REFLET DANS UN OEIL MORT : MONDO MOVIES ET FILMS DE CANNIBALES 2010
Voilà dix ans que nous sommes entrés dans le troisième millénaire, lequel a assurément débuté sur les chapeaux de roue par le biais d'une communication toujours plus rapide et d'une information toujours plus foisonnante. Quelque soit son âge, l'individu a aujourd'hui accès à tout (et plus) en quelques clics seulement. Et même sans cela, l'Homme n'a qu'à patienter dans son sofa pour que les images lui brûlent la rétine ou lui obscurcissent l'esprit. N'assiste-t-on pas aujourd'hui à de stupides expériences de laboratoires nommées " Télé Réalité " ? La presse impudique ne nous offre t'elle pas à sa Une les photographies de malheureux plongeants du ixième étage d'une Tour dans le but d'éviter la mort par le feu ? Le vingt heures de notre première chaîne ne diffuse t'il pas (en s'excusant de la qualité) les images d'un père hurlant, portant dans ses bras son enfant tué par un Tsunami ? Les documentaires ne se bornent-ils plus qu'à filmer l'idiotie, les clichés, la maladie, les mœurs les plus curieuses, la violence ou la folie des hommes ?
Aujourd'hui, ces images ne choquent (presque) plus, elles font partie que ce qu'on appelle noblement l'Information. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il y a cinquante ans environ, l'humanité grotesque, l'horreur, la marginalité et le sexe bizarre étaient regroupés et savamment agencés dans des pellicules connues sous l'appellation "Mondo". Les films sortaient en salles, étaient régulièrement qualifiés d'"infâmes" par les critiques et brassaient les foules, de toutes couches sociales, battant au passage des records de recettes. Curieusement, le Mondo demeure plusieurs décennies plus tard un genre cinématographique inavouable et (sciemment) oublié de tous. Les techniques et objectifs étaient pourtant les mêmes que ceux de nos actuels reportages à sensations : Collecter des images curieuses ou atroces, les fabriquer au besoin et les faire exploser au visage des gens, pour l'Information, pour le Savoir, pour l'Argent.
Rejeté, oublié, méconnu, le Mondo n'a, il est vrai, que peu d'arguments en sa faveur. Et disons-le clairement, l'équipe de DeVilDead n'est pas amatrice de Mondo, pas plus que de l'Information telle que décrite plus haut. Mais ne pas apprécier ne signifie pas pour autant nier. Le "Shockumentaire" est une branche particulière du cinéma d'exploitation, qui elle-même a connu des ramifications telles que le "Death Movie", et a largement nourri certains genres horrifiques tels que le film de Cannibales. En tant que genre "extrême" qui connut un large succès public, le Mondo méritait sans doute une analyse, une rétrospective faite avec recul et grand soin. MONDO MOVIES, REFLET DANS UN ŒIL MORT, le livre de Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud propose cela et bien plus. Tout d'abord, nous ne nous attendions pas à un tel pavé puisque ce premier "Hors-Série Cinexploitation" édité par Bazaar & Co se montre deux fois plus volumineux que les autres bouquins de l'éditeur comme BLAXPLOITATION 70'S SOUL FEVER, TOLÉRANCE ZÉRO : LA JUSTICE EXPÉDITIVE AU CINÉMA ou JOHN MC TIERNAN. Nous avons là pas moins de 366 pages, au texte dense et pour un format de 16 centimètres sur 24. Le papier est le même que pour les livres précités, agréable donc, et l'impression numérique se fait moins sentir qu'à l'accoutumée. Il faut dire que l'iconographie est essentiellement en noir et blanc, et se montre plutôt réussie. Les photos sont rares mais pertinentes, et les affiches tout simplement sublimes.
MONDO MOVIES, REFLET DANS UN ŒIL MORT se décompose en deux parties distinctes, au volume presque égal. La première nous brosse un historique du genre, de sa vocation essentiellement "érotique" à ses débuts, avant de verser par la suite dans le glauque et le sordide. La transition est logique, naturelle, documentée et ponctuée d'œuvres marquantes. Il en sera même lorsque le bouquin abordera les "Death Movies", puis les films de Cannibales. Les réalisateurs "majeurs" sont ici traités en détail et leur filmographie est soigneusement décortiquée. On y trouvera donc les noms connus que sont Gualtiero Jacopetti, Franco Prosperi, les frères Angelo et Alfredo Castiglioni, Antonio Climati et Mario Morra, mais aussi quelques curiosités assez révélatrices de l'engouement pour le Mondo, à une certaine époque. Les auteurs citent à juste titre Jean Rouch et LES MAITRES FOUS, œuvre ethnologique si marquante (à redécouvrir aux Editions Montparnasse) qu'elle ne saurait être totalement étrangère aux "explorations" italiennes qui suivirent. D'ailleurs nous parlons d'Italie mais également des Etats-Unis, de la Belgique, de la France, etc. Le tour du monde est relativement exhaustif même si, curieusement, les films de Seppuku nippons semblent n'avoir pas été retenus…
La seconde moitié du bouquin aborde pour sa part le phénomène Mondo sous un angle plus "thématique". A cette partie nous reprocherons des titres de chapitres assez peu évocateurs de leur contenu. Difficile donc a posteriori de revenir sur un point particulier sans avoir à parcourir de nouveau l'ensemble de cette deuxième portion du livre. Mais ce point n'empêche en rien le contenu d'être là encore très pertinent. On revient sur l'esthétique du Mondo, son accueil, ses "ficelles", ses bandes originales mais aussi quelques films ou auteurs en particulier. Les chapitres sont nombreux et chacun d'eux peut être perçu comme un petit essai pointant un aspect particulier du phénomène Mondo. L'accumulation fait par instants "fourre-tout" mais ne boudons pas notre plaisir car encore une fois, le lecteur est récompensé par de nombreuses informations et d'intelligentes réflexions.
Le bouquin s'achève enfin par un index relativement important et salvateur. Une liste des métrages de type "Mondo", "Death Movie" ou "Cannibals Movie" est également proposée. Bien que relativement complète, nous noterons quelques absences du côté de l'Asie notamment, mais aussi celle du KARAMOJA de William B. Treutle, un métrage pseudo-éducatif de 1954 qui nous semblait pourtant tenir une place importante dans l'histoire (et particulièrement la naissance) du Mondo. Pardonnons ces quelques oublis en ajoutant que MONDO MOVIES, REFLET DANS UN ŒIL MORT cite ses sources tout au long de ses pages. Celles-ci sont très nombreuses et permettront aux amateurs d'aller plus avant dans le sujet s'ils le souhaitent. On retrouvera également en fin de bouquin un récapitulatif de ces différentes sources d'information papier, qu'il s'agisse de livres ou de magazines.
Le Mondo avait déjà été traité par le biais de bouquins anglophones comme par exemple SWEET AND SAVAGE de Mark Goodall. Chanceux nous sommes car non seulement le pavé de Sébastien Gayraud et Maxime Lachaud offre une alternative francophone, mais en plus il s'impose comme un bel ouvrage de référence sur le sujet. Qu'importe la polémique, le fait que l'on soit amateur, détracteur ou même rebuté par l'aspect indiscutablement "déviant" du Mondo. Les auteurs ne sont en aucun cas dupes et nous livrent une analyse factuelle du phénomène, dénuée de complaisance et de gratuité. Dans leurs pages, le Mondo est un sous-genre qui trouve enfin sa place au sein de l'histoire du cinéma d'exploitation, et du cinéma tout court. La lecture du bouquin semble donc toute indiquée à ceux qui aiment le cinéma, son histoire et ses multiples facettes, qu'elles soient belles, nobles, ou a contrario moches et franchement douteuses comme c'est le cas ici !