Albert est un scientifique aussi génial que bourru. Il aurait pu travailler à de nouvelles inventions dans son laboratoire jusqu’à la retraite. Mais, suite à un plan social, il est licencié de son entreprise et se retrouve au chômage. Désœuvré, il rumine chez lui en pestant sur tout et en particulier la télévision. C’est justement la boîte à images qui va jouer un rôle central dans l’intrigue de KAMIKAZE ! car dans ce film, un mystérieux tueur utilise la télévision pour commettre des assassinats.
A l’origine de ce film, il y a Luc Besson qui trouve intéressante l’idée de pouvoir tuer à travers la télévision, une idée qui lui est inspirée par un échange avec un technicien. Ce point de départ, il va s’en servir pour un film qu’il produira au travers de sa première maison de production Les Films du Loup. Venant de terminer SUBWAY, le cinéaste est en odeur de sainteté chez Gaumont depuis LE DERNIER COMBAT. Luc Besson voit l’opportunité de se diversifier en produisant des films. C’est ainsi qu’il propose la réalisation de KAMIKAZE à un Didier Grousset plutôt surpris puisqu’il n’a jamais réalisé de film, pas plus que de courts-métrages. Jusque-là, il était assistant réalisateur, notamment sur les deux premiers films de Luc Besson : LE DERNIER COMBAT et SUBWAY. C’est justement à ce poste qu’il œuvre sur le tournage d’UN HOMME ET UNE FEMME, 20 ANS DEJA de Claude Lelouch lorsque Luc Besson lui demande de réaliser KAMIKAZE. L’offre est urgente ! Didier Grousset s’arrange donc avec Claude Lelouch qui accepte de le voir partir quelques jours avant la fin du tournage. Du jour au lendemain, le débutant réalisateur se retrouve à diriger Michel Galabru, Richard Bohringer et Dominique Lavanant. Derrière la caméra, il connaît déjà quelques membres de l’équipe technique puisqu’ils font partie de la sphère de Luc Besson ou bien parce qu’il a travaillé avec eux sur L'UNIQUE de Jérôme Diamant-Berger. Le nouveau réalisateur va également poser son empreinte sur le scénario pendant le tournage, ce qui lui vaudra une mention en tant que scénariste au générique. Le producteur lui impose quelques contraintes avec un budget serré mais aussi la forte recommandation de travailler vite et de ne jamais faire plus de trois prises !
S’il s’agit du premier film de Didier Grousset, le film porte la marque de fabrique de Luc Besson. Et cela se ressent dès les premières minutes du générique où la caméra suit un employé dans les couloirs d’une entreprise. Le format large, le lettrage bleuté et la musique accompagnant les images sont assez symptomatiques. D’ailleurs, même l’affiche d’époque de KAMIKAZE a des points communs avec SUBWAY. Cela semble logique puisque le film est chapeauté par le cinéaste producteur mais aussi parce qu’il y place différentes personnes de son entourage. Le plus marquant est clairement le compositeur Eric Serra dont la musique a marqué les films les plus connus de Luc Besson. Cet habillage sonore et visuel marque lourdement le film dans son époque. Plusieurs passages tentent de dynamiser le récit avec des effets «clip vidéo» et une mise en image léchée. Le reste se montre plus fonctionnel à l’instar de nombreux passages dialogués très télévisuels où les comédiens ne semblent pas à l’aise. Aujourd’hui, d’un point de vue purement cinématographique, KAMIKAZE est une œuvre bancale dont l’identité formelle est schizophrénique !
Si la majorité des comédiens ne donnent pas ici une prestation mémorable, il faut tout de même noter que les deux têtes d’affiche portent littéralement le film sur leurs épaules. Richard Bohringer est probablement le moins bien servi puisqu’il est celui ayant le plus d’interactions avec les autres acteurs. De plus, l’intrigue le met dans des situations peu crédibles. La «pseudo» romance avec Dominique Lavanant est un peu à côté de la plaque, tout comme sa relation avec sa fille (interprétée par Romane Bohringer, la propre fille de l'acteur). Mais c’est surtout Michel Galabru qui apporte à KAMIKAZE son plus grand atout ! L’acteur est reconnu pour ses rôles dans des comédies populaires mais il avait déjà prouvé son immense talent en remportant le César du Meilleur Acteur pour LE JUGE ET L’ASSASSIN de Bertrand Tavernier. Dans KAMIKAZE, il joue la descente dans la folie d’un homme enfermé dans sa haine de la société. Après de nombreuses années au service d'une entreprise, celle-ci le met à la porte sans ménagement. La télévision devient sa fenêtre sur l’extérieur. Mais elle ne lui renvoie que la médiocrité du monde et une image froide. La télévision devient ainsi la métaphore de la société qui l’a rejeté et dont il ne fait plus partie. Il est intéressant de noter que VIDEODROME de David Cronenberg s’attaquait lui aussi à l’objet télévisuel, trois ans plus tôt, en 1983. Certaines scènes de KAMIKAZE semblent avoir été inspirées par la relation «charnelle» de James Woods avec son poste de télévision. Il n’est pas possible de l’affirmer mais la coïncidence serait assez énorme. Particulièrement lorsque Michel Galabru en vient à caresser et embrasser son téléviseur qui affiche des lèvres en gros plan.
KAMIKAZE serait un drame social ? Une critique de la télévision ? En réalité, si le film de Didier Grousset fourmille d’excellentes idées, elles ne sont le plus souvent que jetées sans grand développement. Ce qui s’avère dommage car KAMIKAZE a un énorme potentiel et c’est sûrement la raison pour laquelle encore de nos jours il mérite d’être vu au moins une fois. Bien sûr, le postulat technologique du film est invraisemblable mais le concept reste fascinant et mériterait un remake. Surtout que, dans KAMIKAZE, les passages improbables ne se cantonnent pas à la science-fiction. Par exemple, des scientifiques ont une idée pour mettre hors d’état de nuire le tueur. Une idée lumineuse mais qui risque de provoquer la mort d’un nombre non négligeable des téléspectateurs. Les politiques acceptent pourtant cette solution. Cela fera écho à l’un des derniers rebondissements de KAMIKAZE qui semble nous dire que le gouvernement est au-dessus des lois et des citoyens. Le film est curieux par bien des aspects, et ce jusqu'au plan final où le flic et son acolyte repartent à pied, abandonnant leurs véhicules dans une petite ville de la banlieue parisienne, théâtre de leur dernière intervention.
Franchement insolite, étrange et pas toujours cohérent, le tout premier film réalisé par Didier Grousset propose une œuvre de science-fiction atypique et maladroite mais pour autant fascinante.