Le professeur Morlant, peu avant sa mort, déclare vouloir être enterré avec la "Lumière éternelle", un joyau égyptien qui devrait lui permettre d'accéder à l'immortalité. Mais il est inhumé sans le bijou, volé par son domestique. Morlant revient alors d'entre les morts pour se venger...
Traditionnellement, l'âge d'or du cinéma fantastique parlant américain est situé entre les sorties de deux réalisations de Tod Browning : DRACULA (en février 1931) et LES POUPEES DU DIABLE (juillet 1936). S'y sont succédés de nombreux chefs-d'œuvre, produits par les plus grandes compagnies, parmi lesquelles Universal se taille la part du lion. Grâce à ces titres, des européens ont pu faire leurs premiers pas à Hollywood, comme les réalisateurs Michael Curtiz (DOCTEUR X...), Karl Freund (LA MOMIE...) ou des acteurs comme les hongrois Bela Lugosi (DRACULA...) et Peter Lorre (LES MAINS D'ORLAC version 1935...), ou les anglais Charles Laughton (UNE SOIREE ÉTRANGE...) et Claude Rains (L'HOMME INVISIBLE...).
Boris Karloff est lui aussi d'origine anglaise, et il végétait à Hollywood, dans des rôles secondaires, depuis 1916. La gloire viendra pour lui avec le visage terrifiant du monstre de FRANKENSTEIN, grâce au film de James Whale sorti par Universal en 1931, après DRACULA. Cette firme voit en Karloff un nouveau Lon Chaney (mort en pleine gloire, en 1930) et veut lui confier d'autres rôles à maquillage. Il est vite sommé de retravailler avec James Whale pour UNE SOIREE ÉTRANGE, dans lequel il joue un inquiétant domestique. Surtout, on confie à l'allemand Karl Freund la réalisation de LA MOMIE, qui offre à Karloff, encore maquillé, un rôle autrement plus subtil. Enthousiaste, la Universal a plein d'autres idées pour sa star de l'horreur, parmi lesquelles une nouvelle adaptation de "Notre-Dame de Paris", une suite de FRANKENSTEIN et une transposition du roman "L'homme invisible".
Pourtant, Karloff se fâche temporairement avec les dirigeants de cette compagnie, pour des raisons de rémunération. L'HOMME INVISIBLE sera finalement interprété par Claude Rains, et Karloff accepte une offre lui permettant de travailler dans son Angleterre natale, où vit toujours sa famille. Il s'agit du FANTÔME VIVANT, produit par Gaumont British Pictures Corporation, qui voit ici l'occasion d'exploiter la très grande popularité des films d'horreur américains auprès du public britannique. On choisit d'adapter une pièce de théâtre de Frank King, et de sélectionner le réalisateur d'origine américaine T. Hayes Hunter. Pour des postes techniques, on fait appel au savoir-faire germanique en matière fantastique, avec le directeur artistique Alfred Junge et, surtout, le grand chef-opérateur Günter Krampf (NOSFERATU LE VAMPIRE...). Le casting aussi mérite le coup d'œil. Certes, Karloff tient le haut de l'affiche, mais on trouve, à ses côtés, une exceptionnelle galerie de comédiens britanniques : Cedric Hardwick (LA VIE FUTURE...), Ralph Richardson (alias Dieu dans BANDITS, BANDITS...) et Ernest Thesiger (docteur Pretorius dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN...) ! Tous les éléments semblent réunis pour un nouveau chef-d'œuvre de l'épouvante...
Le professeur Morlant croit dur comme fer aux traditions égyptiennes, même dans leurs aspects les plus macabres. Alors qu'une maladie le ronge et que la mort est proche, il fait promettre à son domestique Laing de le faire enterrer avec la "Lumière Éternelle", qui lui assurera l'immortalité. Morlant menace encore de revenir hanter son serviteur si celui-ci n'exécute par scrupuleusement cette dernière volonté. Or, la "Lumière Éternelle" est en fait un médaillon antique d'une très grande valeur, à l'origine de bien des convoitises. Une fois le décès de Morlant constaté, sa dépouille est placée dans son caveau, dont l'apparence évoque quelque lugubre mastaba. Mais Laing a gardé le médaillon et l'a dissimulé dans le manoir. Deux mystérieux personnages, à l'allure orientale, rôdent dans les parages. Le notaire Doughton, chargé de régler cette succession, se comporte de façon étrange. Les deux héritiers, les jeunes Betty et Ralph, arrivent dans cette atmosphère inquiétante...
Fidèle à sa parole, Morlant va sortir de son sarcophage et se venger de ceux qui l'ont trahi. C'est Karloff, à nouveau affublé d'un (relativement léger) maquillage, qui tient le rôle de ce personnage hideux et fanatique. Toutefois, sa laideur n'est pas due à sa condition de mort-vivant, puisque son visage est déjà ainsi déformé avant sa mort, suite, on suppose, à une terrible maladie. LE FANTÔME VIVANT a, par ailleurs, souvent été catalogué parmi les films de zombis. Toutefois, il se conclut sur une explication (vaguement) rationnelle qui le rapproche nettement plus de films comme VAUDOU ou L'EMPRISE DES TENEBRES que de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS.
Disons-le tout net : les amateurs de monstres et de Boris Karloff seront en droit d'être un peu déçus. Après un démarrage vraiment prometteur, l'acteur disparaît de l'écran pour un temps assez considérable, et ne se décide à revenir d'entre les morts que tardivement. L'essentiel de l'intrigue est constitué d'un jeu de cache-cache, assez laborieux et bavard, dans l'ambiance macabre du manoir Morlant. Personnages sans épaisseur, absence de rebondissements significatifs, passages "comiques" embarrassants... : LE FANTÔME VIVANT peine à convaincre.
Heureusement, on peut apprécier un travail admirable sur l'atmosphère, particulièrement en ce qui concerne les superbes éclairages nocturnes et le raffinement des décors, en tous points dignes des meilleures productions américaines de l'époque. Les comédiens font de leur mieux, notamment ceux qui interprètent les inquiétants méchants. Mais le récit leur donne trop peu d'éléments pour étoffer leurs personnages aux motivations simplistes.
LE FANTÔME VIVANT n'est pas un film dénué de qualité. Son démarrage intéressant et son dénouement horrifique se révèlent même franchement réussis. Mais, cette oeuvre manque de nerf et de personnalité, et ne peut pas rivaliser avec les meilleurs classiques hollywoodiens qui lui étaient contemporains. En tout cas, ce film fut mal accueilli à sa sortie, si bien que Karloff reviendra aux États-Unis et, une fois réglé son différend avec Universal, à l'horreur hollywoodienne, dans l'admirable CHAT NOIR d'Edgar G. Ulmer. On le verra tenir à nouveau le rôle d'un zombi dans un film plus réussi : LE MORT QUI MARCHE, réalisé en 1936 par Michael Curtiz, pour Warner. Signalons enfin que les anglais Baker et Berman (JACK L'ÉVENTREUR...) produiront un remake du FANTÔME VIVANT, sur un mode comique, en 1962 : WHAT A CARVE UP! (alias NO PLACE LIKE HOMICIDE aux USA, et LE CHÂTEAU HANTE en Belgique).
LE FANTÔME VIVANT a longtemps été considéré comme une oeuvre perdue corps et biens. Pourtant, une copie tchèque a fini par refaire surface. Très abîmée et incomplète (73 minutes au lieu de 80), souvent présentée recadrée pour masquer les sous-titres brûlés sur cette épreuve, elle a été notamment distribuée en DVD en Angleterre (PAL, Zone 2), et diffusée, encore récemment, sur les chaînes câblées françaises.
Heureusement, du matériel en bien meilleur état a été retrouvé récemment en Angleterre, ce qui permet de proposer une copie complète du film, beaucoup plus satisfaisante. C'est cette nouvelle version que MGM a distribuée aux USA (NTSC, Zone 1), sans fanfare ni trompette, sous une jaquette anonyme, pour Halloween 2003.
La qualité d'image (4/3 d'origine) est absolument époustouflante. Le noir et blanc est d'une très grande propreté et d'une subtilité telle qu'on pourrait croire que le film a été tourné récemment. Ce ne sont pas quelques très légers et très ponctuels points blancs ou soucis de fixité qui viendront gâcher l'émerveillement provoqué par le travail réalisé sur ce film âgé de 70 ans... Impressionnant !
La bande-son (mono d'origine), là-aussi, étonne. Les tons sont très doux, il y a peu de distorsions et les bruits de fond ou les craquements ne se font jamais gênants. On reste admiratif... En plus, tout cela est servi avec des sous-titrages anglais, espagnol et français. Par contre, en ce qui concerne les bonus, c'est le désert total, ce qui est tout de même regrettable au vu de l'intérêt historique indéniable de ce titre.
Certes, LE FANTÔME VIVANT est loin d'être le film le plus intéressant de la carrière de Karloff. Néanmoins, sa vision, dans des conditions techniques ici excellentes, s'impose pour tous les cinéphiles férus de ce grand acteur.