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Critique du film
MANIAC 1980

 

William Lustig multiplie les petits travaux dans l'industrie cinématographique dès l'âge de quinze ans. En 1977, à 22 ans, il accède au poste de réalisateur pour deux films érotiques : THE VIOLATION OF CLAUDIA et HOT HONEY, tournés sous le pseudonyme Billy Bagg. Il se lie d'amitié avec l'acteur Joe Spinell. Italo-américain new-yorkais, ce dernier est alors spécialisé dans les films durs et urbains : LE PARRAIN de Coppola, TAXI DRIVER de Scorsese, LE CONVOI DE LA PEUR et CRUISING de William Friedkin...

Spinell et Lustig, tous deux amateurs de films d'épouvante, décident de travailler ensemble sur un projet de ce style, en refusant, autant que faire se peut, toute forme de concession. Spinell rédige lui-même l'histoire et interprète Frank Zito, le "Maniac" qui terrorise New York.

L'horreur est alors à la mode dans le cinéma américain. De nombreux films réalisés sans le soutien de gros studios et dans des conditions flirtant parfois avec l'amateurisme ont touché le jackpot : LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE ou LA NUIT DES MASQUES. Lustig se contente donc d'un budget modeste pour MANIAC. Il obtient la présence de la belle Caroline Munro (DRACULA 73, LE VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD).

Le récit de MANIAC, dans le pur style du film de serial killer, est d'une simplicité biblique et se décline, particulièrement dans sa première partie, comme une succession de meurtres atroces, entrecoupée de séquences présentant le tueur maniaque, solitaire, dans sa chambre, livré à des symptômes aiguës de paranoïa, de dédoublement de la personnalité et de schizophrénie.

Son périple commence sur une plage où il assassine un jeune couple, puis scalpe la jeune femme. Il en orne ensuite la tête d'un mannequin disposé dans sa chambre, pièce encombrée d'un fatras de jouets et d’œuvres d'art morbides. Il renouvelle ce cérémonial en s'en prenant à un couple sortant d'une boîte de nuit, puis à une infirmière. Pourtant, un jour, Frank rencontre Anna, une jeune et belle photographe avec laquelle il s'entend bien...

A la manière de LA NUIT DES MASQUES ou de LE VOYEUR, MANIAC sacrifie tout suspense en révélant très tôt l'identité du tueur. Plutôt qu'une énigme policière, il nous invite à suivre le trajet du serial-killer Frank Zito de l'intérieur, en étant témoins de ses tourments.

Zito partage de nombreux points communs avec le Norman Bates de PSYCHOSE. Écrasé dans son enfance par une mère, aujourd'hui décédée, qui le maltraitait et l'humiliait, il vit un dramatique complexe d’œdipe Impuissant, il se sent exclu des échanges amoureux traditionnels et s'invente une sexualité de substitution, dans laquelle les strangulations remplacent les étreintes et les lames de couteaux, pénétrant la chair de ses victimes, tiennent lieu de phallus.

Comme Bates à nouveau, il souffre d'un dédoublement de la personnalité marqué. Dans des dialogues imaginaires, il tient à la fois son rôle et celui de sa mère. Tout cela pourrait sentir la psychanalyse balourde, mais Lustig, par son goût de l'absurde et de l'excès (dans les très violentes scènes de meurtre bien sûr, mais aussi dans les monologues délirants et les visions de Zito), pousse l'ensemble vers une dimension baroque, invraisemblable, presque fantastique et parfois emprunte d'humour noir.

Surtout, Spinell incarne un excellent MANIAC. Le visage ravagé, son comportement oscille entre la folie meurtrière, l'infantilisme ridicule et les attitudes sociopathes (refus du contact physique notamment). Il apparaît fragile et pathétique, particulièrement dans la séquence nocturne au cours de laquelle il contemple, émerveillé, dans les vitrines des grands magasins, les mannequins incarnant un univers féminin qu'il perçoit comme inaccessible et dont il souffre de se sentir exclu.

Par certains aspects, le style de MANIAC est marqué par ses limites financières. Lustig tourne essentiellement en décor naturel, particulièrement dans des sites urbains sordides, gangrenés par la saleté ainsi que par la misère sociale et morale. Couloirs du métro, quais, hôtels de passe... constituent le terrain des chasses nocturne de Zito, inscrivant le film dans un courant d'épouvante réaliste descendant directement de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE.

Le réalisme, nous le retrouvons dans les séquences de meurtres, exécutées (et en partie filmées) par Tom Savini, ancien photographe de la guerre du Vietnam et considéré comme le spécialiste américain des effets gore, notamment depuis sa participation à ZOMBIE de Romero. Il signe ici quelques séquences frappantes, notamment l'explosion de sa propre tête (Savini étant aussi acteur dans MANIAC) dans un plan à la fois virtuose et terrorisant, qui remue même les tripes des amateurs endurcis d'épouvante. Il nous gratifie aussi de moult scalps, décapitations et coups de couteaux explicites, souvent filmés en gros plans. Ce dont se souviendra sans doute Lucio Fulci pour L'ÉVENTREUR DE NEW YORK deux ans plus tard, œuvre proche à bien des points de vue de MANIAC.

MANIAC se distingue de la masse des "shockers" réalisés à peu de frais après les succès de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE ou de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE grâce à sa réalisation très soignée. Les longues séquences de meurtres bénéficient d'un suspense savamment élaboré, soutenu par des mouvements de caméra et des cadrages variés et efficaces (la poursuite dans le métro désert, la mort du mannequin).

Nous trouvons dans ces passages l'influence de réalisateurs que Lustig admire alors. Le John Carpenter de ASSAUT et LA NUIT DES MASQUES, qui compense ses budgets serrés par une réalisation rigoureuse. Ou le Dario Argento des FRISSONS DE L'ANGOISSE, qui étire avec virtuosité la moindre séquence violente. D'ailleurs, Lustig a avoué qu'il comptait employer l'actrice Daria Nicolodi (compagne d'Argento vue dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE et SUSPIRIA) pour le rôle de la photographe.

Un autre point fort de MANIAC est sa bande-son ultra-travaillée, composée en grande partie de bruitages électroniques surprenants et d'une musique de Jay Chattaway pesante, au grand pouvoir suggestif. Malgré son maigre budget, MANIAC se paie le luxe d'une bande sonore mixée en Dolby Stereo, procédé alors plutôt réservé à de grosses productions (comme LA GUERRE DES ÉTOILES) ou à des réalisateurs perfectionnistes et inventifs (Argento avec SUSPIRIA).

Certes, tout n'est pas parfait dans MANIAC. Le récit peut sembler linéaire et banal, et le personnage de Caroline Munro, ainsi que sa relation avec Zito, paraissent bien sacrifiés. Certaines invraisemblances (d'où vient l'argent du "Maniac" ?) et certains traits psychanalytiques virant parfois au gros cliché invraisemblable font un peu coincer le film aux entournures.

Ces légers défauts sont largement compensés par les qualités de réalisation et d'atmosphère de ce MANIAC, à la fois très dur et très triste. L'interprétation tragique et fragile de Spinell rend ce film à la fois mélancolique et troublant.

L'aspect pathétique de Zito a été souvent discuté : certains critiques ont considéré que cette œuvre se met du côté du tueur, cherchant à nous le rendre sympathique. Il est aussi reproché à MANIAC sa violence, considérée parfois comme trop gratuite. Ainsi, Tom Savini lui-même déclare, peu de temps après la sortie du film, qu'il le juge trop malsain.

MANIAC connaît des problèmes de censure. Aux USA, il sort sans passer devant la commission de contrôle des films (à l'instar de ZOMBIE deux ans plus tôt). Ce qui rend délicat sa promotion et sa distribution, mais lui permet d'échapper à des coupes. En Angleterre, le film est intégralement interdit jusqu'en 2002 (!), date à laquelle il a enfin le droit d'être distribué, avec néanmoins presque une minute de coupes.

En France, il est montré au marché du film à Cannes en 1980, puis sort chez l'éditeur René Chateau dans sa célèbre collection de VHS "Les films que vous ne verrez jamais à la télévision", aux côtés d'autres œuvres mythiques comme ZOMBIE, MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE ou CHAIR POUR FRANKENSTEIN. MANIAC ne sort en salles qu'en mai 1982, après que la censure française s'est libéralisée en mai 1981, abolissant rapidement toute coupe dans les œuvres et toute interdiction totale de films de fiction.

Lustig réalise ensuite d'autres films violents, comme VIGILANTE en 1981 ou MANIAC COP avec Bruce Campbell. Sa carrière fléchit dans les années 1990, et sa dernière réalisation est UNCLE SAM de 1997.

Un MANIAC 2 : MR. ROBBIE (non réalisé par Lustig) a été envisagé à la fin des années 1980, mais seules quelques minutes ont été tournées et montées, pour tenter d'attirer des investisseurs.  Ce projet est abandonné avec la mort de Joe Spinell en 1989.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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