New York est devenu un véritable enfer de la violence. Les braves gens ne peuvent plus sortir le soir sans risquer d'être agressés par des loubards. La police, entre manque de moyens et paresse institutionnalisée, ne se montre pas à la hauteur de ses responsabilités. Quand à la justice, le laxisme des juges ne permet pas aux petites gens d'obtenir réparation pour les préjudices qu'ils subissent. De plus, les criminels ne sont presque jamais condamnés, alors même qu'ils s'en prennent à des femmes, des enfants, des personnes âgées ou des handicapés. Les voyous traînent donc dans la rue où ils peuvent continuer impunément à déranger les honnêtes travailleurs, ou à vendre de la drogue à des enfants. C'en est trop pour Nick qui, avec des amis, crée un comité de "Vigilante", une milice secrète, armée et entraînée, qui se charge de résoudre elle-même les affaires criminelles que la loi officielle ne peut pas, ou ne veut pas, résoudre... Eddie, un ami de Nick, affirme être contre ces méthodes et veut croire en la justice de son pays. Mais, quand son fils et sa femme seront agressés par une bande de punks ultra-violents, il va aller de désillusion en désillusion...
La pratique de la justice privée et le maintien de l'ordre hors du cadre de la légalité ont été, à de nombreuses reprises, traités au cours de l'histoire du cinéma. Ainsi, Fritz Lang montre, dans M LE MAUDIT de 1931, la pègre mettre fin aux actes criminels d'un tueur d'enfants que la police ne parvient pas à capturer. Lang dénoncera aussi la pratique du lynchage dès son premier film tourné aux USA : FURIE, dans lequel Spencer Tracy est accusé d'un crime qu'il n'a pas commis.
VIGILANTE s'inscrit dans un courant de films policiers violents et désabusés qui s'est développé au cours des années 1970. La voie est largement ouverte par L'INSPECTEUR HARRY, classique de Don Siegel dans lequel Clint Eastwood incarne un flic violent : lassé par la corruption et les lourdeurs administratives entravant le bon fonctionnement de la justice officielle, il n'hésite pas à recourir à des méthodes illégales pour faire régner l'ordre... "Dirty Harry" allait devenir l'un des personnages les plus populaires du cinéma américain, apparaissant dans quatre suites : MAGNUM FORCE, L'INSPECTEUR NE RENONCE JAMAIS, LE RETOUR DE L'INSPECTEUR HARRY et LA DERNIÈRE CIBLE.
Dans sa roue, on voit, en 1974, apparaître un autre dur-à-cuir dans UN JUSTICIER DANS LA VILLE : Paul Kersey, architecte de son état, incarné par Charles Bronson, se venge lui-même de la mort de sa femme et du viol de sa fille. On aurait pu s'arrêter là, mais, huit ans plus tard, la firme Cannon a l'idée d'en faire une série en lui donnant trois suites officielles : UN JUSTICIER DANS LA VILLE 2, LE JUSTICIER DE NEW YORK, puis LE JUSTICIER BRAQUE LES DEALERS. Entre-Temps, cette compagnie emploie à de nombreuses reprises Bronson dans des rôles fort semblables, comme pour LE JUSTICIER DE MINUIT ou LA LOI DE MURPHY. Les aventures musclées de Paul Kersey reprendront une ultime fois, en 1995, avec LE JUSTICIER 5 : L'ULTIME COMBAT, toujours avec Bronson, mais sans la Cannon qui avait disparu depuis un bon moment.
Après les aventures de l'inspecteur Harry et de Paul Kersey, policiers et particuliers se bousculent pour punir les malfrats selon des méthodes que n'approuverait pas Amnesty International ! James Glickenhaus propose, en 1980, dans LE DROIT DE TUER, les aventures d'un vétéran du Vietnam qui, excédé par l'insécurité et assoiffé de vengeance, prend l'initiative de nettoyer par ses propres moyens les rues de New York. Ce film aura une suite, EXTERMINATOR 2, réalisée par Mark Buntzman. Même les écoles deviennent des lieux peu sûrs, et des sauvageons, organisés en bande, font passer de sales quarts d'heures au corps enseignant. Certains pédagogues vont alors décider de leur inculquer le civisme à coups de batte de base-ball : CLASS 1984 de Mark L. Lester ouvre la danse, suivi par LE PROVISEUR, avec James Belushi, puis THE SUBSTITUTE (et ses suites...). Enfin, la Cannon, en association avec Warner Bros, permet à Stallone, alors au sommet de sa popularité, d'incarner un flic-justicier impitoyable dans COBRA, en 1986.
Ce genre de film à thématique "sécuritaire" aura aussi son succès à l'étranger, notamment en Italie où les problèmes de corruption sont très sensibles dans les années 1970. Les méthodes du commissaire Belli, incarné par Franco Nero dans LE TÉMOIN A ABATTRE de Castellari, sont proches de celles d'un inspecteur Harry. Dans IL CITADONE SI REBELLA, sorti la même année que UN JUSTICIER DANS LA VILLE, Nero interprète un ingénieur qui décide de régler ses comptes sans l'aide de la justice. Même en France, le souffle de la vengeance privée se fait sentir ! En 1975, dans L'AGRESSION de Gérard Pirès, Jean-Louis Trintignant incarne un homme qui veut se venger de la bande de motards qui a violé et tué sa femme et sa fille. La même année, Robert Enrico propose une thématique semblable, mais dans le cadre de la seconde guerre mondiale, avec son célèbre LE VIEUX FUSIL. Enfin, Jean-Paul Belmondo joue des flics qui n'hésitent pas à sortir du cadre de la légalité pour piéger les criminels (FLIC OU VOYOU), voire pour régler leurs comptes de façon brutale (LE MARGINAL).
En 1982, Lustig venait de réaliser MANIAC, un film de psycho-killer, genre cinématographique très à la mode à l'époque (avec HALLOWEEN de Carpenter et ses nombreuses imitations). Il s'agissait en fait de son troisième long-métrage, le bougre ayant réalisé auparavant, sous pseudonyme, deux films érotiques. Avec VIGILANTE, il s'inscrit, comme on le voit, sur un chemin bien balisé. Il recrute des comédiens ayant fait leurs preuves dans le cinéma populaire : Robert Forster (L'INCROYABLE ALLIGATOR de Lewis Teague...) et l'ancien footballeur Fred Williamson (LE PARRAIN DE HARLEM de Larry Cohen...).
Dès le prologue, le ton est donné. Fred Williamson (Nick) harangue de braves citoyens, les invitant à prendre eux-mêmes en main leur sécurité, puisque l'Etat ne fait rien pour les protéger. Dès lors, VIGILANTE ne ratera pas un seul cliché démagogique. Les hommes politiques couvrent de juteux trafics de drogue ; les policiers sont improductifs et sous-équipés ; les avocats sont louches (Joe Spinell, hallucinant !) ; les juges relâchent les coupables ; les citoyens, terrorisés par les voyous, n'osent pas témoigner... Tout cela est soutenu par des discours "musclés" maniant peu subtilement des statistiques "parlantes" (X % des affaires criminelles ne sont pas résolues ; il y a N meurtres commis par minute aux USA...). Le propos est poussé à un tel point qu'on sombre souvent dans la caricature la plus risible et l'invraisemblance la plus complète (le tribunal notamment...). Ce style d'argument revenant encore aujourd'hui, dans les discours politiques de démagogues en tout genre, il est permis, même vingt ans après la réalisation du film, de grincer des dents à certains moments...
Il faut toutefois reconnaître que, par certains aspects, VIGILANTE modère son discours. Ainsi, le meurtre, quasi-accidentel, de la prostituée par Nick montre les limites des méthodes de ces "Vigilants". De même, Eddie pourra tuer ses ennemis, mais cela ne lui rendra jamais son bonheur familial, ni même sa femme qui veut désormais refaire sa vie loin de lui. Les actions punitives de Nick et sa bande ne sont pas moins cruelles ou répugnantes que celles des loubards. Mais, en fin de compte, VIGILANTE reste tout de même assez évasif par rapport à son discours. Il semble que Lustig ait juste cherché à proposer un produit d'exploitation, dans l'air du temps, sans trop se poser de questions...
Au-delà de son contenu, qu'il est permis de trouver discutable, VIGILANTE est aussi un film d'action fort réussi. Bien construit et sans temps mort, bénéficiant d'interprètes sympathiques, porté par une musique accrocheuse, il permet à Lustig de confirmer son talent de réalisateur dans certaines séquences particulièrement fortes et efficaces (l'agression de la femme et du fils d'Eddie, la poursuite dans la piscine désaffectée...). Employant des décors naturels variés, il dresse aussi un portrait très noir d'un New York inhumain et oppressant, dans la lignée de celui des GUERRIERS DE LA NUIT ou de L'EVENTREUR DE NEW YORK.
Le DVD testé ici est en fait la seconde édition "enrichie" de VIGILANTE proposée par Anchor Bay. Alors que la première édition proposait un version 4/3 du film dans son format scope d'origine, ce nouveau tirage bénéficie d'un transfert 16/9 certifié THX ! Le résultat est indéniablement de très grande qualité. La propreté de la copie est spectaculaire, et on ne peut que regretter une luminosité parfois un peu en retrait, notamment dans les scènes les plus sombres, ainsi que des traces de grain. Cela n'a toutefois rien d'étonnant pour un film à petit budget comme VIGILANTE. Il s'agit d'un très bon travail, donc, d'autant plus que l'oeuvre est proposée dans sa version intégrale, rétablissant les passages dont le MPAA avait exigé le retrait afin de lui accorder le label "Restricted".
Au niveau du son, on signale aussi des progrès. Originellement enregistrée en Dolby Surround, la version anglaise est ici disponible en Dolby Digital EX ou en DTS ! Des bandes-son française, italienne et allemande sont toutes présentées en Dolby Surround. Tout cela est de bonne facture, même si l'on note des défauts inhérents à la prise de son direct : sonorités un peu rudes, voix se noyant parfois dans les bruits d'ambiance... Signalons que le doublage français d'époque est extrêmement savoureux ! Par contre la bande-son italienne paraît techniquement en retrait par rapport aux autres... Un sous-titrage espagnol est disponible. Mais c'est le seul...
En bonus, on trouve d'abord toute une série de bandes-annonces venant des USA, d'Angleterre, de France, d'Allemagne..., ainsi que quatre spots TV et des pubs audios pour la radio. On a encore une vaste galerie iconographique, proposant une abondante collection d'affiches, pavés de presse, lobby cards, jaquettes vidéos, photos de tournage... Une "bobine promotionnelle" présente une scène filmée quelques semaines avant le début officiel du tournage, afin d'être présentée au MIFED. Cette séquence est en fait utilisée comme prologue dans le film, lorsque Fred Williamson fait son discours dans le club de tir : ce bonus n'est donc pas très intéressant.
Enfin, ce DVD propose un commentaire audio par le réalisateur William Lustig, ses deux stars Robert Forster et Fred Williamson, ainsi que l'acteur Fred Pesce (Blueboy, le dealer des "Headhunters"). Baignant dans une bonne humeur très communicative, ce commentaire sympathique nous montre que ses intervenants sont les premiers à rire de bon cœur des invraisemblances et des clichés véhiculés par VIGILANTE. Les anecdotes sur la production, le tournage, l'exploitation du film... sont assez nombreuses, et l'on apprend ainsi l'influence déterminante du western italien sur cette oeuvre.
VIGILANTE est un film exploitant sans scrupules ni réel recul le filon d'un cinéma prônant la justice expéditive, ce qui pourra indisposer certains spectateurs, selon leurs sensibilités ou leurs idées. D'un pur point de vue cinématographique, il s'agit néanmoins d'un bon polar violent, bien réalisé et interprété...