Frédéric Lansac (Philippe Lemaire) est un peintre en vogue à la fin des années 60. Il tombe sous le charme d'Anne (Anny Duperey) et l'emmène dans son château. Malgré une idylle forte, une dispute avec une de ses ex nommée Moira (Elizabeth Teissier), précipite Anne dans un feu où elle se transforme en torche humaine et se retrouve défigurée. Perdant le goût de la peinture, il n'aura de cesse de tenter de lui greffer un nouveau visage.
Seconde réalisation de Claude Mulot après BIEN FAIRE ET LES SEDUIRE connu aussi sous le titre de SEXYRELLA, LA ROSE ECORCHEE connut une destinée contrariée lors de sa sortie retardée en 1970. Il rassemble malgré tout quelques 228 331 entrées sur ses 6 années d'exploitation à travers la France. Le film fut peut-être plus plébiscité à l'étranger, où par ailleurs quelques DVD sortirent, notamment en langue anglaise sous son titre de THE BLOOD ROSE. C'est pourtant sous bannière française que le film émerge en UHD, Blu Ray et DVD, chez Le Chat Qui Fume, en mai 2019. On revient aujourd'hui tardivement sur l'édition Blu Ray.
LA ROSE ECORCHEE reste à ce jour une des rares tentatives de film de terreur gothique à la française. Un genre très populaire au début des années 60 en Italie, avec de nombreuses co-productions françaises, mais qui s'étiola gentiment dans la deuxième partie de la décade 60/70. Certains cinéastes tentèrent d'épicer le tout avec de l'érotisme - dont le récemment sorti LA BAMBOLA DI SATANA de Ferruccio Casapinta - voire de croiser les genres. Il s'agit globalement de cette tentative, de la part de Claude Mulot, qui va mélanger (timidement) horreur, érotisme olé-olé et velléité auteurisante.
Autant le dire tout de suite, le film s'avère un ratage, mais un ratage symathique malgré tout. On passera les emprunts évidents provenant du chef-d'oeuvre de Georges Franju, LES YEUX SANS VISAGE. Déjà repompé dans L'HORRIBLE DR ORLOF de Jesus Franco avec Howard Vernon... dont d'ailleurs ce dernier se trouve au générique de LA ROSE ECORCHEE, dans le rôle idoine du docteur qui va tenter une greffe complète de visage sur la pauvre défigurée. Cette volonté normative de "rendre" la beauté initiale trouvera évidemment sa prolongation dans LES PREDATEURS DE LA NUIT, où, paradoxe, les interprètes croisés chez Franco, Rollin et Mulot, se télescoperont pour quasiment le même sujet. Comme beaucoup de films Bis de la fin des années 60, LA ROSE ECORCHEE exploite des filons ayant déjà généré quelques succès passés pour s'en réapproprier la sève et tenter d'injecter quelque nouvelle direction.
L'un des principaux problèmes du film réside dans son interprétation. La direction d'acteur s'avère particulièrement désastreuse dans la plupart des cas. Une certaine théâtralité dont on a du mal à comprendre si elle est volontaire ou non. Le final avec Anny Duperey déclamant aux personnes présentes de quitter la pièce prête plus à rire qu'à lui donner pitié de son sort... Idem pour Philippe Lemaire, pourtant excellent acteur à la base, qui lui aussi tombe dans un jeu théâtral qui dessert le propos. il faut dire aussi que certaines lignes de dialogues plutôt tartignolles, superficielles et trop littéraires, n'arrangent en rien les situations - tuant dans l'œuf le sérieux ampoulé dans lequel le film tente de s'immiscer. Un trait assez français, puisqu'on retrouvait cette même problématique de mélange film d'auteur/film d'exploitation chez Jean Rollin - mais dont ce dernier se sortait cependant beaucoup mieux via une plus grande rigueur logique, d'écriture et de thématiques.
L'un des deux personnages qui émerge grandement reste Anny Duperey, dont le naturel du jeu prend le pas sur l'ensemble du casting. Elle possède une présence fraîche florale indéniable et idéale, y compris dans sa scène de modèle nu délicatement orchestrée. La belle surprise vient du rôle joué par Howard Vernon, plus complexe en chirugien aux doutes existentiels et éthiques sur le bien-fondé de son opération. Quelques cadrages en contre-plongée (le moment où il confie la fameuse plante venimeuse) magnifient par ailleurs sa présence prenante dans le peu de scènes où il se retrouve. Deux beaux atouts, en écriture et en présence.
La caméra et la technique n'évitent pas non plus certaines maladresses. Il n'y a qu'à voir les moments risibles comme, par exemple, celui où Anne "tombe" dans le feu, très peu convaincant. Les effets spéciaux ne fonctionnent pas non plus, on ne verra que très peu du visage et le peu entr'aperçu n'est pas non plus réussi. Pour l'horreur pure, il faudra repasser. Et dix ans auparavant, Georges Franju s'en sortait largement mieux, rendant la beauté horrifique insupportable. Et le film entre directement dans la catégorie 'films de marches". En effet, les personnages montent, descendent, errent un nombre de fois impressionants dans escaliers, halls et couloirs. Ca compte pour la durée d'un film.
Idem pour les clichés des nains pervers et difformes, une constante dans le cinéma, décidément. Mais ici, les pires stéréotypes leur tombent sur la tête, grognant, affublés de peaux de bêtes - et évidemment ivres de sexe et de viol, voire de meurtre. Sans parler des non-sens et erreurs narratives qui parsèment le film. L'utilisation de candélabres nocturnes (là aussi un beau stéréotype du film gothique) alors que le film se déroule en 1969, une année où, semble-t-il, l'électricté était assez commune !
L'énorme qualité salvatrice du film demeure sa direction artistique. La photographie de Roger Fellous sauve indéniablement la mise. Le choix du château représente un autre atout, magnifié par de très beaux plans, diurnes ou nocturnes. Un choix adéquat de couleurs aux émergences gothiques que n'auraient par reniées Mario Bava ou son collaborateur Ubaldo Terzano. Il s'agit de la meileure symbiose que le film rencontre : la mélancolie permanente alliée aux couleurs parfois agressives, où l'on sent tout le pouvoir hypnotique avec la très belle restauration effectuée. De splendides moments surréalistes zèbrent le film, comme celui de la projection pendant une sorte de bal masqué. Mulot transcende un budget pauvrissime et le transforme en carnaval grotesque du plus bel effet. Le moment de torche humaine courant dans les ruines du château s'avère onirique, beau et terrifiant. Mais malheureusement, trop peu de turbulences énergisantes comme celles-ci traversent le film.
LA ROSE ECORCHEE possède une poésie désenchantée et horrifique propre à Georges Franju, mais contrebalancée par des élans Z à base de dialogues et situations ridicules. Entre les femmes dénudées pour toutes les bonnes (ou mauvaises) raisons du monde, ce qui peut paraître bien timide vu ce qui était déjà effectué à l'époque. Voir aussi le duel final, qui a de quoi laisser la machoire se décrocher à plusieurs reprises tant la chorégraphie et les péripéties engendrent plus l'hilarité que la peur ou le suspense...
Il s'agit d'une des contreparties du film d'exploitation : oser des situations improbables, les filmer avec sérieux, saupoudrer le tout d'éléments titillatoires... dépasser le mauvais goût pour le transfigurer. croire en son produit, en ses élans. Il conviendra à chacun de considérer le film comme un produit de son temps et de ses velléités de liberté créative - ou de mélodrame maladroit, tentant à tout prix de mettre dans le même panier des ambitions artistiques avec des éléments propres à racoler le public espéré - donc du cul et la promesse d'une horreur qu'on ne verra, hélas, pratiquement jamais.
Le Blu ray acheté dans le commerce arrive avec un boîtier transparent, donnant accès au menu principal animé, possibilité de lancer le film, suppléments et remerciements. Pas d'accès chapitré depuis le menu. Une durée totale de 94mn06, au format 1.66:1, sur un BD 50 GB, en 1080p et encodé en MPEG4-AVC. Pas de codage régional.
Vidéo : Une montée en grade impressionnante pour cette restauration effectuée par l'éditeur en 4K. Nous ne nous sommes pas procuré l'UHD, donc impossible d'en parler. Ici, le Blu Ray avec un débit moyen supérieur à 30kbps permet de donner toute la mesure du travail infiniment spectaculaire effectué par le directeur photo et son opérateur caméra. Si les premières images du générique peuvent surprendre de par leur fadeur et le grain un peu trop présent, on remarque de suite au niveau des inscriptions du générique qu'on aura affaire à un produit de qualité supérieure. Une palette de couleurs très large, des contrastes solides, une excellente gestion des noirs (voir la tenue d'Anny Duperey en fauteuil roulant, à 32mn07), tout comme des détails qui abondent : habits, drapés, décors, et contours des personnages... La couleur rouge, élément phare du film, éclate littéralement à l'écran qu'il s'agisse des plans extérieurs de la voiture de Lansac ou des décorations intérieures. Tout comme le jeu d'opposition avec la couleur verte, une constante dans le cinéma gothique italien et chez Lenzi à la fin des années 60. L'image reste stable et on ne remarque pas de griffures ou de poussières génant la projection. Un sens proprement affolant du détail caractérise cette édition.
Audio : Deux pistes, en version française et version anglaise, toutes deux en DTS HD MA 2.0, avec un sous-titrage anglais optionnel destiné au marché international, très probablement. Pas de sous-titrage français, ce qui aurait été pratique pour les amateurs sourds et malentendants. On conseillera plutôt le doublage français, plus clair et avec la piste musicale bien mise en valeur, au même titre que les dialogues, limpides. sans souffle notable. Le doublage anglais livre une musique un peu plus en arrière de l'action, et avec quelques effets parfois curieux : à 10mn27, par exemple, le doublage de Philippe Lemaire révèle un écho caverneux absent de la VF.
Côté suppléments, on ne cachera pas que l'effort fourni mérite amplement le seul achat de cette galette, tant les éléments en présence présentent un intérêt fondamental pour la compréhension de l'artiste et de son œuvre. En particulier une salve d'entretiens aux perspectives différentes apportent une lumière sur un réalisateur au final assez absent en regard dans sa propre patrie.
Absente du film, mais présente dans de nombreux films X de Claude Mulot et dans son redoutable LE COUTEAU SOUS LA GORGE, Brigitte Lahaie livre une analyse sans fard et cash de l'auteur et de ses rapports avec les acteurs. Toujours très pro et sans détour, un point de vue féminin complétiste de la part de l'actrice. On l'aime.
Un peu plus folklorique, le co-scénariste et producteur Edgar Oppenheimer, co-auteur de LA SAIGNÉE, également sorti chez le même éditeur. Un festival verbal haut en couleurs, teinté de nostalgie, de souvenirs d'une époque révolue... mais également une bordée d'approximations et d'erreurs factuelles - le RETOUR DES BIDASSES EN FOLIE, auquel il indique avoir participé au scénario (alors qu'il n'est pas au générique) est très loin d'avoir effectué les 2,5 millions d'entrées avancés par ses soins (en fait 1 106 593), tout comme la nationalité d'Howard Vernon (qui est en fait suisse), entre autres... Le personnage haut en couleurs engendre un énorme capital sympathie mais il faut toutefois prendre avec quelques pincettes certaines de ses affirmations. Il demeure indéniable cependant qu'on passe un excellent moment en sa compagnie !
Le segment de loin le plus prenant demeure celui avec l'opérateur caméra Jacques Assuerus. Près de 35mn d'une sommité technique sur une carrière hors du commun. Il est absolument pa-ssio-nnant à écouter. Des précisions assez incroyables sur les techniques utilisées (la caméra à l'épaule entre autres exemples), les tournages en urgence - notamment celui à New York pour LA SAIGNEE et la scène dans le métro. Qu'il s'agisse d'audaces technologiques, d'anecdotes sur le groupe d'amis formé par le réalisateur avec entre autres (surprise) Johnny Hallyday, le tournage du court-métrage projeté pendant ses concerts sauce Mad Max en 1982... une tranche de vie dont il reste difficile de se départir, tant Assuerus captive, de détails en élans de passion cinéma. Un très grand moment.
Concernant Hubert et George Bauman (ici 2e assistant réalisateur), leur entretien croisé commence sur les premiers souvenirs de collaborations avec la maison de production Oppenheimer, et leurs débuts avec le réalisateur. Ils possèdent des souvenirs de moments bien précis sur le tournage (bien qu'ils se chamaillent gentiment sur certains points !), de la tombe creusée, du grand professionalisme de Roger Fellous. Beaucoup d'anecdotes, oscillant entre des références people, les méthodes de vente à l'international ou leurs impressions sur les comédiens et techniciens. Très fun et hélas trop court (11mn32), car ils semblent être ce qu'on appelle de très bons clients !
On passera sur l'intérêt tout relatif de LA ROSE ECORCHEE en mode VHS, qui fera sans aucun doute plaisir aux nostalgiques des années 80, complétant l'ambiance vintage assumée du produit. En 4/3, générique "Atlantic Home Video" compris, dans des couleurs baveuses et une définition particulièrement affreuse qui touchent au sublime sur un peu plus de 84mn. Pour les complétistes !
Enfin, un segment rare de 1969, en noir et banc, sur le tournage du film, avec répétitions à l'appui et entretien sur le vif avec Claude Mulot parlant de son oeuvre et ses enjeux. Court mais là aussi, un bel objet témoin du temps passé - donc forcément capital. Le reste de l'édition comprend deux films annonces d'époque, l'un en VF l'autre pour le marché US, tout comme une série de films annonce de long-métrages du catalogue de l'éditeur (voir liste sur la colonne de gauche réservée aux suppléments, pour le contenu et leurs spécifications). Tous sont en HD, sauf celui de MANIAC, dans toute sa gloire de VF René Chateau.
Il n'y aura probablement jamais de meilleure édition pour LA ROSE ECORCHEE - quoiqu'il faille admettre qu'on aurait été tous bien curieux du point de vue d'Anny Duperey - qui allait quelques années plus tard également naviguer dans un film d'horreur, LE DEMON DANS L'ILE, réalisé par un autre auteur de films X, Francis Leroi (qui logiquement devrait débarquer en format physique français courant 2020). Mais visiblement, elle n'a pas l'air de trop vouloir s'exprimer à ce sujet !
Si LA ROSE ECORCHEE reste loin d'être indispensable, les travaux de restauration vidéo et audio apparaissent spectaculaires, inespérés - tout comme l'étendue des suppléments, très précieux. Recommandé.