Dans un premier temps écrivain, Alex Garland publie le roman «La plage» que le metteur en scène Danny Boyle transpose sur grand écran en 2000. Puis il fait ses premiers pas au cinéma deux ans plus tard en écrivant le scénario de 28 JOURS PLUS TARD, variante du film de zombie dont la réalisation est de nouveau signée Danny Boyle. C'est un des titres le plus marquants de ce genre, et il lance la carrière de Garland dans le cinéma fantastique anglais pour un des parcours les plus passionnants et les plus prometteurs de ces dernières années.
En effet, il signe ensuite le scénario du film de voyage spatial SUNSHINE, à nouveau une belle réussite, encore mis en scène par le réalisateur de SLUMDOG MILLIONAIRE, en 2007. En 2010, Alex Garland signe l'adaptation de «Auprès de moi toujours» de Kazuo Ishiguro, avec le déchirant NEVER LET ME GO de Mark Romanek, métrage passé très injustement inaperçu à sa sortie, renouant avec les souvenirs de « Le meilleur des mondes ».
Alex Garland écrit aussi DREDD de Pete Travis, seconde transposition au cinéma des aventures du Judge Dredd, l'anti-héros policier vedette du magazine «2000 AD», le «Métal Hurlant» britannique. Cette nouvelle réussite voit Alex Garland se charger de son montage final suite à une mésentente avec Pete Travis.
En 2014, Alex Garland endosse pour la première fois la casquette de metteur en scène pour EX MACHINA, très belle réussite du cinéma de science-fiction dédiée à la robotique, montrant déjà ce qui fait la force de son cinéma : une ambition et un soin formels très au-dessus de la moyenne ainsi qu'un regard adulte et acéré sur les thématiques de la science-fiction.
Après ce premier succès, il tourne ANNIHILATION qui réveille les souvenirs de STALKER, avec son équipe d'exploratrices voyageant dans une zone contaminée par un mystérieux astéroïde d'outre-espace. Jusqu'à un dénouement marquant et magistral. Mais le film est privé d'une vraie sortie en salles dans la plupart des pays, son studio Paramount préférant le céder à Netflix, le cantonnant à une injuste exploitation sans gloire.
Alex Garland passe ensuite par la télévision avec la série «DEVS», avant de revenir au cinéma pour une production modeste, MEN, son premier film d'horreur, dont il signe le scénario et qu'il tourne en Angleterre en pleine période du COVID 19, avec seulement quatre acteurs. Le film est produit par les américains d'A24 (THE WITCH, HÉRÉDITÉ) et Andrew MacDonald, frère du réalisateur Kevin MacDonald et fréquent collaborateur de Danny Boyle. Alex Garland retrouve pour cette occasion ses complices clés de son cinéma, comme le directeur de la photographie Rob Hardy ou les musiciens Geoff Barrow (du groupe Portishead) et Ben Salisbury.
Suite à la mort de son mari après une dispute conjugale, Harper se réfugie dans un gîte à la campagne pour se reconstruire au calme. Au cours d'une promenade en forêt, elle est poursuivie par un étrange homme nu... Ce n'est que le premier d'une série d'incidents qui va révéler que le village où elle s'est installée est loin d'être un havre de paix.
La campagne anglaise, ses forêts giboyeuses et ses prairies saturées de vert paraissent un lieu idéal pour se reposer loin du tumulte des villes. Néanmoins, le cinéma d'horreur anglais nous invite régulièrement à nous méfier des apparences, l'accueil réservé aux intrus dans ces régions étant parfois loin d'être idyllique. Dans LES SORCIÈRES de la Hammer, Joan Fontaine se heurte à une secte néo-païenne. Dans LES CHIENS DE PAILLE, Dustin Hoffman affronte une communauté très malveillante. Dans THE WICKER MAN, un policier enquêtant sur une île isolée découvre que toute la population est liée par un terrible secret...
Harper, l'héroïne de MEN, est un personnage traumatisé par la mort de son conjoint James, décédé dans des circonstances floues à la suite d'une violente dispute conjugale. Cette mort violente la plonge dans les affres d'un deuil et d'une culpabilité hors du commun. Elle recherche la paix dans une belle maison rustique d'où elle télé-travaillera.
Mais elle va vivre des rencontres et des aventures insolites qui seront autant d'étapes de sa thérapie, autant de démons et de maux qu'elle devra affronter. Dans ce village étrange, peuplé seulement par des hommes (tous joués par le même acteur Rory Kinnear), elle se confronte à une gamme d'agressivités : parfois directement physiques et verbales, parfois dans la manipulation et la culpabilisation.
La première partie de MEN est en ce sens intrigante, en particulier la randonnée de Harper dans la forêt britannique, magnifiée par la photographie époustouflante de Rob Hardy. Comme dans ANNIHILATION, Alex Garland confronte les ruines de la civilisation humaine (ici une voie ferrée et ses installations abandonnées) à l'anarchie bouillonnante et géométrique de la nature qui les dévore. Et comme dans ANNIHILATION également, l'humain et le végétal se mélangent organiquement, ici à travers un étrange homme des bois, figure menaçante surgissant des souvenirs de l'Angleterre païenne.
Car comme dans plusieurs classiques de l'horreur anglaise, de RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR à THE WICKER MAN, de NIGHT OF THE EAGLE à LES SORCIÈRES, le cinéma d'épouvante british aime fouiller dans ses racines celtiques pour en dégager des figures inquiétantes. Ici, il s'agit de «l'Homme Vert», motif classique de la sculpture ornemental européenne, associée à des représentations du Printemps et de la renaissance de la Nature. Idée d'une renaissance sans fin que nous retrouvons d'une certaine façon dans le dénouement très gore de MEN ! De manière intéressante, le film français OGRE sorti peu avant MEN brasse les mêmes thématiques du folklore rural et de la masculinité toxique...
Outre le paganisme britannique et ces ancêtres de la Folk Horror, MEN s'inspire des classiques du film d'invasion de domicile, genre dans lequel le cinéma anglais a largement fait ses preuves, en particulier avec des grands classiques fondateurs comme LES CHIENS DE PAILLE ou TERREUR AVEUGLE.
Bien que MEN soit très ambitieux formellement en terme d'image et de son, ce premier film d'horreur d'Alex Garland constitue une relative déception. Alors que ses précédents métrages étaient des films de science-fiction, qui exploraient vraiment leur genre et ses sujets (comme la technologie, la rencontre avec un organisme extraterrestre), MEN n'utilise l'horreur que pour l'exploiter sous forme d'une allégorie, allégorie du voyage thérapeutique effectuée par Harper, allégorie de l'horreur des violences faites aux femmes. Ce qui apporte une distance au film, une opacité au métrage. Par ailleurs, le lien entre la Folk Horror et ce sujet des comportements anti-femme ne paraît pas évident, Alex Garland semble brasser deux genres à la mode sans que la sauce prenne.
Surtout, cette allégorie est claire très tôt dans le métrage, si bien que dans son propos et son discours, MEN n'apporte au fond que peu de surprises lors de son déroulement. Même si les événements sont étonnants, le spectateur comprend trop tôt où ils le mènent.
Alex Garland s'attaque donc à l'épouvante, en plaçant au cœur de son métrage les diverses formes de violences traumatisantes imposées aux femmes. L'intention est louable, et le film contient des moments fascinants réussis, comme l'exploration de la forêt en particulier. Il pose aussi quelques moments d'agressions stressants. MEN propose certainement des vraies idées de cinéma, qui prennent complètement vie sur grand écran et portent la signature d'un grand réalisateur. Pourtant, sa réussite honorable reste un cran en deça de ce que nous attendions de son auteur après ses deux précédents et passionnants métrages.