Header Critique : HOMME INVISIBLE, L' (THE INVISIBLE MAN)

Critique du film
L'HOMME INVISIBLE 1933

THE INVISIBLE MAN 

Après le succès du FRANKENSTEIN de James Whale, Boris Karloff est devenu la Star de l'épouvante de la compagnie Universal. Celle-ci s'empresse de faire réaliser UNE SOIREE ETRANGE par Whale, autre film angoissant où se rencontrent Charles Laughton et Karloff. Puis, les dirigeants de la firme réfléchissent à d'autres rôles pour l'acteur. Ils envisagent une nouvelle adaptation du «Notre-Dame de Paris» de Victor Hugo et pensent au roman «L'homme invisible» écrit par le britannique H.G. Wells en 1897, déjà porté officieusement à l'écran plusieurs fois. Finalement Karloff incarne pour Universal LA MOMIE.

Le script de L'HOMME INVISIBLE est remanié à plusieurs reprises, jusqu'à une version se déroulant en Russie écrite par Preston Sturges. Finalement R.C. Sheriff rédige un script plus proche du roman original et le soumet à James Whale, qui est enthousiaste. Le réalisateur tente de convaincre Carl Laemmle Jr, directeur de la production à Universal, de lui permettre de mettre en scène ce scénario. Mais le studio est réticent : la compagnie se débat avec de graves difficultés financières et ne peut se permettre de produire un film contenant de nombreux effets spéciaux onéreux. Laemmle Jr. préférerait une suite de FRANKENSTEIN, un projet a priori moins risqué.

Pourtant, Whale finit par le convaincre, et on se met en quête d'un acteur pour interpréter Jack Griffin, l'homme invisible. Évidemment, Universal pense à Karloff, mais celui-ci se dispute alors avec eux au sujet de sa rémunération. Whale en profite pour imposer le comédien anglais Claude Rains, futur vedette de CASABLANCA ou de LES ENCHAINES, alors totalement inconnu du grand public américain. A ses côtés, on trouve Gloria Stuart, Henry Travers et Una O'Connor.

Dans L'HOMME INVISIBLE, Jack Griffin, chimiste de son état, met au point un sérum permettant de devenir invisible. Il l'expérimente sur sa personne avec succès. Mais les effets de la formule ne se dissipent pas et Griffin ne réussit pas à mettre au point un antidote. Le voilà condamné à rester invisible malgré lui, contraint de cacher son absence d'apparence sous de lourds vêtements, une épaisse paire de lunettes noires et un bandage lui masquant tout le visage.

Griffin se réfugie dans l'auberge d'un village isolé afin de poursuivre ses recherches en toute tranquillité. Mais les habitants du bourg, enclins à l'indiscrétion, découvrent son invisibilité. De plus, certains de ses amis le trahissent, comme le docteur Kemp qui profite de sa disparition pour tenter de séduire Flora, sa fiancée. Ainsi, l'homme invisible nous apparaît un personnage attachant, pathétique, un savant victime de son trop grand talent, persécuté par les imbéciles et trahi par les lâches.

Pourtant, le sérum d'invisibilité de Griffin contient un produit dangereux : la monocaïne. Celle-ci agit comme une drogue le rendant progressivement mégalomane et dangereux. Griffin n'est pas au courant de cette dangerosité de son sérum et devient de plus en plus imprévisible. Conscient des pouvoirs exceptionnels que lui confère son invisibilité, il veut les employer pour terroriser la planète, en multipliant meurtres et sabotages. Ivre de cette puissance et grisé par la monocaïne, Griffin ne veut plus redevenir visible. Bien au contraire, il compte utiliser son pouvoir pour réaliser des complots démoniaques à une échelle mondiale.

Tout cela nous rappelle «Docteur Jekyll et Mr. Hyde» de Robert Louis Stevenson (porté à l'écran, sous le même titre, par Rouben Mamoulian en 1931), dans lequel un savant équilibré devient une brute sauvage et malfaisante suite à la consommation d'un dangereux sérum, qu'il a mis au point et expérimenté sur lui-même. La monocaïne, agent chimique qui rend dément l'homme invisible, n'est pas présente dans le roman de H.G. Wells, dans lequel les seuls effets de l'invisibilité et le pouvoir qu'elle confère suffisent à faire perdre la raison à Griffin. Néanmoins, L'HOMME INVISIBLE reste globalement fidèle au livre, surtout comparé à FRANKENSTEIN dont le script prend beaucoup de libertés avec le roman de Mary Shelley. Soulignons au passage l'interprétation sidérante de Claude Rains : son visage étant masqué ou invisible, il fait preuve d'une précision rare dans l'expressivité de sa voix et du moindre de ses gestes.

Les nombreux trucages de L'HOMME INVISIBLE ont fait une grande part de sa célébrité. Il sont dus au grand John P. Fulton : spécialiste des effets spéciaux à la Universal depuis FRANKENSTEIN, on lui doit, entre autres, les fabuleux homoncules de Pretorius dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN. Ici, nous trouvons les habituels objets baladeurs, portes qui s'ouvrent toutes seules... activés par des fils invisibles. Toutes ces séquences sont fort bien exécutées. Surtout, Fulton emploie abondamment un effet spécial optique consistant à superposer très soigneusement deux négatifs : un avec la scène normale, le décor et les personnages visibles ; l'autre filmé devant un fond noir, avec Claude Rains couvert de vêtements noirs (invisibles sur le négatif noir et blanc, donc) à l'exception des éléments devant apparaître à l'écran. Cette technique est plus complexe que la simple double-exposition d'une même pellicule (abondamment utilisée par Méliès au début du siècle), mais il permet plus de liberté en matière de finition et de post-production.

L'HOMME INVISIBLE nous propose donc des images extraordinaires, devenues célèbres, tel ce pantalon flottant dans les airs, cette cigarette volante... Quelques plans paraissent aujourd'hui problématiques aux esprits chafouins : un vêtement blanc paraît légèrement translucide ; la partie arrière du col d'une chemise portée par Griffin est invisible, ce qui n'est pas logique... L'invention des situations et les nombreuses trouvailles techniques du métrage nous font amplement pardonner ces quelques scories.

Une grande qualité de L'HOMME INVISIBLE est certainement son récit d'une richesse peu commune. Basé, il est vrai, sur un prodigieux roman, il nous entraîne dans un tourbillon de rebondissements variés et rapides, se déroulant dans de multiples décors et prétexte à de nombreux trucages très inventifs. L'HOMME INVISIBLE étonne par sa violence, avec un déraillement de train ou le meurtre éprouvant d'un homme projeté avec sa voiture du haut d'une falaise.

La réalisation de James Whale est arrivée à une belle maturité. Alliant la perfection plastique (décors et éclairages sont toujours magnifiques) à un rythme vif, il dose avec une grande habileté violence, angoisse, émotion (la fin est bouleversante) et humour. Cet humour, pas encore vraiment présent dans FRANKENSTEIN, se signale ici dans le choix des acteurs, avec la cocasse Una O'Connor dans le rôle d'une irritante aubergiste (on la retrouvera comme élément comique dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN), ou dans des astuces irrésistibles basées sur l'invisibilité de Griffin. Un pantalon vide poursuit une grosse femme dans la nuit, un homme ébahi voit sa bicyclette déguerpir toute seule, l'homme invisible saisit un policier par les pieds et le fait tournoyer dans les airs...

L'HOMME INVISIBLE est, comme DRACULA, FRANKENSTEIN ou LA MOMIE, un grand classique du cinéma fantastique issu des studios Universal. Ils lui donnent plusieurs suites, dans lesquels ni Claude Rains, ni James Whale ne sont impliqués. Elles seront tournées à un moment auquel, après une interruption de trois ans de sa production de films fantastiques (de 1936 à 1939), la Universal se remet à proposer de nombreux films d'horreur, souvent en recyclant les monstres mythiques apparus au début des années 30.

La première suite est l'intéressant LE RETOUR DE L'HOMME INVISIBLE, avec Vincent Price, dans lequel un homme injustement accusé de meurtres s'échappe en utilisant un sérum d'invisibilité. Aussitôt après, on trouve, avec une féminisation des mythes fantastiques relativement fréquente chez Universal (LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN, LA FILLE DE DRACULA), LA FEMME INIVISIBLE dans lequel une jeune fille, exerçant la profession de mannequin sert de cobaye à un savant ayant percé le secret de l'invisibilité. Se tournant avec entrain vers la comédie, il s'agit d'une réussite. Nous n'en dirons pas autant du ratage L'HOMME INVISIBLE CONTRE LA GESTAPO dans lequel le petit-fils de l'homme invisible emploie le secret de son ancêtre pour lutter contre les allemands au cours de la seconde guerre mondiale. Enfin, dans l'honnête LA VENGEANCE DE L'HOMME INVISIBLE, un savant teste sa formule d'invisibilité sur un fugitif recherché par la police. Puis ce personnage revient faire un tour chez Universal sur un mode parodique avec DEUX NIGAUDS CONTRE L'HOMME INVISIBLE de 1951.

Après L'HOMME INVISIBLE, James Whale tourne LE BAISER DEVANT LE MIROIR (1933), mélodrame criminel dans lequel un avocat défend son meilleur ami, un médecin qui a tué sa femme infidèle. Puis il passe à une comédie romantique avec COURT-CIRCUIT (1934) (le valet d'un prince se fait passer pour son maître afin de plaire aux femmes), auquel succède un drame : ONE MORE RIVER (1934) (une jeune femme est accusée par son mari brutal de le tromper). Finalement, Whale revient au fantastique avec son chef-d'œuvre LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN.

L'homme invisible reste un personnage apprécié dans le cinéma fantastique et il inspire de nombreux remakes, comme le japonais TOMEI NINGEN de 1954 ou le russe TCHEVOLEK NEVIDIMKA de 1984, et même plusieurs séries télévisées. Curieusement, la Hammer n'a pas approché ce personnage dans son cycle de remakes des classiques du cinéma d'horreur hollywoodien. Peut-être parce que l'homme invisible manque un peu de... couleurs ?

Plus récemment, il a inspiré deux maîtres du fantastiques contemporains : John Carpenter signe LES AVENTURES D'UN HOMME INVISIBLE, une comédie au ton amer. Puis Paul Verhoeven réalise HOLLOW MAN, L'HOMME SANS OMBRE, assez fidèle à l'esprit du roman de H.G. Wells et bénéficiant de trucages sidérants.

Aujourd'hui, en 2016, Universal relance doucement sa machine à monstres. Après DRACULA UNTOLD, un nouveau THE MUMMY avec Tom Cruise est en cours de finition, tandis qu'une nouvelle version de THE INVISIBLE MAN mettant en vedette Johnny Depp est annoncée...

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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