Grande Bretagne, les années 20. A la suite d'un violent orage, un groupe d'amis (Joachim Fuchsberger, Dominique Boschero, Marianne Koch...) voyageant en voiture, tombent en rade. Ils se rabattent sur la seule demeure alentours, habitée par un nommé Uriat (Alan Collins) et sa mère. Cette dernière se trouvant à ce moment précis en état de transe, en contact avec un mort connaissant l'ensemble des personnes présentes.
Présenter Antonio Margheriti / Anthony M. Dawson tient de la gageure. Comment introduire auprès d'un lectorat déjà connaisseur un pivot majeur du cinéma populaire italien ? Etaler sa culture comme une vulgaire confiture sur tartine en débitant les titres de sa filmographie ? Aucun besoin. Rappeler sa dimension d'auteur à part entière ? Plutôt. Bien plus qu'un artisan de génie, il a traversé crânement plusieurs décades de cinéma en touchant à tous les genres. Réalisation, élaboration d'effets spéciaux, écriture, production… il a tout fait (ou presque). Tourné avec les plus grands. Il relève de l'anonymat complet des scénarios obscurs pour donner le meilleur possible à l'image, croise des genres improbables., malaxe le scope, l'écran panoramique… tout est bon pour provoquer le rêve, stimuler l'imaginaire. Margheriti ou le chant du poète du cinéma populaire.
Les vingt premières minutes de CONTRONATURA révèlent un projet aux antipodes de ce que le cinéma traditionnel populaire italien peut donner. Tout d'abord une co-production germanico-italienne, phénomène jusque là assez rare, mais qui se prolongera à plusieurs reprises notamment pour des Gialli/Krimi comme LE TUEUR A L'ORCHIDEE, MAIS… QU'AVEZ-VOUS FAIT A SOLANGE? ou encore NUDE SI MUORE de Margheriti, déjà, qui aurait selon certaines sources repris le projet initié par Mario Bava. A noter d'ailleurs que NUDE SI MUORE est une variation/copie/remake d'un Krimi : DER MÖNCH MIT DER PEISTCHE d'Alfred Vohrer réalisé l'année précédente… avec d'ailleurs Joachim Fuchsberger dans le rôle principal. Boucle bouclée.
Une séquence pré-générique curieusement longue, un fait assez rare (6mn). Tout comme le premier quart du film, alternant flashbacks et mise en situation des personnages qui se fréquentent tous sans vraiment se connaître les uns les autres. Puis ensuite la situation dans les années 20, via de multiples histoires s'articulant autour d'un club de jeu. Se tissent certaines influences et détestations pour culminer vers un élément narratif cette fois archi-connu : la panne de voiture pendant un orage. Direction : la première demeure qui se trouve là, bien évidemment sans téléphone, ni aucun autre moyen de locomotion L'argument gothique alliant fantastique et épouvante démarre à l'arrivée dans la maison lugubre, hôtesse de séances de spiritisme. Tout ceci n'étant qu'un argument de base, servant à Antonio Margheriti (ici réalisateur, scénariste et producteur) afin de livrer un exercice très personnel de fantastique existentiel. Même s'il complique outrageusement son récit, de manière presqu'inutile, ce long-métrage revêt une importance capitale dans l'œuvre de son géniteur..
Margheriti embraye alors en terrain qu'il affectionne particulièrement. Usant du format Scope (ici un Cromoscope - donc un Techniscope sans tirage Technicolor) à merveille pour créer le trouble et les sensations de peur des personnages. Jeu sur la profondeur de champ, distance entre les protagionistes, jeu sur les miroirs - entre la 54 et la 55e minute, évidemment lourde de sens. Se rejoignent alors les thématiques de spiritisme et de vengeance d'outre-tombe d'une victime d'un des participants. D'une intrigue dramatique, CONTRONATURA arrive la tête devant dans le territoire fantastique multifacettes. On songe quelque peu aux DIABLESSES ou LES FANTOMES DE HURLEVENT pour cette ambiance de réunion de plusieurs personnages dans un endroit clos aux allures de château lugubre…. à grand renfort d'orages, de pluie diluvienne et de jalousies multiples. CONTRONATURA se rattache aux quelques films charnières de la fin des années 60 qui firent le lien entre les oripeaux du cinéma gothique qui mourrait de sa belle mort et le thriller aux forts accents érotiques et de violence.
Il règne une atmosphère quelque peu onirique, tournoyant autour du thème de la culpabilité, de la mort rattrapant tardivement ceux qu'elle attend. On songe parfois à Mario Bava, tendance OPERATION PEUR ou même LISA ET LE DIABLE pour la structure du récit. La thématique du groupe d'étrangers se trouvant coincés dans un lieu clos, un château de préférence, se retrouve assez souvent dans le cinéma de genre transalpin, qu'il s'agisse de LA PLUS LONGUE NUIT DU DIABLE de Jean Brismée ou encore du curieux QUALCOSA STRISCIA NEL BUIO de Mario Colucci.
Qui dit Margheriti, dit miniatures. On peut largement imaginer sa créativité dans des films comme OPERATION GOLDMAN ou encore ALIEN LA CREATURE DES ABYSSES. Et de manière assez curieuse, le final voit également l'utilisation spectaculaire de maquettes. Une irruption inattendue et quelque peu gratuite qui emporte tout sur son passage. Le crédit technique du réalisateur vaut également pour la multiplication de plans tarabiscotés, contreplongées vertigineuses et recherche particulièrement méticuleuse dans la composition des plans. L'auteur semble affectionner les joutes en vase clos et s'évertue à créer justement un pendant visuel aux vies de travers qui se révèlent graduellement.
Il est à ce titre amusant de constater les gouffres thématiques et de représentation picturale qui séparent un autre titre sorti en même temps en DVD chez le même éditeur Artus Films, à savoir LE MANOIR MAUDIT. A peine plus de 5 ans séparent les deux films. Nonobstant les questions de budgets, le timide érotisme qui sévissait dans le film d'Andrea Boccaci se trouve déployé sur plein écran ici, via les amours saphiques de la sulfureuse Vivian. Des coups de boutoirs d'exploitation faisant reculer un peu plus la censure à chaque film.
Co-production oblige, la présence de têtes d'affiches comme Joachim Fuchsberger, véritable star du box office populaire allemand via les adaptations des Krimi made in Edgar Wallace, croise Alan Collins (l'acteur fétiche du réalisateur), la française Dominique Boschero ou Marianne Koch. Une très troublante Marianne Koch, d'ailleurs, qui donne au personnage de Vivian une présence fascinante. Comme l'ensemble du film, sa séduction reste très calculée. Le cliché éculé de la lesbienne manipulatrice, employant tous les moyens (chantage y compris) pour séduire la pauvre hétérosexuelle dans un moment de faiblesse. Une prédatrice, une vraie, quoi. Poursuivant le stéréotype enraciné dans les années 60, comme Chabrol le fit de Stéphane Audran pour LES BICHES en 1965 ou Dmytryk avec Barbara Stanwyck dans LA RUE CHAUDE. en 1962. Alliant violence et séduction, l'homosexualité féminine est forcément mortifère. Et donc «contrenature», au même titre que le meurtre ou le chantage. Une homophobie d'exploitation, en phase avec la représentation négative de toute personne homosexuelle au cours des années 60. Tout montrer à l'écran, mais rester dans les conditions du conte moralisateur (ou moral, selon l'humeur). La titillation typiquement italienne dans toute sa splendeur hypocrite judéo-chrétienne !
CONTRONATURA est une œuvre soignée, bénéficiant pour ce faire d'un budget qu'on devine plus aisé qu'à l'habitude. Reconstitution historique, costumes, multiplicité des plans et décors. Le film souffre surtout d'une construction chaotique en divers flashbacks révélés au gré des quelques 88mn. Une linéarité sans cesse interrompue par des voix off explicatives, trop démonstratives, Alan Collins en premier. Le métier du réalisateur, allié à des acteurs convaincants et une composition musicale très adroite de Carlo Savina font passer quelque peu cette faiblesse de narration disjointe.
Artus Films offre pour la première fois en France une édition DVD. Au format 2.35:1 et 16/9e et d'une durée totale de 87mn15. Avec un menu fixe permettant un accès par chapitres (au nombre de 9), aux suppléments ainsi qu'à deux versions audio. Une copie d'attrait général assez pâle dans les scènes extérieures, comme la chasse à courre vers la 56e minute, où certaines couleurs semblent passées. Pour les plans en intérieur, notamment lors des séances de spiritisme, on note quelques beaux éclairages, mais des contrastes mal gérés du fait de noirs omniprésents et souvent bouchés. Margheriti s'adonne souvent aux très gros plans sur les yeux, magnifiant les actrices et acteurs, mais qui trahissent quelques poussières le long du film. Dommage, car on sent le travail élaboré du directeur photo habituel d'Antonio Margheriti, tout comme celui du chef décorateur.
Le menu offre deux doublages différents, italien et allemand., en mono encodé sur deux canaux. Les sous-titres sur la copie italienne prennent parfois quelques libertés quand au contenu prononcé par les personnages du film. En fait, après avoir regardé le film avec l'autre version audio, il s'avère que les sous-titres ont été élaborés à partir des dialogues allemands. Justement, concernant la piste allemande : elle est légèrement plus confortable à entendre que la piste italienne. Avec cependant des dialogues plus fins à l'oreille, alors que les dialogues italiens apparaissent enregistrés plus bas, de résonance quelque peu plus sourde. Ce qui permet de suivre correctement les acteurs allemands quant aux véritables dialogues (prononcés par Joachim Fuchsberger ou Marianne Koch). A noter qu'à divers moments du film ( ex: à partir de 77mn21), la ligne de dialogue repasse en italien (morceaux de dialogues manquants de la version allemande ?), pour revenir deux secondes en allemand, et repartir sur le version italienne et finalement terminer à 79mn11 sur du teuton pur jus. Ce phénomène se répète en fait à plusieurs reprises. A moins qu'il ne s'agisse de la version prise pour l'édition sortie en 2011 chez l'éditeur X-Rated, où la copie allemande, plus courte, avait été complétée par des inserts en italien.
Au rayon bonus, Alain Petit s'attaque pendant à peu près 23mn d'entretien sur le film. Très sympa, mais juste dommage que le premier quart serve surtout à raconter l'histoire du film. Un diaporama d'environ deux minutes reprend les affiches et jeux de photos d'exploitation allemands, italiens et espagnols. Et enfin les bandes annonces du catalogue de l'éditeur pour sa collection «Chefs-d'œuvre du gothique», identiques à celles contenues sur l'édition du MANOIR MAUDIT.
CONTRONATURA dévoile un objet filmique inclassable dans le paysage du cinéma bis transalpin. Forcément intéressant, imparfait, au scénario mal construit et doté d'une écriture pas des plus rigoureuses. Mais une tentative protéïforme de sortir de l'ornière du conte gothique, explorant des pistes qui enterreront définitivement le genre avec la fin de la décade 60/70, en compagnie, entre autres, du LIZ ET HELEN de Riccardo Freda. Et qui plus est inédit en France. Recommandé !