Une escort girl (Ilenia Pastorelli) devient aveugle suite à un accident de voiture provoqué par un tueur qui s’en prend à ses consœurs. L’accident ayant tué également les parents du jeune Chin (Andrea Zhang), elle se prend d’amitié pour lui - mais le tueur est toujours à ses trousses.
OCCHIALI NERI marque le retour derrière la caméra de Dario Argento.
Installez-vous dans le fauteuil. Ou le canapé. Ou par terre. Lisez tranquillement ce qui va suivre (garanti sans spoilers). Préparez la séance si vous ne l’avez pas encore vu. Et attendez-vous à de longues, longues, très longues conversations avec les fans irréductibles qui vont trouver au moindre éclairage en haut à droite de l’écran un moment de rédemption du maître.
Après les contestés (et contestables) DRACULA 3D et son éprouvant GIALLO, le retour au thriller s’avère une relative bonne surprise. Toutefois, son échec commercial en Italie, dans un marché bien mort dans la péninsule, condamne quelque peu cette co-production italo-française aux joies du streaming de ce côté-ci des Alpes. Le film vient toutefois de sortir en Blu-Ray chez Vision/CG Entertainment en Italie et c’est par ce biais qu’on peut le découvrir.
Supposé être en relation avec LE SANG DES INNOCENTS, puisque le script a été écrit juste après mais a dormi dans un tiroir, on pourra tisser quelques liens entre ces deux œuvres. Un jeu de pistes pour amateurs du maître qui restera toutefois étranger aux curieux qui découvriront le film.
En fait, un élément saute aux yeux, hormis une durée inhabituelle (86mn), Argento et ses collaborateurs habituels ont quelque peu épuré la narration, le ton et le rythme. Une sorte d’indolence et de désespoir planent sur le film.
Certes, on retrouve les thèmes chers au maître. Le pouvoir de l’œil et des sens. Ainsi le rapport avec LE CHAT A NEUF QUEUES dont le héros est également aveugle, saute aux yeux. Ou encore un écho à Flavio Bucci dans SUSPIRIA et le rapport canin magnifié avec l’humain. La privation des sens - et la reconnaissance du pouvoir des animaux. Un lien direct avec LES FRISSONS DE L'ANGOISSE et bien sûr, PHÉNOMÉNA. Mais bon, assez cité comme dirait l’aveugle.
Un érotisme quelque peu gratuit et éléphantesque toujours présent renvoie aussi au schéma du SANG DES INNOCENTS et sa scène d’ouverture. Mais le temps a coulé sous les ponts et on sent une sorte de désenchantement qui s’avérait absent de ses précédentes œuvres. On peut éventuellement effectuer un rapprochement entre la vision de l’artiste qui s’éteint progressivement avec le thème de la jeune femme à la recherche de son équilibre dans les ténèbres.
Le scénario se révèle raboté à l’extrême (d’où la durée ?). Finis les multiples pistes et suspects à foison. D’ailleurs, on se contrefiche quelque peu de connaître l’identité du tueur. La narration se focalise sur la victime, sa transformation physique et mentale. Une évolution radicale qui n’agite en rien sa boussole morale. Une meilleure version d’elle-même, passant comme toujours chez le maître par une série d’épreuves sanglantes, d’épouvantes et de tortures - pour finir apaisée. Un peu à l’image là aussi de TERREUR A L'OPÉRA.
Loin d’être un film testament, on trouve à quel point Argento reste maître de ses fantasmes et son regard oblique de proposer un nouveau prisme de lecture de ses fixations. Des effets spéciaux tranchants et extrêmement gore de Sergio Stivaletti transfigurent le côté assez quelconque du déroulement de l’intrigue.
Mais avec quelques nouveautés. On sent comme l’ombre de Carpenter poindre, avec la partition qui pulse d’Arnaud Rebotini (auteur de 120 BATTEMENTS PAR MINUTE), synthétisant à fond. Ou encore la scène initiale de l’éclipse solaire qui louche vers PRINCE DES TENEBRES bordée d’un hommage à Michelangelo Antonioni. Une photographie naturelle et d’une richesse nocturne insoupçonnée. L’héroïne qui s’appelle Diana - une Diane chasseresse de la vérité qui se retrouve en mode proie, elle aussi. Asia Argento qui trouve enfin un rôle d’une normalité étonnante. On la reconnait à peine - et son jeu simple frappe et permet de mieux s’y attacher malgré son aspect secondaire. Et la présence singulière d’Ilenia Pastorelli, marquante dans son réveil à l’hôpital - et touchante dans son duo improbable avec le jeune enfant. Ici en écho au tandem Karl Malden/Cinzia De Carolis dans LE CHAT A NEUF QUEUES. Une marque de fabrique, à y penser : ces duos d’enquêteurs aux antipodes les uns des autres qui ont marqué la trajectoire de la carrière du maître.
Un minimalisme aussi dans l’approche de l’urbain qui se noie dans les ténèbres - Rome vidée de son sens, de ses gens et pointant vers la pourriture. Comme, justement, une éclipse du monde actuel.
Maintenant… tout n’est pas aussi positif.
Si la nature de la forme Giallo s’avère secondaire, les motivations du tueur - même si cela se trouve être dans l’air du temps, sont parfaitement ridicules.
La présence policière s’évacue aussi rapidement qu’un claquement de doigts, et ceux-ci sont dotés de dialogues d’une banalité affligeante, à peine dignes d’un téléfilm de la 5. Et ces scènes de nuit devant la porte de l’appartement de Diana… pathétiques. Sans parler du ratage et la pauvreté de l’élément racial : embarrassant, maladroit. Le petit enfant d’origine chinoise qui s’appelle;.. Chin ? Vraiment ? Et qui va habiter en moins de temps qu’il n'en faut pour le dire avec la meurtrière de ses parents ? Et, le pire d’entre tout, un des tueurs en série les plus insignifiants qui ait existé.
Ce que le film désespère de crédibilité, il tente de le gagner en délire. Mais un délire sage, sans verser dans le nawak pontifiant de LA TERZA MADRE. La scène avec les serpents, sortie de nulle part. Pourquoi ? Ben… pourquoi pas, tiens.
Symbolisme, approche minimale, mélange du meilleur et du pire argentesque. Un désœuvrement qui plane, comme si les protagonistes manquaient de mordant pour être considérés comme le vrai cœur du film. Il existe comme un manque dans l’immersion du mental du tueur. Le dernier tiers proche du chaos (involontaire ou pas) tente de donner le change, se laissant aller à quelque brutalité finale.
C’est peut-être là qu’Argento possède encore sa passion du cinéma. Une élégance torturée, poisseuse, psychosexuelle, tentant par quasiment tous les moyens de rester à flots pour éviter le naufrage. A rebours des modes, se raccrochant à des schémas rassurants mais hélas déjà depuis trop longtemps délités. Au-delà d’un récit boiteux émerge malgré tout la sincérité de son auteur.
OCCHIALI NERI est sorti le 24 février 2022 dans les salles italiennes et a été rapidement lâché en Blu-ray le 17 mai suivant par Vision. Le film étant une co-production française, l’espoir d’une sortie salle a été rapidement balayée au profit d’un streaming gouleyant qui se perdra rapidement dans les tréfonds du cyberespace. Le format physique s’en va graduellement, mais il restera toujours le seul moyen de vraiment posséder un film, quoiqu’on en dise.
Un BD 25 au format 2.39:1 (1080p) avec une piste audio italienne en DTS HD MA 5.1 garnie de sous-titres italiens et anglais amovibles. A noter une bonne balance dialogues/bruitages, précise et efficace dans le rendu des scènes de tension et de meurtres. La bande originale donne sa pleine puissance. Il y a aussi une piste Dolby Digital 2.0 plutôt fonctionnelle pour les amateurs non pourvus d’amplificateur et de système sonore spécifique. Et gros plus, une piste en audio description italienne pour les spectateurs malvoyants.
La durée totale est de 85mn35. D’un strict point de vue visuel, le débit moyen de 34 Mpbs permet une précision visuelle optimale. Gestion des détails, rendu des scènes nocturnes apparaissant avec moult détails et richesse de couleurs. Un rendu vraiment très agréable à l’œil. Avec aussi un accès à neuf chapitres qui facilite le choix des scènes - un effort toujours louable puisque la fainéantise a gagné beaucoup d’éditeurs depuis quelques temps concernant le chapitrage.
Une édition presqu’à minima, offrant l’habituel «backstage» des galettes transalpines. A savoir des morceaux d’interviews des protagonistes et techniciens ayant œuvré sur le long-métrage entrecoupés d’extraits du film. Précieux vu l’insuccès de OCCHIALI NERI mais frustrant sur le mode opératoire choisi - même si de voir l’équipe au travail fait plaisir. Il n’y a pas de film annonce à se mettre sous la dent.