A la fin des années 60, l'industrie cinématographique japonaise est toujours tenue par les grands studios (Toho, Daiei ou Toei…). La plupart des artisans qui y travaillent sont donc sous contrat et enchaînent tournage sur tournage, passant d'un genre à l'autre ou d'un film ambitieux à une bande d'exploitation, sans que le niveau de qualité ne s'en ressente ! Ce qui explique la haute tenue de la plupart des films d'exploitation japonais produits jusqu'à la fin des années 70. Avec la libéralisation des mœurs, l'érotisme devient un genre à ne pas négliger et les studios ne se posent aucun problème moral en produisant chacun des œuvrettes plus ou moins suggestives ou osées ! Toutes les voies sont explorées pour mettre sur grand écran divers fantasmes : des yakuzas libidineux, des gangs de nanas, des nonnes frustrées, des prisonnières à la merci de leur gardien… Sexe et violence se mélangent sans complexes dans pas mal de films à tendance sadomasochiste. Dans cette effervescente production en quête du toujours «plus», la Toei produit FEMMES CRIMINELLES de Teruo Ishii. Un film en costumes qui propose trois sketches où la finalité est d'aligner sexe et horreur en suppliciant ou humiliant ses protagonistes féminines ! Le studio exploitera cette veine à travers une série de films utilisant le Japon féodal comme terrain de jeu pour des fantasmes extrêmes…
Tous ces films prennent place durant l'ère Tokugawa, comme la plupart des films de sabre japonais. Durant cette période, le pays du Soleil levant connaît un peu plus de deux siècles d'un ordre relatif sous la direction de Shoguns successifs. A cette même époque, les châtiments pour des infractions aux lois sont souvent d'une grande sévérité et pendant une longue période, les adeptes du christianisme furent lourdement persécutés en raison de leur seule croyance. Un état d'esprit à rapprocher de l'inquisition et autres chasses aux sorcières conduites en Europe et dont le cinéma se sera inspiré de la même façon (LE GRAND INQUISITEUR de Michael Reeves, LA MARQUE DU DIABLE ou LE TRONE DE FEU de Jesus Franco). Mais contrairement aux films occidentaux qui se servent de ce décor historique comme une toile de fond à leurs récits plus ou moins structurés, les métrages japonais épurent largement le prétexte scénaristique. Pour preuve, FEMMES CRIMINELLES ou le SHOGUN'S SADISM qui nous intéressent ici sont composés de sketches à la trame simpliste dont le but n'est que d'aligner tortures, mises à mort et relations sexuelles plus ou moins voulues !
Pendant un temps, Yuji Makiguchi est l'assistant de Teruo Ishii sur divers métrages de la Toei qui exploitent le filon du «pinku eiga», film érotique, en costumes. Au milieu des années 70, il s'essaye à supplanter son maître en réalisant SHOGUN'S SADISM qui n'est qu'un film de plus dans une série nommée Tokugawa, en raison de la période en question ! Comme le premier film de Teruo Ishii, il s'agit aussi d'un film à sketches. Deux histoires nous y sont racontées. La première met en scène un samouraï qui lie une relation amoureuse avec la fille d'une famille chrétienne. Sous les ordres d'un sadique magistrat, il est forcé d'assister aux diverses tortures commises à l'encontre de ceux qui croient dans une autre religion. Bien entendu, la fille dont il est amoureux tombe entre le mains du magistrat qui s'amuse à lui faire subir divers outrages après avoir compris que le samouraï en pince pour elle.
La seconde histoire, moins intéressante, suit l'histoire d'un homme qui accumule des dettes dans une auberge en se faisant passer pour une riche personne. Une fois son stratagème éventé, il est contraint de devenir l'homme à tout faire de ce qui est un lupanar aux geïshas faciles. Une histoire de la petite vie intérieure et sordide d'un tel établissement qui se finira bien entendu dans la douleur et le sang !
Au début de SHOGUN'S SADISM, on sera étonné d'assister à un générique composé d'images d'archives contemporaines plutôt violentes ! A l'issue de quoi, on nous assène une petite phrase nous expliquant que de tous temps, l'homme a su faire preuve de la plus grande cruauté. Bienvenue dans le Japon médiéval ! A elle seule cette phrase résume non seulement le film qui va suivre mais tout autant le scénariste et le réalisateur de cette obscure oeuvrette. Car ce film n'invente rien et suit seulement une recette déjà éprouvée qu'il n'était à vrai dire pas besoin de continuer ! S'ensuivent donc des séquences bien gratinées : écartèlement, interruption de grossesse manuelle (Quelques années avant que George Eastman ne s'y mette lui-même dans le ANTHROPOPHAGOUS de Joe D'Amato), arrachage de parties du corps, décapitations… Un menu pour les cœurs bien accrochés, assaisonné de séquences «érotiques» floutées où il n'y a rien à voir ! Ces dernières participant plus du fantasme de ce que l'on peut imaginer voir que d'un véritable acte présent à l'écran. Car certaines de ces séquences volontairement floutées mettent en scène des protagonistes habillés de pied en cape. Ces effets qui masquent, ici d'improbables révélations de parties génitales ou surtout de poils pubiens, sont tout à fait normaux compte tenu de la censure japonaise.
Pas spécialement bandant, franchement atroce et peu ragoûtant le film de Yuji Makiguchi est de plus réalisé sans finesse ni inventivité, ce qui donne à l'ensemble un côté totalement gratuit et inutile. Les décors ou les costumes sont comme on peut s'en douter d'excellente facture, mais les acteurs ne sont pas forcément à l'aise dans certaines scènes qui méritent plus que de «hurler» ou se «dévêtir» comme lors d'un affrontement au sabre où manifestement tout ce petit monde n'a jamais manipulé un katana auparavant. SHOGUN'S SADISM laisse donc à désirer !
L'éditeur Shock fait en sorte de bien emballer son produit. La jaquette du boîtier est plutôt laide mais le tout est recouvert d'un fourreau cartonné blanc qui met bien en valeur la scène «phare» de SHOGUN'S SADISM. Autre touche «amusante», le menu principal est assez surprenant puisqu'en fonction des choix que vous faites, vous envoyez ad patres l'un des suppliciés avec une animation et un effet sonore grand guignolesque.
Toutefois, le petit dépliant intérieur essaye d'induire en erreur en laissant planer le doute que ce film ait pu être réalisé en 1969 par Teruo Ishii. Ce même dépliant permet d'ailleurs d'obtenir un aperçu de la filmographie de Teruo Ishii. Une pratique assez discutable bien que l'on ne sache pas s'il s'agit d'une manœuvre volontaire ou d'une confusion de la part de l'éditeur ! Reste que le cinéaste japonais est tout de même représenté sur le DVD puisque l'on peut y retrouver les bandes-annonces de FEMMES CRIMINELLES et L'ENFER DES TORTURES. Des bandes-annonces pour deux autres films sont aussi présentes !
Les bandes-annonces sont toutes en version allemande, format Scope et 16/9 bien que l'image soit bourrée de défauts de pellicule. Un souci largement moins présent sur SHOGUN'S SADISM qui bénéficie lui aussi d'un transfert 16/9 au format (2.35). L'image de cette édition DVD est plutôt surprenante surtout compte tenu de l'aspect très confidentiel d'un tel film. A ce niveau-là, Shock ne se moque pas de ses clients !
La jaquette intérieure promet un doublage allemand mais pas le fourreau. Ce dernier a raison puisque la seule piste sonore est la version originale en japonais. Pour ceux qui n'ont pas de notion de cette langue, il est possible d'afficher des sous-titrages en néerlandais, allemand ou anglais. Sans autre défaut que les limites du mono d'origine, la piste sonore sonorise sans encombre SHOGUN'S SADISM.
En plus d'une petite sélection de bandes-annonces de films de la même veine que SHOGUN'S SADISM, on remarquera d'ailleurs que celle du métrage de Yuji Makiguchi n'apparaît pas, le DVD introduit une très courte galerie de photos qui semblent sortir directement du film, ce qui en limite leur intérêt.
Edition de qualité pour un film qui ne le méritait peut-être pas, le DVD de SHOGUN'S SADISM devrait tout de même attirer un public en mal de sensations fortes puisqu'il n'existe pas, à notre connaissance, pour le moment d'autres films exploitant le même thème. Mais ne vaut-il pas mieux au moins attendre qu'un titre de meilleure qualité ne fasse son apparition ?