Header Critique : UNDER THE SHADOW

Critique du film
UNDER THE SHADOW 2016

 

Téhéran, 1984. Pendant que son mari médecin Iraj (Bobby Naderi) est appelé à travailler dans une ville théâtre de la guerre avec l'Irak, Shideh (Narges Rashidi) et sa fille Dorsa (Avin Manshadi) restent dans leur immeuble. Dorsa est persuadée qu'un Djinn malveillant est la cause de la disparition de sa poupée. Et qu'également, il s'insinue dans leur vie… en même temps qu'une curieuse dame qu'elle seule peut voir. Les visions de Dorsa dégénèrent au fur et à mesure des bombardements.

Bien curieuse production anglaise, récrit et réalisé par un iranien basé à Londres, tourné en Jordanie et en intégralement en perse. Tourné presque entièrement en intérieurs, UNDER THE SHADOW fait écho à plusieurs films auxquels on pense irrémédiablement. La mère se souciant de sa fille face à un menace fantastique qu'elle a du mal à maitriser, c'est l'influence de THE BABADOOK qui saute aux yeux. Une nouvelle mouvance du cinéma de genre actuel, qui a glissé sur le torture porn des années 2000/2010 vers un fantastique plus cérébral, moins graphique et plus basé sur la construction du suspense qu'autre chose.Le récit puise ses racines dans la légende du Djinn, entité maléfique, qui a été porté à l'écran par Tobe Hooper avec, justement, DJINN. Qui n'était pas un Levi's. Il faut y joindre également le point de vue de Marjane Satrapi de PERSEPOLIS, même si ici on retrouve ps (et ça n'est pas le sujet), l'ironie mordante.

La différence d'UNDER THE SHADOW, par rapport à des récits américains de créatures diaboliques, reste de privilégier un enracinement social des personnages. Le ton de la première parti est clairement à la transformation de la société iranienne. La surveillance de la police politique, l'obligation des femmes de se voiler - contre leur gré-, le poids intime de la religion, l'asservissement de la femme, les interdits sociaux… tout est élaboré par petites touches assez réussies. Comme des reliques d'un ancien temps, Shideh garde par exemple jalousement ses VHS d'aérobic avec Jane Fonda, totalement interdites par le régime des Ayatollahs. Des petits arrangements entre amis, puisque certaines femmes de l'immeuble sont sur la même longueur d'onde.

Puis quelques événements font glisser le récit : l'échappée de Shideh sans son voile qui provoque son arrestation par la milice qui patrouille. Un obus qui perce le plafond de l'immeuble sans exploser. Les propriétaires ultra-religieux, dont la femme qui croit dur comme fer que son neveu muet est maudit. La référence au Djinn la fait frémir d'horreur, «puisqu »on en parle même dans le Coran », alors que Shideh rattache cette légende à »un conte des mille et une nuits ». deux logiques de vie qui s'affrontent. Le jeune Dorsa qui entend justement le jeune muet parler… autant de faisceaux qui font passer graduellement le film dans le domaine du doute. Des apparitions : fruit de l'imagination? tension sociale? Influence religieuse qui fait que l'on tend à croire ce qu'on met dans le crâne des gens? Par de courtes scènes bien senties, le réalisateur rend palpable la dégradation mentale de la mère de famille. Un excellent numéro d'actrice par ailleurs, qui réussit son tour de force de folie au gré des alertes à la bombe qui paralysent l'immeuble et ses habitants qui quitte les uns après les autres la ville. Idem pour la jeune actrice qui interprète Dorsa, impressionnante.

Puis le film se centre sur la relation mère/fille qui elle aussi va dévisser. Au fur et à mesure que l'emprise du Djinn se fait plus palpable. le dernier tiers vire carrément au film d'épouvantable, à base de quelques effets-trouille savamment dosés, dont une séquence avec vision cauchemardesque sous un lit qui produit le sursaut désiré. Y compris certaines scènes avec des effets spéciaux saisissants, ne cédant pas au pseudo-exotisme du sujet par rapport à nos cauchemars habituels peuplés de tueurs en série , fantômes ou autres vampires occidentaux.

p> UNDER THE SHADOW possède ainsi une ambition certaine de commentaire social doublé de film de genre. Il insère les personnages de manière juste à la fois dans le cours de l'histoire, sur la condition féminine dégradée et le sursaut vain du réel face au fantastique qui gangrène le récit. Ce traitement enrichi en point de vue sociologique est d'ailleurs à rapprocher d'un autre film au sujet sensiblement similaire, DON'T KNOCK TWICE, une production anglaise/galloise présentée également au marché du film de Cannes 2016.

Le film aura du mal à satisfaire les fans de films de genre hardcore, tout comme il déroutera les amateurs d'oeuvres à vocation sociale tendance Ken Loach. Une sortie au cinéma reste néanmoins tout à fait envisageable pour découvrir un long métrage qui ose s'aventurer sur un terrain peu usité. Il bénéficie d'un vrai point de vue, clairement pas du tout cautionné par le pouvoir iranien en place ou les barbus extrémistes de tous poils. Une variation fantastique originale et prenante, doublé d'une ôde à la liberté féminine contrainte sous couvert d'un film d'épouvante.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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