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Critique du film
SOEURS DE SANG 1972

SISTERS 

Une jeune femme, Danielle Breton, invite un homme à passer la nuit chez elle. Le lendemain matin, il se rend compte qu'elle partage son appartement avec sa sœur jumelle Dominique...

Après la sortie de sa comédie GET TO KNOW THE RABBIT en 1972, Brian De Palma réalise ce SŒURS DE SANG, thriller sanglant à connotation fantastique. Souvent considéré comme le véritable commencement de la carrière de ce metteur en scène, ce titre inaugure une série de thrillers et de films fantastiques qui s'étale jusqu'à BODY DOUBLE en 1984. Il s'agit déjà d'un hommage à Alfred Hitchcock, et De Palma recrute pour la musique son fameux compositeur Bernard Herrmann, maître d’œuvre de partitions comme SUEURS FROIDES ou PSYCHOSE.

Le rôle principal de SŒURS DE SANG est tenu par Margot Kidder (elle deviendra célèbre en interprétant Loïs Lane dans SUPERMAN de Richard Donner et nous la reverrons dans AMITYVILLE, LA MAISON DU DIABLE). Nous rencontrons encore Jennifer Salt et William Finley, déjà habitués du cinéma de De Palma.

Brian De Palma naît en 1940 dans l'état du New Jersey. Son père est un chirurgien et Brian poursuit de brillantes études de physique tout en s'intéressant au théâtre. Puis il acquiert une caméra 16 mm et dirige plusieurs courts-métrages au tout début des années soixante comme ICARUS, 660214, THE STORY OF AN IBM CARD (un peintre sacrifie sa vie au profit de son art) et enfin WOTON'S WAKE (un artiste fou s'éprend d'une de ses statues), sa première collaboration avec l'acteur William Finley.

WOTAN'S WAKE vaut à De Palma des récompenses et lui permet de tourner son premier long métrage : THE WEDDING PARTY (influencé par la Nouvelle Vague française, il raconte les événements précédant une fête de mariage) ; y débute Robert De Niro ! Son tournage et sa production sont très chaotiques, il ne sort aux USA qu'à la fin des années soixante.

De Palma aligne ensuite des travaux moins ambitieux : JENNIFER (court-métrage de fiction avec Jennifer Salt), MOD (documentaire, resté inachevé, sur le rock anglais des années soixante), BRIDGE THAT GAP (documentaire tourné dans le Sud des États-Unis, commandé par une association anti-raciste), SHOW ME A STRONG ROOM AND I'LL SHOW YOU A STRONG BANK (documentaire sur le système bancaire américain) et THE RESPONSIVE EYE (documentaire consacré à une exposition du Musée d'Art Moderne de New York).

Ensuite, De Palma revient aux longs métrages de fiction. MURDER À LA MOD de 1968, un thriller, raconte comment un jeune réalisateur est entraîné dans une affaire de meurtres. Puis il tourne GREETINGS sorti la même année, avec De Niro, une satire de la vie new-yorkaise à la fin des années soixante, qui lui vaut un Ours d'Argent au Festival de Berlin.

Il réalise ensuite un documentaire DYONISUS IN '69 en 1970, consacré à une performance théâtrale, dans lequel il utilise le split-screen, procédé technique qui deviendra sa marque de fabrique. Après vient, toujours en 1970, HI, MOM !, la suite de GREETINGS, encore une comédie, toujours avec De Niro, qui incarne ici un vétéran de la guerre de Vietnam obsédé par le voyeurisme dans un métrage placé sous une influence expérimentale Godardienne.

De Palma se rend finalement à Hollywood, où il fait encore un film humoristique avec GET TO KNOW THE RABBIT de 1972 (un homme d'affaires s'oriente vers une carrière de prestidigitateur). Tourné dès 1970 et interprété entre autres par Orson Welles, c'est un échec et une très mauvaise expérience qui force De Palma à l'inactivité pour deux années. Il s'oriente alors vers le genre thriller sanglant qui va le rendre célèbre, avec SŒURS DE SANG, son premier gros succès.

Son récit s'appuie sur le cas de deux sœurs siamoises liées à la naissance par la hanche et séparées par une opération chirurgicale. De Palma a en effet été très impressionné par un article publié dans « Life » en 1966 consacré à deux sœurs siamoises vivant en Russie. Le film traite de thèmes tels que les liens familiaux, la monstruosité et le double. Le sujet des frères jumeaux et / ou siamois apparaîtra chez d'autres cinéastes contemporains de De Palma : nous pensons aux excellents FRÈRE DE SANG de Frank Henenlotter ou FAUX-SEMBLANTS de David Cronenberg. De Palma lui même y reviendra avec le thriller décevant L'ESPRIT DE CAÏN en 1992.

SŒURS DE SANG se présente déjà comme un hommage au réalisateur d'origine britannique Alfred Hitchcock auquel De Palma voue une très grande admiration. Par la violence et l'habileté de ses séquences de meurtres au couteau, et par son approche hystérique de la schizophrénie et du dédoublement de personnalité dans un cadre familial, il évoque directement PSYCHOSE. Comme dans ce chef-d’œuvre, De Palma fait mourir de manière inattendue le personnage qu'on pensait être le héros du film, dès le premier quart d'heure du métrage (procédé qu'il reprendra de manière encore plus efficace dans PULSIONS).

Par un rebondissement malin, De Palma nous fait passer de PSYCHOSE à un autre classique de Hitchcock : FENÊTRE SUR COUR (un journaliste photographe, interprété par James Stewart, est cloué dans une chaise roulante par une jambe cassée ; il espionne ses voisins au téléobjectif et soupçonne l'un d'eux d'avoir commis un meurtre). Dans SŒURS DE SANG, c'est aussi une journaliste qui assiste de sa fenêtre à un meurtre perpétré par une des sœurs Breton. La police ne la croit pas et elle décide de mener sa propre enquête avec l'aide d'un détective privé. La structure du récit rappelle FENÊTRE SUR COUR, une paire de jumelles remplace l'appareil photo. Certaines séquences paraphrasent des moments fameux du film d'Hitchcock (l'incursion du détective chez les Breton, surveillée du point de vue de la journaliste, rappelle la dangereuse expédition de Grace Kelly dans l'appartement de son voisin).

De Palma joue sur deux questions récurrentes de son travail : le voyeurisme et la manipulation. SŒURS DE SANG s'ouvre ainsi sur un jeu télévisé de type "caméra cachée", dans lequel des voyeurs sont provoqués et observés à leur insu. Ce jeu du voyeur observé et manipulé, notamment à travers des méthodes technologiques modernes comme les moniteurs de télévision, les microphones et les magnétoscopes, permettra à De Palma des constructions narratives complexes et des séquences virtuoses multipliant les points de vue inattendus. Nous pensons au circuit de caméras de surveillance de PHANTOM OF THE PARADISE, au preneur de son de BLOW OUT, au psychanalyste de PULSIONS, à l'appartement panoramique de BODY DOUBLE, à la régie de SNAKE EYES...

Dans sa conclusion démente, SŒURS DE SANG s'oriente vers LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES de 1945, autre classique de Hitchcock, se déroulant dans un asile psychiatrique et impliquant une histoire de schizophrénie et de culpabilité, basée sur la relation tragique entre un médecin et son jeune frère. Ce film était agrémenté par une séquence de rêve hallucinatoire sur laquelle avait travaillé le peintre surréaliste Salvador Dali. De Palma propose lui aussi une séquence cauchemardesque perçue par la journaliste au cours d'une éprouvante séance d'hypnose. De Palma, utilisant un noir et blanc fantastique, des objectifs à très courte focale (déformants) et des effets de diaphragme se refermant, propose des visions clairement expressionnistes (le directeur d'asile porté sur l'hypnose et les malades mentaux errant dans la grande salle évoquent directement LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI de Robert Wiene, chef-d’œuvre fondateur de ce cinéma).

Ces cauchemars hallucinatoires retracent avec excentricité le drame des deux sœurs siamoises et proposent des plans apparemment très influencés par LA MONSTRUEUSE PARADE de Tod Browning. Particulièrement avec le baiser donné à Danielle, tandis que sa sœur accrochée à elle par la hanche, se tient à ses côtés. Comme dans le chef-d’œuvre de Browning, les personnages considérés comme monstrueux sont condamnés à vivre dans la marginalité et la solitude, sous le regard méfiant des gens dits normaux. Nous retrouverons cette condition tragique et pathétique du monstre dans CARRIE et FURIE (deux films mettant en scène des jeunes gens doués de pouvoirs surnaturels). Et surtout dans PHANTOM OF THE PARADISE, adaptation du roman de Gaston Leroux « Le fantôme de l'opéra », liant l’œuvre de De Palma aux classiques des films de monstres hollywoodiens de l'entre-deux guerres.

Dans SŒURS DE SANG, De Palma rehausse la thématique de la monstruosité d'un goût pour la psychanalyse hérité de Hitchcock (LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES, SUEURS FROIDES), ainsi que d'une liberté de ton, en ce qui concerne la violence explicite et la description de la sexualité de ses personnages, inenvisageable dans le cinéma américain avant les années soixante-dix. En plaçant l'horreur dans un cadre réaliste et en la conjuguant avec le thème de la sexualité féminine refoulée, De Palma se place aussi dans la lignée du Polanski de REPULSION et ROSEMARY'S BABY.

Toutefois, SŒURS DE SANG n'est pas l’œuvre la plus réussie de son réalisateur. Après un début convaincant, le récit s'enlise dans une enquête qui, sans être ennuyeuse, est banale. Les séquences de l'asile psychiatrique arrivent de manière peu naturelles, bien qu'elles baignent dans une ambiance de folie prenante. À de rares exceptions près (le premier meurtre), nous ne trouvons pas encore la virtuosité qui fera la réputation de De Palma dans les années suivantes. Certes, nous avons déjà une séquence à suspense en split-screen, mais elle est moins efficace et prenante que celles mythiques de PHANTOM OF THE PARADISE ou CARRIE. La réalisation, encore un peu quelconque, nuit notamment aux scènes de cauchemar, qui sentent parfois le surréalisme des années trente réchauffé pour l'occasion.

Le suspense ménage cependant suffisamment de surprises réussies et la réalisation connaît quelques moments de grâce, si bien que SŒURS DE SANG reste tout à fait regardable. Il est assez passionnant de voir son réalisateur mettre ici en place son style formel très personnel et les thématiques qu'il développera ultérieurement. SŒURS DE SANG connaît un assez gros succès à sa sortie et permet à Brian De Palma de réaliser ensuite son chef-d’œuvre : PHANTOM OF THE PARADISE.

Rappelons que le procédé du split-screen consiste à présenter deux images séparées par une ligne dans un même cadre, ce qui permet de suivre deux points de vue simultanés sans recourir au montage alterné traditionnel. Ce procédé a été popularisé à la fin des années soixante dans, notamment, L'ÉTRANGLEUR DE BOSTON de Richard Fleischer ou GRAND PRIX de John Frankenheimer. Néanmoins, nous trouvons des idées semblables très tôt, dès NAPOLÉON de 1927 du français Abel Gance par exemple, avec le défilé de l'armée française en Italie conçu pour être projeté sur 3 écrans juxtaposés ; ou aussi dans DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE de Rouben Mamoulian dès 1931.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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