Alex, un écrivain, se rend, en compagnie de son amie Rita, à "l'auberge du croisement", un ancien hôtel abandonné, afin d'enquêter sur des évènements étranges s'y étant déroulés depuis le XVIIIème siècle. Alors qu'Alex découvre des informations nouvelles sur ces faits mystérieux, Rita semble tomber sous l'emprise de la terrible demeure...
Le réalisateur Ivan Zuccon a d'abord tourné toute une série de films courts avant de parvenir à faire financer, en 2000, un long-métrage en vidéo : L'ALTROVE, dans lequel une humanité en pleine extinction affronte des créatures indicibles, venues de dimensions inimaginables. Il y revendique l'influence de l'écrivain américain Howard Philip Lovecraft, dont on retrouve certaines créations, comme la ville fictive d'Arkham ou le grimoire du "Necronomicon". Zuccon a en tête l'idée d'une trilogie, et il tourne rapidement une suite, MAELSTROM, IL FIGLIO DELL'ALTROVE (distribué en France en vidéo et en DVD par Uncut Movies sous le titre : UNKNOWN BEYOND). Il envisage, évidemment, un troisième volet à ce cycle, dont le titre international serait THE LOST BEYOND, et qui devrait sortir en janvier 2004.
Néanmoins, entre le tournage du second et du troisième volet, il parvient à réaliser THE SHUNNED HOUSE, un autre film d'épouvante, plus classique, mêlant trois nouvelles de Lovecraft : "La maison de la sorcière", "La musique d'Erich Zann" et "La maison maudite" (dont le titre original est, justement, "The shunned house"). Comme pour ses longs-métrages précédents, ce film est tourné en vidéo numérique, mais bénéficie néanmoins de moyens relativement confortables. Tout est tourné dans une vieille demeure située aux alentours de Rovigo, à quelques kilomètres de Venise. Les acteurs font pour la plupart leurs débuts à l'écran.
Alex et sa compagne Rita font une enquête sur une demeure réputée maudite : l'Auberge du Croisement. En effet, avant qu'elle ne soit abandonnée, cette bâtisse a été le théâtre de tragédies, de meurtres, de suicides, voire de décès encore inexpliqués. L'attention des investigateurs se porte particulièrement sur deux morts très mystérieuses : celle d'un mathématicien et celle d'un écrivain. Tandis qu'Alex s'imprègne de l'atmosphère du lieu et rassemble des informations nouvelles, Rita paraît affectée par l'ambiance confinée et pourrissante de la maison abandonnée. La nuit, dans son sommeil, elle se met à parler français, langue qu'elle ne connaît pourtant pas...
Zuccon, pour l'instant, a nettement placé sa carrière sous le signe du toujours populaire Howard Philip Lovecraft. Ainsi, on a vu que ses deux premiers longs-métrages étaient dans le prolongement des écrits du maître de Providence, tandis que ce nouveau film adapte, en les entremêlant, trois de ses nouvelles. Ce réalisateur s'inscrit ainsi dans la tradition d'autres grands maîtres du fantastique italien. Fulci avait ainsi fait explicitement référence à l'écrivain américain dans FRAYEURS (qui se déroule dans la petite ville rurale de Dunwich, imaginée par Lovecraft), tandis que L'AU-DELA renvoie à quelques nouvelles, comme "Le modèle de Pickman", et met en vedette le livre d'Eibon (manuscrit fictif inventé par Clark Ashton Smith, ami de Lovecraft, en réponse au célèbre Necronomicon). Argento, de son côté, avait envisagé, à la fin des années 1970, de réaliser un film inspiré du mythe de Cthulhu, à la demande du producteur Dino De Laurentiis. Mais le projet a été finalement abandonné. Il n'en reste pas moins qu'INFERNO a quelques relents lovecraftiens indéniables, notamment à travers la place centrale accordée au mystérieux ouvrage alchimique "Les trois mères".
THE SHUNNED HOUSE s'attaque donc à trois nouvelles, assez habilement combinées. "La maison maudite" sert de base au récit, puisqu'elle correspond à l'aventure vécue par les enquêteurs Alex et Rita. Si la nouvelle de Lovecraft mettait en scène une entitée vampirique, sévissant dans une demeure de Providence depuis le XVIIIème siècle, le film de Zuccon substitue à ce monstre la sinistre magicienne de la nouvelle "La maison de la sorcière". Cette partie contemporaine, utilisée comme fil rouge du film, est loin d'être la plus captivante. Combinant une interprétation franchement approximative (Federica Quaglieri, constamment cadrée à hauteur de décolleté), à une narration confuse, elle semble entretenir une ambiance mystérieuse un peu gratuite. Le rôle de la jeune femme se tapant la tête contre le mur n'est pas très bien explicité, par exemple.
L'épisode inspiré par "La musique d'Erich Zann" est, de son côté, assez fidèle à la nouvelle originale. Certes, le joueur de viole se transforme en jeune femme violoniste, mais le déroulement des évènements est plutôt proche du texte de Lovecraft. Un écrivain sans le sou est fasciné par la mystérieuse musique qu'interprète nuitamment sa voisine Carlotta Zann. Celle-ci accepte de jouer pour le jeune homme, mais refuse de lui interpréter l'intrigante mélodie qu'elle répète seule la nuit... Ce texte avait déjà été adapté à deux occasions : en 1980, avec le court THE MUSIC OF ERICH ZANN de John Strysik (par ailleurs co-auteur d'un remarquable livre sur les transpositions de Lovecraft au cinéma : "The lurker in the lobby") ; en 2002, avec le moyen-métrage THE MUSIC OF ERICA ZANN de Jeremy Hechler.
Enfin, le troisième texte adapté est l'excellent "La maison de la sorcière", déjà porté à l'écran dans LA MAISON ENSORCELEE, dont le seul intérêt était de réunir Boris Karloff, Christopher Lee, Barbara Steele et Michael Gough dans un même film. Dans THE SHUNNED HOUSE, le récit s'avère, là-aussi, assez fidèle à la nouvelle. Evidemment, les moyens ne sont pas suffisants à la reconstitution des visions les plus délirantes du texte. Mais on retrouve bien le jeune mathématicien dont les nuits sont hantées par les esprits d'une sorcière malfaisante et de son insolite familier (dans la nouvelle, un homme-rat ; dans le film, un tueur dont la silhouette semble sortir de SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN).
Bien que tourné en vidéo numérique, THE SHUNNED HOUSE a été réalisé avec un soin tout à fait impressionnant. A quelques exceptions près, les acteurs sont très corrects ; les costumes et les meubles, brassant plusieurs périodes, sont soignés ; enfin, le travail sur les éclairages et les mouvements de caméra, très nettement influencé par certains films de Fulci comme L'AU-DELA ou LA MAISON PRES DU CIMETIERE, sont d'un très haut niveau, voire supérieurs à ce dont se contentent certains film en pellicule 35 mm. La réalisation travaille les transitions, compose des plans élaborés, affine sa mise en scène (jeux sur les miroirs, entre autres) et ménage quelques effets fantastiques (apparitions-disparitions mystérieuses au sein d'un plan-séquence, par exemple). Bref, on est très loin d'un film torché en DV dans un entrepôt désaffecté par quelques potaches. Il est évident que Zuccon a tout le savoir-faire requis pour passer à un film tourné avec des moyens plus traditionnels.
Néanmoins, THE SHUNNED HOUSE n'est pas dénué de maladresses. Les récits sont assez habilement emboités et, à la manière de LISA ET LE DIABLE de Bava, Zuccon semble prendre un malin plaisir à perdre ses personnages et ses spectateurs dans un obscur dédale temporel. Hélas, tout cela peut sembler souvent confus, voire ennuyeux. Les récits fonctionnent avant tout grâce à des dialogues et stagnent bien souvent. Le recours à des scènes plus ou moins chocs et à des effets lourds, souvent gratuits et répétitifs (éclairage stroboscopique, bruitage mystérieux venu d'on ne sait où...) assomment plus qu'ils ne surprennent. Ainsi, le seul effet gore vraiment convaincant, qui illustre le dénouement de "La musique d'Erich Zann", fonctionne parce qu'il s'inscrit nettement dans son récit et ne semble pas tomber comme un cheveu dans la soupe. Enfin, la plus grosse faiblesse de THE SHUNNED HOUSE est sans doute d'avoir été tourné à la manière d'un film sur pellicule, usant de procédés marchant très bien en cinéma traditionnel, mais donnant des résultats franchement passables si on les transcrit à l'identique en vidéo : ralenti, brumes, éclairages diffus, clair-obscur, filtres... Le travail sur l'atmosphère accompli par Zuccon se heurte alors à la texture lisse et terne de la vidéo. THE SHUNNED HOUSE ne semble, en fin de compte, que l'ébauche de ce qui aurait pu être une oeuvre magnifique si elle avait été filmée avec de la pellicule argentique.
En cherchant à mêler épouvante gothique italienne et Lovecraft, Zuccon semble marcher nettement sur les traces du Fulci de L'AU-DELA. Hélas, le résultat ne convainc qu'à moitié, et donne surtout envie de voir ce dont son réalisateur sera capable quand il accèdera à des moyens de "vrai" cinéma.
THE SHUNNED HOUSE, destiné au seul marché de la vidéo, est distribué en France par Uncut Movies. Le DVD est distribué essentiellement par correspondance, dans un tirage limité de 1000 exemplaires. L'image est proposée au format 1.77, sans option 16/9 (pourtant l'édition britannique propose, semble-t-il, cette fonction). Il s'agit évidemment d'une source vidéo, qui a donc des limitations dans certains passages (scènes sombres assez bruitées par exemple), mais le résultat est correct si on le rapporte aux conditions de tournage. La bande-son est proposée dans sa version originale (en anglais), dans une stéréo assez brute, au mixage parfois confus. Encore une fois, ces soucis techniques sont à mettre en rapport avec les limites matérielles d'un tel projet.
Les bonus proposés pour le film sont les même que pour les DVD américain et anglais. On trouve donc deux bandes-annonces ainsi qu'un montage de photographies de plateau et de tournage (trois minutes). On a aussi accès à plusieurs scènes alternatives, parmi lesquelles une séquence rendant clairement hommage à OPERATION PEUR (les pièces) et une fin alternative, fidèle à la nouvelle "La maison maudite" (l'acide). Enfin, Uncut Movies a rajouté trois bandes-annonces, correspondant aux autres titres que cet éditeur propose en DVD : UNKNOWN BEYOND, DEATH FACTORY et son tout nouveau UNHINGED.
Plus prometteur que vraiment réussi, ce nouveau film Lovecraftien de Ivan Zuccon laisse sur un sentiment partagé. Néanmoins, les amateurs de l'écrivain sont invités à se faire leur idée par eux-mêmes, en acquérant ce titre, proposé ici dans une édition satisfaisante.