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Critique du film
TITANE 2021

 

En 2016, GRAVE, premier long métrage de Julia Ducournau, attire l'attention du public spécialisé dans le fantastique, mais aussi d'une critique plus généraliste. A mi-chemin de deux genres codés (le film de monstre et la comédie adolescente), ce qui n'aurait pu être qu'un TEEN WOLF franchouillard et inoffensif s'avère un titre plus grinçant, dans la lignée d'un GINGER SNAPS. Mais GRAVE est désavantagé par une seconde moitié peu convaincante à notre goût.

Le second long métrage de Julia Ducournau ne commence son tournage qu'en 2020. Il est sélectionné pour le festival de Cannes de 2021, et récolte carrément une Palme d'Or inattendue, rejoignant les lauréats les plus rock'n roll de cette récompense, les EASY RIDER, IF..., SAILOR ET LULA et autres PULP FICTION.

TITANE confronte deux acteurs principaux aux parcours radicalement opposés. il s'agit du premier long métrage interprété par Agathe Rousselle, qui incarne Alexia, personnage central de TITANE. Elle se trouve face à Vincent Lindon, vétéran du cinéma français, ayant débuté dans des seconds rôles comme pour le polar hexagonal LE FAUCON au début des années quatre-vingts, avant de faire son trou en tant que jeune premier séducteur et ne plus quitter les écrans depuis. 

Au-delà des classiques comédies populaires et autres drames d'auteur du cinéma français, nous l'avons croisé dans des titres plus singuliers, comme le film policier POUR ELLE de Fred Cavayé, ou même dans des métrages insolites comme LA MOUSTACHE ou le glauque LES SALAUDS de Claire Denis. Sa carrière connaît un rebond récent avec les deux films sociaux et intenses de Stéphane Brizé LA LOI DU MARCHÉ et EN GUERRE...

Victime d'un grave accident de voiture dans son enfance, Alexia gagne sa vie comme danseuse de charme s'exhibant dans des expositions d'automobiles tunées. Elle mène aussi une double-vie de tueuse en série, laissant un sanglant sillon de victimes derrière elle. Sur le point d'être attrapée, elle se fait passer pour un jeune homme nommé Adrien, disparu depuis dix ans et recherché par Vincent, son père désespéré. Ce dernier reconnaît en cet « Adrien » son fils et l'accueille chez lui...

TITANE trace l'odyssée insolite d'Alexia, jeune femme manifestement psychopathe, incapable d'empathie envers tout être humain. Une psychopathe aux réactions imprévisibles et ultra-violentes, plaçant le premier acte de TITANE sous le signe du gore et de massacres pour le moins sanglants. Incapable d'aimer les humains, Alexia est amoureuse des machines, des voitures, auxquelles elle s'accouple figurativement dans ses spectacles dansés, mais aussi concrètement dans des étreintes mécaniques et surréalistes, renvoyant au souvenir de CRASH bien sûr, mais aussi d'un délire biomécanique à la TETSUO. Alexia vit dans son monde, dans sa tête, un monde hermétiquement coupé des autres par cette plaque de titane scellant son crâne. 

Sur le point d'être arrêtée par la police après un crime particulièrement violent, elle se fait passer pour un jeune homme et plus précisément pour Adrien, adolescent disparu depuis dix ans. Le père d'Adrien, Vincent, commandant d'une caserne de pompiers, recueille alors Adrien-Alexia. Si Alexia prend des vies, Vincent en sauve par son métier, et il porte un amour paternel inconditionnel, douloureux, pour un enfant perdu et disparu de longue date. Cet amour radical, sans espoir de retour, le conduit à des comportements auto-destructeurs en particulier à travers l'addiction à des substances apaisantes et anti-douleurs.

Ces deux personnages assez dingos se rencontrent et contre toute attente se complètent. Alexia apporte à Vincent le réceptacle pour son immense tendresse paternelle, et elle brise la solitude dans laquelle il s'est enfermé dans l'attente désespérée de son fils perdu, Vincent apporte la protection et la bienveillance sans condition, sans limite qui va réconforter Alexia. Marginaux errant dans des mondes nocturne, ils sont portés par les interprétations exceptionnelles, ultra-physiques et radicales d'Agathe Rousselle et Vincent Lindon.

Julia Ducournau prolonge avec TITANE sa représentation du corps féminin et de sa sexualité, accompagnée de mutations cycliques très graphiques. Si GRAVE se penchait sur la puberté, TITANE s'attaque à la maternité. D'abord présenté comme ultra-désirable, le corps d'Alexia passe par les épreuves déformantes d'une grossesse extrême. Alexia, se découvrant enceinte commence par mener une tentative d'auto-avortement sans ménagement, à la limite du supportable pour le spectateur. Cette grossesse se ponctue d'écoulements noirâtres et de démangeaisons sanguinolentes que Ducournau nous fait partager en long, en large et en travers ! 

La mutation est aussi liée à l'identité sexuelle, Alexia/Adrien passant par divers stades allant d'une hyper-féminité affichée et provocatrice à une ambiguïté androgyne, et finalement presque hermaphrodite. 

Si les éléments rassemblés évoquent un récit réaliste, TITANE contient des touches grotesques, que le spectateur accepte ou rejette, selon sa sensibilité et sa tolérance à la liberté prise par la réalisatrice. Le spectateur se voit aussi prié de mettre de côté certaines exigences de crédibilité, avec par exemple la capacité étonnante d'Alexia à dissimuler son corps de femme très enceinte ! Pour notre part, de telles libertés ne nous dérangent pas tant. Ici elles n'égratignent que la logique narrative fonctionnelle. Tandis que l'originalité, la force artistique et la cohérence de TITANE en sortent indemnes, haut la main.

Second essai plus que transformé donc pour Julia Ducournau. Avec TITANE elle propose une vraie réussite, du vrai cinéma taillé pour le grand écran.  Du cinéma qui tranche, qui provoque, mais aussi une vraie histoire d'amour incarnée, portée par des personnages vecteurs d'une tendresse radicale, hors norme. Entre Alexia éprise de ce qui ne vit pas (les machines), et Vincent fou de tendresse pour ce qui ne vit plus (un fils qui ne reviendra jamais), il se crée une connexion placée sous le signe d'amours absolus et impossibles. Un sentiment amoureux d'un romantisme total, puisque totalement hors des règles et des normes.

Alors, écririons-nous que TITANE est un film irréprochable ? Non, car tout n'y est pas parfait. Il s'agit d'un film enthousiasmant, énergique, attachant... mais aussi d'un métrage où tout n'est pas forcément subtil. Nous avons des réserves sur la musique originale parfois lourde et sur son emploi parfois forcé. A force de vouloir embrasser de nombreuses thématiques, TITANE se montre parfois chaotique et désorientant. Mais il reste un métrage réussi, une œuvre de son temps, aux potentialités prometteuses.

Car si nous craignions que TITANE ne suive les travers formalistes de certains films de Gaspar Noé et autres Nicolas Winding Refn, Julia Ducournau sait dépasser les limites d'une simple image léchée ou d'une technique bluffante. Elle se focalise sur ses personnages et sa direction d'acteur, porte un regard empathique sur ses deux anti-héros détraqués par la vie. Trouvant un entre-deux entre les visions psychotiques d'un Tsukamoto et la tendresse d'un Fassbinder pour les amours marginales, Julia Ducournau nous emporte dans son histoire d'amour unique, vécue par des gens pas comme les autres, c'est à dire par des gens qui nous ressemblent.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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