Header Critique : DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE (DR. JEKYLL AND MR. HYDE)

Critique du film
DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE 1931

DR. JEKYLL AND MR. HYDE 

Le bon Docteur Jekyll, savant reconnu, met au point un breuvage qui sépare la part bonne de la part mauvaise de l'homme. Il l'expérimente sur lui-même et devient le terrible et brutal Mister Hyde.

Rouben Mamoulian, qui est né et a étudié en Russie, arrive aux USA dans les années 20. Il y rencontre un beau succès dans le monde du théâtre et se voit proposer de réaliser son premier film, APPLAUSE, en 1929. Passionné de technique, il met en scène la première œuvre entièrement en vrai Technicolor trichrome de l'histoire du cinéma : BECKY SHARP. Il tourne avec de grandes vedettes, comme Marlene Dietrich dans LE CANTIQUE DES CANTIQUES, et il offre à Greta Garbo un de ses rôles les plus célèbres dans LA REINE CHRISTINE en 1935. Peu enclin aux compromis, il est mal vu des grands studios et tourne très peu après la Seconde Guerre Mondiale. Son caractère intransigeant le fait renvoyer des tournages de LAURA (finalement réalisé par Otto Preminger en 1944) et de CLEOPATRE (dirigé, non sans difficultés, par Mankiewicz en 1963).

Il tourne cette version de DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE en 1931, année-clé pour le cinéma fantastique américain puisqu'elle voit démarrer la série des fameux films de monstres de la compagnie Universal, avec DRACULA et FRANKENSTEIN. Mamoulian travaille pour une compagnie concurrente : la Paramount. «Docteur Jekyll et Mr. Hyde» est au départ un roman de Robert Louis Stevenson qui rencontra un vif succès et fût abondamment adapté au cinéma dès 1908 : Murnau lui-même en propose une version officieuse avec LE CRIME DU DOCTEUR WARREN, œuvre aujourd'hui perdue.

Toutefois, Mamoulian réalise ici la première adaptation en cinéma parlant de ce roman. Le double rôle-titre vaut un Oscar à son acteur Fredric March, lequel va connaître une carrière de comédien hollywoodien très bien remplie dans tous les genres : comédie avec SERENADE A TROIS d'Ernst Lubitsch, drame avec ANNA KARENINE interprétée par Greta Garbo, fantastique avec MA FEMME EST UNE SORCIERE de René Clair, cinéma engagé avec PROCES DE SINGE de Stanley Kramer... A ses côtés, nous reconnaissons le minois de Myriam Hopkins, elle aussi vedette de la Paramount, croisée dans SERENADE A TROIS et HAUTE PEGRE de Lubitsch.

Le roman de Robert Louis Stevenson est écrit en 1886, à une période à laquelle les troubles du comportement commencent à être étudiés scientifiquement afin de les soigner de manière appropriée. Ainsi, à Paris, Charcot défriche le terrain et expérimente l'hypnose en 1884. Un de ses élèves, le professeur Sigmund Freud, propose au tournant du siècle des théories révolutionnaires. Le Docteur Jekyll s'inscrit dans cette lignée de savants décidés à comprendre et à soigner l'esprit. Il postule que l'âme humaine souffre de la cohabitation de deux principes contraires : le bien et le mal, qui s'opposent et se déchirent, empêchant l'homme d'accéder au bonheur. Il concocte alors une drogue qui, une fois consommée, devrait séparer l'être mauvais et l'être bon. Il l'expérimente sur lui-même et le résultat pratique de sa théorie s'avère terrible : le gentleman serviable et courtois se change en Mister Hyde, une redoutable brute qui déchaîne ses pulsions violentes sans inhibition.

Évidemment, durant le siècle de Freud, un tel récit mettant en jeu le conflit entre un personnage et ses pulsions ne peut que connaître une grande popularité. Mais au-delà de cette problématique psychologique, l'adaptation de Mamoulian dresse un portrait sans concession de la société victorienne dans laquelle vit le Docteur Jekyll. Appartenant à la grande bourgeoisie de Londres, il doit obéir à des usages étouffants, mener sa vie selon des règles dures et puritaines, sous peine de se voir considéré comme un débauché méprisable. Cette rigueur inflexible est incarnée par le père de sa fiancée, un vieux militaire obsédé par la bienséance et les usages des gentlemen, qui repousse sans cesse le mariage des deux amoureux.

Lorsque Jekyll fait connaissance avec Ivy, une troublante prostituée des quartiers populaires, il repousse les avances de cette jeune fille, mais prend aussi conscience de sa frustration sexuelle qui l'opprime chaque jour. De son côté, Mister Hyde est un être au physique hideux, fort et énergique, et aussi très intelligent. Il est un homme libre et refuse de laisser une société hypocrite lui dicter sa conduite. Ainsi, il n'hésite pas à employer la violence pour abattre les barrières dressées entre lui et ses désirs.

Pour nous conter cette histoire, Mamoulian expérimente sans retenue. D'emblée, DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE s'ouvre sur de longs plans-séquences en caméra subjective, incroyablement astucieux, nous lançant tout de suite dans le feu de l'action et nous mettant littéralement à la place du Docteur Jekyll. Ses expériences consistent aussi à inventer de nouvelles formes de narration audacieuses en utilisant des superpositions (lorsque Jekyll marche dans la rue, hantée par la jarretière de Ivy) ou même en employant le split screen, qui permet de suivre sur un même écran des événements se déroulant dans deux endroits différents à un même moment. Et ce, avec des années d'avance sur L'ETRANGLEUR DE BOSTON de Richard Fleischer ou les films de Brian De Palma ! Mamoulian emploie aussi le montage pour donner beaucoup d'humour et d'énergie à son film. Il s'inscrit dans la grande tradition des insatiables expérimentateurs du langage cinématographique, comme D.W. Griffith, Abel Gance ou Murnau. Toutefois, le spectateur actuel peut trouver que Mamoulian en fait beaucoup avec ses travellings et ses effets de montage très signifiants qui nuisent à la cohérence stylistique de l'ensemble. Néanmoins, il réussit à imprimer à DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE un rythme trépidant, constamment nerveux et énergique, qui l'emporte sur toutes les réserves.

Ce film est aussi célèbre pour ses effets spéciaux sidérants, particulièrement ses impressionnantes transformations durant lesquelles Fredric March change littéralement de visage sous nos yeux, sans aucun raccord de montage. Les métamorphose les plus spectaculaires sont obtenues en employant des changements d'éclairages subtilement dosés, lesquels permettent de faire apparaître progressivement le maquillage sur le visage de l'acteur. Mario Bava appliquera cette même technique sur Barbara Steele dans le final de LE MASQUE DU DEMON. Le visage très réussi de Mister Hyde, hideux comme un singe, mais aussi redoutablement intelligent, est mis en valeur par l'interprétation survoltée et démentielle de March. Évidemment, comme dans toute bonne adaptation de ce récit très british, on apprécie le talent des décorateurs hollywoodiens qui parviennent à rendre une atmosphère très réussie de ce Londres sillonné de ruelles brumeuses et inquiétantes.

Cette première adaptation parlante de DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE est une des grandes réussites de l'âge d'or du cinéma fantastique américain. Réalisé et interprété avec une fougue entraînante, il poursuit la mise en place d'une mythologie qui va être abondamment exploitée par le cinéma. Dix ans plus tard, Victor Fleming propose son DR. JEKYLL ET MR. HYDE avec Spencer Tracy et Ingrid Bergman, un autre classique de l'épouvante.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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