Le professeur Kingsley, un brave homme, se fait écraser par une voiture conduite par des gangsters. Son ami, le professeur Sovac, le sauve et lui greffe le cerveau de Red Cannon, un de ces bandits. Tout semble aller pour le mieux, mais Kingsley laisse parfois apparaître une inquiétante seconde personnalité...
En 1940, Universal produit ce VENDREDI 13, réalisé par Arthur Lubin. Au cours de sa carrière, il s'illustre dans les comédies produites par cette firme, notamment la série des Abott et Costello (qui apparaissent au départ comme des imitateurs de Laurel et Hardy). En 1941, nous le trouvons aux manettes DEUX NIGAUDS MARINS ou DEUX NIGAUDS SOLDATS. Plus tard,au début des années cinquante, il travaille sur un autre cycle humoristique et fantastique, la série des Francis qui met en scène un âne doué de la parole (FRANCIS, FRANCIS AUX COURSES...).
Il collabore deux fois à la série des classiques de l'épouvante Universal. Son apport le plus célèbre s'avère sa version de LE FANTÔME DE L'OPÉRA de 1943 en Technicolor, interprétée par le grand Claude Rains. Mais son premier jalon est ce VENDREDI 13 (sans rapport avec la série homonyme des années 80) dans lequel on rencontre les deux plus grandes stars de l'épouvante d'alors : Boris Karloff et Bela Lugosi. Ces vedettes respectives de FRANKENSTEIN et DRACULA se sont déjà rencontrés dans quatre autres films fantastiques de la Universal : LE CHAT NOIR en 1934, LE CORBEAU en 1935, LE RAYON INVISIBLE en 1936 ; puis LE FILS DE FRANKENSTEIN en 1939.
A leurs côtés apparaît Stanley Ridges, comédien souvent cantonné dans les seconds rôles, mais dont le nom apparaît au générique de nombreux classiques hollywoodiens comme JEUX DANGEREUX de Lubistch ou LA CHARGE FANTASTIQUE de Raoul Walsh. Le rôle du professeur Sovac aurait du être tenu par Lugosi, tandis que Karloff devait interprété Kingsley, le greffé du cerveau. Mais le réalisateur confie finalement le rôle de Sovac à Karloff et celui de Kingsley à Stanley Ridges. Lugosi se retrouve dans un rôle secondaire.
VENDREDI 13 est au premier abord un classique film de savant fou, personnage alors très populaire dont Boris Karloff se fait une spécialité au début des années 40 : citons LE SINGE TUEUR, THE MAN WITH NINE LIVES, THE BOOGEY MAN WILL GET YOU ou LA MAISON DE FRANKENSTEIN. Mais, en greffant à l'inoffensif professeur Kingsley le cerveau d'un gangster sadique, ce savant le change en un personnage double, évoquant à la fois LE LOUP-GAROU de George Waggner et, surtout, DOCTEUR JEKYLL ET MR. HYDE de Rouben Mamoulian.
Avant sa mort, le gangster Red Canon a caché un butin de 500.000 dollars, lequel intéresse beaucoup de monde, y compris le professeur Sovac ! Une bonne partie de l'intrigue tourne alors autour d'une histoire de gangsters ponctuée de violents règlements de compte. Tout cela nous rappelle les classiques du cinéma hollywoodien des années 30 qui mettent en scène des caïds psychopathes, en particulier les trois classiques fondateurs du genre «Gangster» LE PETIT CESAR de 1930 avec Edward G. Robinson, L'ENNEMI PUBLIC de 1931 avec James Cagney et SCARFACE de 1932 avec Paul Muni.
Cette imbrication du fantastique et du film de gangster apporte une touche d'originalité très bienvenue à VENDREDI 13. Le mélange se montre suffisamment harmonieux pour donner un récit solide, se suivant sans aucun ennui. La réalisation de Lubin, certes impersonnelle, est tout à fait réussie, sachant mettre en valeur aussi bien les séquences fantastiques (l'opération, Kingsley assailli par les spectres de ses victimes) que les violentes bagarres entre malfrats (le réservoir). La beauté des éclairages expressionnistes très maîtrisés, la splendeur des décors urbains et l'efficacité du montage participent elles aussi à la réussite de VENDREDI 13.
De nouveau, nous ne pouvons qu'applaudir l'interprétation très convaincante des comédiens de la Universal : Karloff est impeccable tout comme Lugosi (dans un rôle, un peu court, de gangster). Mais c'est surtout Stanley Ridges qui impressionne par la maîtrise de son double-rôle de professeur Kingsley/Red Canon. Aidé par le maquillages discret, mais irréprochables, signés Jack Pierce, il captive de bout en bout le spectateur et rend crédible et attachante cette histoire. Tous ces éléments réunis donnent une impression de solidité, d'homogénéité et de classicisme abouti.
Certes, tout ne déborde pas d'originalité, certaines scènes avec les gangsters sentent le déjà-vu. Mais VENDREDI 13 constitue un film fantastique captivant et réussi, une bonne surprise du cinéma fantastique américain des années quarante à ne pas négliger !