979 on termina le scénario en 4 jours et 4 nuits.

Et pour l'écriture de DEMONS ?

C'est ainsi que l'idée de DEMONS est née : à plusieurs personnes. Ensuite l'idée d'en faire un triptyque fut de Dardano Sacchetti et je portai l'idée à Dario Argento, comme il voulait justement faire un film avec moi. Et Dario a décidé de faire le film : nous nous sommes ainsi retrouvé à nouveau à quatre pour l'écriture. En fait, je pense qu'un film d'auteur doit s'écrire seul et dans certains cas, il vaut mieux se tromper seul. Mais quand on regarde le grand cinéma italien des années 50 : Zavattini, De Sica…ils ont été écrits à plusieurs. Avec DEMONS, on trouvait une idée le matin et Dario disait "Merveilleux !". Puis il me rappelait dans la nuit en me disant "Ca ne me plaît pas du tout" . Et on recommençait le lendemain jusqu'à trouver la bonne scène. A la fin, je pense qu'il s'agit d'un film qui a changé le cinéma d'horreur des années 80. Il l'a porté à un autre niveau, plus moderne. Mais ce fut difficile de l'écrire : il y avait la volonté, dans la première partie de trouver le ton juste puis, plus délicat, de terminer dans une catastrophe. C'est la fin de la claustrophobie du film d'horreur classique, on termine sur un espace ouvert, différent et tragique. En travaillant à quatre tellement longtemps, c'est aussi le mérite de Dario, la fin du film est venue rapidement avec cette concomitance d'idées. Et ce fut aussi un très bon tournage.

Vous avez réalisé la suite mais pourquoi pas le troisième film prévu ?

Mais, il y a eu un troisième film.

LA CHIESA ?

Oui, LA CHIESA de Michele Soavi. Michele avait déjà travaillé à plusieurs reprises avec moi. Je n'ai pas fait ce troisième opus pour une bonne raison. J'ai eu l'opportunité de créer ma société, ANFRI, et de conclure un contrat avec Mediaset (ndt : société appartenant à Silvio Berlusconi regroupant des chaînes de TV privées comme Italia Uno, La 5 et Rete4) pour quatre téléfilms. Je suis allé voir Dario, le cœur un peu gros de refuser car la production démarrait. Il m'a demandé " Mais qui peut faire ce film ?". Et je lui ai répondu "Michele".

Et donc, il l'a fait...

Oui et très bien en plus. C'est un très beau film, rempli de ses propres idées.

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Francis Barbier
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