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Critique du film
JAMIE MARKS IS DEAD 2014

 

Le cadavre du jeune Jamie Marks (Noah Silver) est retrouvé au bord d'une rivière. Harcelé par ses camarades, seul Adam (Cameron Monaghan) semblait l'avoir pris en considération sans l'aider pour autant. Et lorsque le cadavre de Jamie revient demander de l'aide à Adam, celui-ci s'exécute. Ceci malgré les conseils de Gracie (Morgan Saylor), la jeune fille qui avait découvert le corps et qui elle aussi peut voir Jamie.

Coincé dans la grisaille de l'hiver, JAMIE MARKS IS DEAD est un film exigeant, âpre et rugueux sur l'amitié, la solitude et ses rapports équivoques. Carter Smith adapte pour l'occasion le roman One for the Sorrow de Christopher Barzak, tout en prenant soin de faire sien l'univers et la peinture des événements. La mort et la vie coexistent : le personnage d'Adam ne remet jamais en question le surnaturel qui submerge son existence. Brillant film, suffoquant entre une ambiance familiale tendue, où le harcèlement de Jamie renvoie à celui, familial, d'Adam. Les possibilités entr'ouvertes sur le fantastique sont infinies. Puis le ton glacé, l'image extrêmement soignée, les plans élégamment composés reposant sur ambiguïté entre Jamie et Adam renvoient directement au premier court métrage de Smith, l'excellent et troublant BUGCRUSH. Ce croisement habile entre des cinémas d'influences presque lovecraftiennes et de Gus Van Sant donne une des plus belles ôdes à la solitude, l'enfermement et l'amitié. Smith s'est affranchi du côté presqu'expérimental et sordide de BUGCRUSH - sans mentionner l'horreur prenante de LES RUINES, l'un des films d'horreur les plus physiques et répulsifs de ces vingt dernières années.

JAMIE MARKS IS DEAD propose une approche plus viscérale du lien affectif. Créant un surnaturel inséré et accepté par les trois protagonistes. La question ne se pose jamais quand au fait que l'environnement des deux adolescents ne perçoit pas les cadavres/fantômes revenus hanter les vivants. La cartographie du réel proposée par Smith se trouve dynamisée par un design sonore feutré, précis. Le soin extrême apporté aux cadrages, à la colorimétrie hivernale, aux teintes froides dénotent du côté photographe de Carter Smith. Une capture esthétique en rapport avec le sujet de la mort gardant son emprise sur le monde des vivants. Filmé dans l'état de New York, la ruralité a rarement été aussi aliénante et détachée.

Le harcèlement subi par Jamie renvoie progressivement à celui subi par Adam. Tabassé par son frère, surprotégé par sa mère (Liv Tyler, livide) atone et manipulée par celle qui l'a précipité dans un fauteuil roulant, Adam ne trouve de refuge que dans les bras de Gracie. Ou dans l'amitié d'outre-tombe avec Jamie. la question de savoir si ce dernier est réel ou non effleure à peine Adam et Gracie. ils possèdent juste la faculté d'interaction… ainsi qu'avec le cadavre de la jeune Frances (Madisen Beaty) à mi chemin entre le zombie effrayant et attendrissant. Un dénominateur commun les lient, expliquant ainsi petit à petit les étranges ponts entre vie et mort qui se tissent. La différence, la non-insertion dans le groupe Alpha-dominant, l'attraction pour le hors du commun, les tendances à s'échapper du quotidien harassant. Un peu ce qui faisait le terreau de BUGCRUSH, pointant déjà un lien entre un humain et un fantôme. Avec un dose d'ambivalence et de fantastique différenciant. Les fantômes/cadavres apparaissent comme des personnages à part entière et non comme des éléments au potentiel d'épouvante. JAMIE MARKS IS DEAD ne souhaite pas horrifier le spectateur, tout du moins pas du côté de l'agression visuelle et sonore. Le champ des possibles se situe ailleurs, via par exemple un des portails permettant à Jamie de passer d'un endroit à un autre, faisant fi de toute géographie terrestre.

Insensiblement, le récit se dégage de l'apparente enquête sur la responsabilité de la mort de Jamie. Ce dernier se désintéresse de savoir qui l'a tué et l'exprime clairement. Ainsi, le moteur de la narration se situe ailleurs. Plus Adam se trouve attiré par le monde de Jamie - de la mort, donc- plus il s'éloigne de celui de Gracie - de la vie. Une manière tout aussi féroce de dénoncer le harcèlement dont sont victimes les adolescents. Où tout le système scolaire est mis en accusation. l'indifférence des professeurs, la complicité des lycéens/étudiants : tous coupables.

Une homosexualité jamais nommée, bien réelle quant aux émois de Jamie - fasciné par Adam déjà de par son vivant. Une touche d'homo-érotisme jusque dans le rituel des mots glissés à l'oreille puis dans la bouche du fantôme : une des nombreuses bizarreries que le script réserve. Un jeu subtil des apparences allié au caractère éminemment mortifère du jeu auquel se prêtent le trio Adam/Gracie/Jamie. Tous trois laissés pour compte, en lutte contre des tourments internes mais liés par une reconnaissance de leur souffrance. Surtout, JAMIE MARKS IS DEAD est raconté de manière originale, évite les écueils du film de genre répétés ad nauseam, ne recopie pas un simple schéma. Au contraire, le réalisateur opère tout pour s'en éloigner le plus possible. Sombre, oppressant, atmosphérique, quasi littéraire par moments : le mot pour la lutte contre l'oubli et les ténèbres. Cet entre-deux mondes établit une parabole sur le monde confusant des affres adulescentes, borderline sur les suicidés de la vie - et de la mort. Clairement, un film à ne pas mettre devant tous les yeux de par son refus du spectaculaire et de sa construction sûre, précise, toxique. Une désolation séduisante au rythme languide qui rebutera celui qui cherche du gore à foison où sa cargaison d'animaux géants.

Rédacteur : Francis Barbier
Photo Francis Barbier
Dévoreur de scènes scandinaves et nordiques - sanguinolentes ou pas -, dégustateur de bisseries italiennes finement ciselées ou grossièrement lâchées sur pellicule, amateur de films en formats larges et 70mm en tous genres, avec une louche d'horreur sociale britannique, une lampée d'Albert Pyun (avant 2000), une fourchettée de Lamberto Bava (forever) et un soupçon de David DeCoteau (quand il se bouge). Sans reprendre des plats concoctés par William Friedkin pour ne pas risquer l'indigestion.
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