Baxter pense. Il réfléchit. Il se pose des questions existentielles.
Qui suis-je, où vais-je ? Il vit et observe les autres, les hommes,
qu'il méprise le plus souvent, qu'il envie parfois, mais parmi
lesquels il ne se retrouve pas. Jamais. Il se sent seul. Personne ne
le comprend, il se sent inutile. Personne ne lui demande rien. Persuadé
qu'il doit avoir un but auprès de quelqu'un, il enrage de mener
une vie trop tranquille, d'abord auprès d'une vieille sans odeur,
ensuite auprès d'un couple qui l'oublie à la naissance
de son bébé. Bref, une vraie vie de chien. Ce n'est qu'aux
côtés d'une graine de nazillon qu'il a enfin l'impression
d'exister enfin.
Quand Jérôme Boivin décide de se mettre au cinéma, il ne s'attaque pas au plus facile. Il commence par s'inspirer d'un roman de Ken Greenhall dont l'échec commercial fut retentissant. Mais Boivin a envie de quelque chose de nouveau, de sortir du court-métrage et du documentaire, sur lesquels il a uvré jusque -là. Il tente de réaliser un film policier, classique, mais il s'ennuie très vite et jette l'éponge. Il veut autre chose. Ce sera BAXTER. Ce premier film fait l'effet d'une petite bombe subversive à sa sortie, en 1988. Avec la complicité de Jacques Audiard, il a su donner à l'histoire de ce bull-terrier très terre-à-terre une dynamique étonnante, faisant du chien un héros à la fois triste et inquiétant. Baxter réfléchit tout au long du film, et la voix off de Maxime Leroux raconte à la première personne les pensées les plus intimes du chien frustré, désabusé, rancunier méprisant. Il rumine des pulsions meurtrières et sexuelles, nourrit des fantasmes de destruction qu'il reconnaîtra chez Charles, l'insupportable nazi en herbe, interprété par un tout jeune garçon, François Driancourt, acteur improvisé le temps du film.
Le personnage de Baxter est intéressant pour plusieurs raisons. Son ambivalence est troublante, en ce sens que tout au long du film, il apparaît à la fois comme un véritable chien, dont on suppose que les préoccupations sont très primaires, mais aussi comme un être humain dont l'incertitude est permanente. Deux niveaux de "lecture" du personnage sont donc compatibles, et ne se téléscopent jamais. Le chien, un bull-terrier presque repoussant, au regard fuyant apparaît comme une espèce de résidu de multiples croisements, un être victime de nombreuses manipulations génétiques. Il est laid, presque difforme et son côté voyeur le rend encore plus inquiétant. Lorsqu'il court, son arrière-train se déporte sur le côté, ses pattes courtes et grossières semblent disproportionnées par rapport à son corps. Enfin, sa tête a quelque chose d'indescriptible, sa forme (phallique ?) assortie de ses yeux en "trous de pine" a un je-ne-sais-quoi d'incroyablement obscène et vulgaire. Le casting à ce niveau-là est exceptionnel. Aucun chien n'aurait pu mieux prêter ses traits au jeu de ce débile léger qu'est le chien Baxter.
Le film pour sa part est divisé en trois actes, dont le schéma très simpliste pourrait correspondre à la naissance, la vie, la mort. Trois actes pour représenter une vie, de l'enfance, parée de son innocence, de ses questions et interprétations naïves, à l'âge adulte, où les préoccupations deviennent plus claires, les objectifs plus précis. Le chien Baxter à mesure qu'il grandit et observe le monde qui l'entoure devient plus actif, sa volonté se précise. Il sait dorénavant ce qu'il veut faire de sa vie. Il apprend aussi à mieux maîtriser ses pulsions animales, lorsqu'il trouve enfin un cadre de vie réglé par des lois et des ordres. La troisième partie du film montre un chien rassuré par les contraintes que Charles lui a imposées. Ici, l'image allégorique de la Loi est très claire. L'humain se distingue de l'animal par les lois et les interdictions qu'il a érigées. La satire sociale apparaît de plus en plus évidente à mesure que Baxter change de maître.
Sans être exceptionnel, le disque BAXTER remplit parfaitement son office en proposant une copie du film propre et au format cinéma. Seule bande-son, la version française en mono d'origine ne comporte pas de défaut. En fait, on peut surtout noter une initiative louable qui permettra sûrement à ce DVD français de s'exporter facilement. En effet, Studio Canal a pensé à y placer deux sous-titrages : l'un en anglais et l'autre en espagnol. Plutôt rare pour les films français ce qui est bien bête puisque la plupart des éditeurs se plaignent des importations. En plaçant ce type de sous-titrage sur nos disques, ce sont de petites exportations assurées !
Ce disque, édité par Studio Canal dans la collection Série Noire, a bénéficié d'un traitement très épuré, à l'instar de la célèbre collection de livres. Le visuel est jaune et noir, qu'il s'agisse de la jaquette ou des menus. Cette sobriété pourra surprendre, tellement on a maintenant l'habitude de voir des menus animés, imagés et pleins de gadgets. Côté bonus, l'éditeur a concocté une petite interview du réalisateur spécialement pour ce DVD. Jérôme Boivin raconte comment lui est venu le désir de se lancer dans la réalisation d'un film, et livres quelques anecdotes relatives au tournage. Quatorze minutes d'intervention, entrecoupées d'images fixes ou d'extraits du film, et surtout d'un passage qui aurait pu faire l'objet d'un petit supplément à lui tout seul : les premiers essais du jeune garçon qui interprète Charles, et de la jeune fille qui lui donne la réplique. Outre cette interview réalisée spécialement pour ce disque, on pourra aussi découvrir une courte intervention du directeur de la publication de la collection Série Noire, qui apportera quelques impressions sur cette adaptation du roman de Ken Greenhall. Pour lui, le film est infiniment plus intéressant et réussi que le livre, qu'il qualifie tout simplement de médiocre et qu'il dit volontiers mal écrit.
Une galerie de photos propose l'affiche et une série de dix-neuf photos toutes extraites du film, dont une nous a laissés perplexes dans le sens où elle représente une scène apparemment absente du métrage final. A ce propos, aucune indice ne nous sera donné dans l'interview du réalisateur. Pour poursuivre sur le contenu de ce DVD, on trouvera une bande-annonce très sobre, plus proche du teaser, d'ailleurs, et un historique assez succinct du roman noir qu'on retrouvera probablement sur tous les disques de cette collection. Enfin, les filmographies des acteurs les plus connus, viennent compléter cette édition.
BAXTER est un film plein d'une rage contenue, qui laisse le spectateur mal à l'aise, à l'instar du film de Gaspar Noé, SEUL CONTRE TOUS, précédé de CARNE, même si ces derniers proposaient des images bien plus explicites et violentes. Ces films sont également assez proches du fait de leur narration et de leur propos. Dans chacun d'eux, le personnage principal raconte sa vie et livre ses pensées les plus intimes au spectateur, tandis que se déroulent des passages de sa vie. Ensuite, comme dans les films de Gaspar Noé, les scènes sont entrecoupées d'écrans sur lesquels sont inscrites des transitions dans la vie des personnages. Enfin, et pour finir ce parallèle, notons que le personnage de Baxter et celui du boucher sont identiques : ils se sentent seuls et incompris.
Ce premier essai réussi de Jérôme Boivin se déguste avec un certain plaisir et donne un point de vue idédit de la vie à travers le regard de ce chien qui se cherche. Et rappelez-vous que d'après le peintre Toussaint Nicolas Charlet, "Ce qu'il y'a de meilleur dans l'homme, c'est le chien".