Header Critique : MONSTRUEUSE PARADE, LA (FREAKS)

Critique du film
LA MONSTRUEUSE PARADE 1932

FREAKS 

Hans, nain dans un cirque, s'éprend de la belle acrobate Cléopâtre et néglige sa fiancée Frieda. Mais Cléopâtre déteste Hans et ses amis, les phénomènes, les "monstres" du spectacle : elle n'en veut qu'à l'argent du lilliputien...

Dans la foulée de son DRACULA, Tod Browning réalise IRON MAN en 1931, drame se déroulant dans un milieu sportif et sans aucun lien avec le fantastique. Mais le succès étonnant de DRACULA aiguise les appétits des concurrents d'Universal : la Paramount lance DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE de Robert Mamoulian, la RKO propose LA CHASSE DU COMTE ZAROFF, Warner Bros va sortir MASQUES DE CIRE. Universal elle-même met rapidement FRANKENSTEIN en chantier.

La MGM, de son côté, produit LA MONSTRUEUSE PARADE, à l'occasion duquel Tod Browning renoue avec le producteur Irving Thalberg, son complice des grandes années du cinéma muet. Inspiré par «Spurrs», une nouvelle de Clarence Aaron 'Tod' Robbins, et par des souvenirs de Browning et de l'acteur nain Harry Earles, LA MONSTRUEUSE PARADE a la particularité d'être interprété par de véritables personnes atteintes de difformités "monstrueuses" : sœurs siamoises, femme à barbes, cul-de-jatte...

Les rôles de Hans et Frieda sont joués par Harry et Daisy Earles, frère et sœur, qu'on reverra parmi les Munchkins qui accueillent Judy Garland dans le pays du MAGICIEN D'OZ. Les sœurs siamoises Daisy et Violet Hilton apparaîtront elles aussi dans un autre film : L'AMOUR CHEZ LES MONSTRES de Harry Fraser, en 1951, drame dans lequel une des siamoises commet un meurtre passionnel. On remarque aussi Wallace Ford (le film d'aventures LA PATROUILLE PERDUE de John Ford, le Film Noir de Robert Wise NOUS AVONS GAGNE CE SOIR...) ainsi qu'Olga Baclanova (vu peu avant dans L'HOMME QUI RIT de Paul Leni).

Comme précisé plus haut, LA MONSTRUEUSE PARADE a la spécificité d'être interprété par des "vrais" monstres, placés, en plus, dans le rôle de véritables phénomènes de cirque. Il s'agit alors d'une grande nouveauté puisque les monstres de cinéma étaient (et sont encore aujourd'hui) le plus souvent des comédiens "normaux" maquillés (comme LA MOMIE avec Boris Karloff) ou des modèles animés (comme KING KONG). La singularité monstrueuse de ces personnages est ici le fait de la nature et non la conséquence d'une expérience scientifique (FRANKENSTEIN) ou d'un fait surnaturel (DRACULA). De même, le récit est plus proche du Film Noir que du cinéma fantastique : une femme sans scrupule y joue de ses charmes pour escroquer un homme naïf.

La première moitié du métrage se préoccupe moins de raconter une histoire que de nous présenter d'une manière documentaire la vie d'un cirque et de ses phénomènes. Leur quotidien est décrit avec beaucoup de naturel et d'humour (parfois noir et absurde), sans mépris, ni hypocrisie. Ce n'est pas étonnant, puisqu'on sait que Tod Browning s'est toujours passionné pour le milieu du cirque et du music-hall : il a lui-même été clown avant de faire du cinéma, et avait déjà réalisé des films se déroulant dans cet univers. Le plus célèbre d'entre eux est L'INCONNU dans lequel Lon Chaney joue un lanceur de couteau manchot.

Mais un fantastique insidieux émane de la description de ce cirque. Browning convoque une imagerie à la poésie vivace, composée de roulottes décorées, de clowns et d'acrobates. A nouveau, l'épouvante des années 1930 joue la carte d'un certain exotisme puisque l'action prend place en France, représentée d'une manière archaïque et étrange, tandis que les artistes du cirque forment une communauté cosmopolite venue des quatre coins de l'Europe.

Enfin l'horreur se manifeste clairement dans le final où, par une nuit d'orage, les ennemis des monstres vont apprendre le prix très élevé que paient ceux qui s'en prennent à l'un d'entre eux. Cette fin d'une rare cruauté évoque irrésistiblement le cinéma fantastique allemand par ses éclairages étranges et ses angles de prises de vue biscornues, formellement très puissants.

Toutefois, l'épilogue de LA MONSTRUEUSES PARADE s'est vu modifié suite à des projection-tests négatives : comme on le voit dans la version définitive, Cléopâtre subit une fin terrible, d'une ironie sombre - du temps de sa gloire, on l'appelait l'oiseau de paradis. Mais, en plus, son amant Hercule se retrouve à chanter dans le spectacle des monstres avec une voix de castra ! De même, le très beau tout dernier plan où Hans et Frieda se réconcilient n'était pas présent à l'origine, et LA MONSTRUEUSE PARADE se terminait de manière plus âpre. Malgré tout, l'engouement du moment pour le cinéma fantastique ne bénéficie pas à cette œuvre très dure qui déroute son studio de production ainsi qu'une partie du public. LA MONSTRUEUSE PARADE sera un échec commercial.

Par conséquent, ce chef-d'œuvre cruel reste un film isolé dans l'histoire du cinéma, une œuvre inclassable, quelque part entre le mélodrame bouleversant, l'horreur viscérale et le Film Noir. De plus, LA MONSTRUEUSE PARADE traite de la monstruosité et de la différence avec une lucidité et une intelligence exceptionnelles, qu'il ne paraît pas exagérée de rapprocher de celles d'un Molière ou d'un Chaplin. A travers la communauté des monstres de cirque qui viennent en aide à ELEPHANT MAN, David Lynch, parmi d'autres, lui rendra un hommage évident.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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