Le dynamisme du cinéma fantastique japonais n'est plus un secret. Ses grands monstres (GODZILLA), ses fantômes (KWAIDAN) ou ses super-héros («ULTRAMAN») ont été largement popularisés en occident au cours des décennies.
Il en va de même pour l'animation de ce pays. Quand les séries de science-fiction «GOLDORAK» ou «ALBATOR» débarquent sur les télévisions françaises à la fin des années soixante-dix, seul le public enfantin est ravi. Au cours des années quatre-vingts, un public de jeunes adultes se penche plus sérieusement sur ces productions, grâce au marché de la vidéo ou à travers de conventions comme le Festival du Film Fantastique de Paris.
Le public initié repère alors des métrages comme NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT de Hayao Miyazaki ou encore LA CITÉ INTERDITE de Yoshiaki Kawajiri, mélange de science-fiction et d'horreur stylisé et inventif. De tels longs métrages animés se démocratisent progressivement au gré de sorties en salles en France de films comme AKIRA, GHOST IN THE SHELL ou PORCO ROSSO.
Le genre acquiert enfin une respectabilité inattaquable, notamment grâce aux films de Hayao Miyazaki parmi lesquels LE VOYAGE DE CHIHIRO de 2001, connaît un succès critique et public international. Il reçoit l'Oscar du meilleur film animé en 2023, ce qui est une date historique de la reconnaissance mondiale accordée au cinéma d'animation japonais.
Les œuvres de Miyazaki rassurent le public familial occidental par son refus de la violence gratuite. Mais cela le place aux antipodes d'une tranche de l'animation dans laquelle s'est spécialisé un Yoshiaki Kawajiri. Celui-ci crée des dessins animés érotiques et violents, destinés à un public d'adolescents masculins.
Son long métrage NINJA SCROLL de 1995, mettant en scène des samouraïs et des assassins de toutes sortes dans un spectacle ultra-violent, confirme sa popularité chez les amateurs. Dès lors, il lance un projet ambitieux, avec l'aide de producteurs américains : VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST, adaptation d'un cycle de romans de Hideyuki Kikuchi, déjà porté à l'écran en 1985 avec VAMPIRE HUNTER D de Toyoo Ashida (responsable de la série brutale «KEN LE SURVIVANT»).
Le Japon a déjà assimilé la mythologie gothique des vampires du monde anglo-saxon. Un exemple en est la trilogie en prises de vue réelles proposée par le réalisateur Michio Yamamoto et produite par le grand studio Toho. Suite aux succès des films Hammer, il signe une première œuvre consacrée aux vampires : YUREIYASHIKI NO KYOFU : CHI O SUU NINGYOO de 1970. Puis il propose LE LAC DE DRACULA et CHI O SUU BARA en 1974.
Avec VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST, nous voyageons dans un futur lointain... Les nuits sont hantées par les vampires, bien qu'ils soient de moins en moins nombreux sur Terre. Des mercenaires gagnent leur vie en chassant ces créatures. D., fils d'un vampire et d'une mortelle, fait partie de ces guerriers spécialisés. Un homme le charge de retrouver sa fille, Charlotte, enlevée par Meier Link, vampire pourtant réputé ne jamais s'en prendre aux humains. Dans cette traque, D. est en concurrence avec les frères Markus, impitoyable bande de chasseurs de non-morts. Ils traquent la voiture de Meier Link, qui avance à toute vitesse vers une destination mystérieuse. Les chasseurs doivent affronter les Barbarois, mutants chargés de protéger les vampires...
VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST constitue un riche mélange de genres. Nous trouvons du western (américain ou italien), de la science-fiction post-apocalyptique, du film de samouraïs et, bien entendu, de l'épouvante gothique. Le prologue, superbe, illustre l'enlèvement de Charlotte et rappelle les Hammer LE CAUCHEMAR DE DRACULA de Terence Fisher ou DRACULA ET LES FEMMES de Freddie Francis.
A cela s'ajoutent des influences plus récentes, comme le VAMPIRES de John Carpenter (le gang des frères Markus rappelle John Crow et ses acolytes). Tout cela brasse un univers d'une rare richesse et d'une parfaite cohérence.
Grâce à la diversité des péripéties et des personnages, Yoshiaki Kawajiri affirme la maîtrise de son domaines de prédilection : l'élaboration des personnages. A l'instar des assassins de NINJA SCROLL, chaque membre des frères Markus est doté de pouvoirs et d'attitudes aussi spécifiques qu'individualisées.
Le plus étonnant d'entre eux est Grove, homme maladif, allongé en permanence sur une couchette, mais capable d'extraire de son enveloppe charnelle, pour quelques instants, son corps spectral surpuissant. Ses apparitions violentes et féeriques sont parmi les plus beaux moments du métrage. De même, les Barbarois, mutants à la solde des vampires, sont tous doués d'apparences et de pouvoirs variés, tel ce guerrier se déplaçant parmi les ombres comme dans des flaques (une touche poétique qui rappelle NINJA SCROLL).
Les affrontements entre ces créatures délirantes bénéficie d'un rendu techniquement impeccable. Mêlant avec bonheur animation traditionnelle et images de synthèse, Yoshiaki Kawajiri ne déçoit pas avec ses combats fluides, violents et toujours clairs.
À sa sortie, VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST se voit reprocher par certaines critiques de ne pas être aussi sanglants que certaines œuvres antérieures de son réalisateur. Yoshiaki Kawajiri ruse parfois, évite de montrer certains impacts de lame. Il fait usage d'ellipses ou de hors-champs là où, dans un NINJA SCROLL, nous aurions eu droit à de gigantesques gerbes de sang !
Qu'importe, l'élégance du trait et la furie du style racé répondent toujours présents. Les scènes d'anthologie ne manquent pas (le combat dans le cimetière, le pont). Le travail sur les décors époustouflent. A nouveau, les influences se mêlent dans un foisonnement superbe, riche en trouvailles et en collages audacieux, restitués avec une extrême méticulosité. Nous voyageons d'une cité gothique à une ville de western, d'un cimetière lugubre à un désert survolé par de raies manta géantes.
Les thématiques vampiriques s'épanouissent avec originalité. Kawajiri prend à rebrousse-poil l'approche classique des films de vampire. La frontière entre les "bons" et les "méchants" se fait floue. Tout en multipliant les références aux classiques du vampirisme (Carmilla, Dracula, Bathory), VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST en propose une vision romantique, enrichie, touchante.
Le clou du métrage reste sa dernière demi-heure se déroulant dans le château de Carmilla. Les riches décors mélangent plusieurs styles architecturaux occidentaux dans un summum de foisonnement baroque. Kawajiri récupère les délires décoratifs du BRAM STOKER'S DRACULA de Francis Ford Coppola et en multiplie l'invention et l'ampleur. Porté par la musique grandiose de Marco D'Ambrosio, l'affrontement final est un sommet de l'histoire du cinéma d'animation. Y explose le génie lyrique et fiévreux de son auteur, maître du grand écran de l'imaginaire.
VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST est un chef-d'œuvre, une merveille visuelle doublée d'une bouleversante histoire d'amour. Des amateurs de cinéma d'épouvante traditionnel sont sans doute passés à côté de ce film, parce qu'il s'agit d'un dessin animé japonais et parce qu'il a souffert d'une distribution (uniquement en DVD en France) et d'une promotion limitée. Il s'agit pourtant du plus beau film de vampires de ces dernières années. À sa sortie, Il fallait remonter à ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE de Neil Jordan pour trouver une œuvre d'importance équivalente dans le cinéma vampirique.