Header Critique : IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU (TRYDNO BYT BOGOM)

Critique du film
IL EST DIFFICILE D’ETRE UN DIEU 2013

TRYDNO BYT BOGOM 

Sur la planète Arkhanar, les habitants vivent dans une société stagnante, coincée dans un moyen âge obscurantiste. Rien ne semble pouvoir évoluer surtout que les partisans du progrès ainsi que les artistes sont persécutés. Mais au milieu de la population, il y a aussi quelques terriens, vivant sur Arkhanar de manière incognito pour étudier les habitants de cette autre planète qui ressemble tant à la notre.

Dans les années 60, Arcadi et Boris Strougatski publient Il est difficile d'être un Dieu. Très vite, Alexeï Guerman s'intéresse à ce livre et prévoit de l'adapter en 1968. Toutefois, alors qu'un scénario est écrit, les événements politiques vont mettre un terme au projet. En effet, durant l'été 1968, les troupes soviétiques envahissent la Tchécoslovaquie pour mettre un terme à la libéralisation du pays. Forcément, l'adaptation cinématographique de Il est difficile d'être un Dieu devient alors très clairement subversive en regard de l'actualité et les instances soviétiques stoppent le film. Les frères Strougatski auront un peu plus de «chance» avec le portage à l'écran en 1979 d'un autre de leur livre qui devient STALKER d'Andreï Tarkovski. Alexeï Guerman n'a pas pour autant oublié Il est difficile d'être un Dieu et il envisage de relancer le projet dans le courant des années 80 pour finalement abandonner, jugeant qu'un tel film n'a plus sa place alors que l'Union Soviétique entame une politique d'ouverture. Tout du moins, c'est sa version des faits car il apparaît bien plus évident qu'il fut coiffé au poteau par une coproduction entre l'Union Soviétique, l'Allemagne et la France. Ce gros projet va mettre une demi-douzaine d'année à se concrétiser suite à pas mal de souci de production. Réalisé par l'Allemand Peter Fleischmann et sur un scénario co-écrit par le Français Jean-Claude Carrière, UN DIEU REBELLE sort au début des années 90 de manière totalement inaperçue alors qu'il s'agit pourtant d'une ambitieuse production européenne de science-fiction. Cela laisse donc l'opportunité à Alexeï Guerman de proposer enfin sa propre version du livre !

UN DIEU REBELLE exposait ouvertement sa filiation avec la science-fiction en nous transportant réellement sur une autre planète de façon à découvrir des costumes et décors étranges mais aussi des intérieurs futuristes comme pour le vaisseau des terriens. Dans cette seconde adaptation de Il est difficile d'être un Dieu, Alexeï Guerman prend le parti de camoufler le postulat de science-fiction en l'enterrant totalement au point que les spectateurs les moins attentifs risquent de passer complètement à côté de l'intrigue principale du film. Ou plutôt de l'intrigue principale du livre car IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU, le film, tend à oublier cette dimension de l'histoire. A l'évidence, ce qui intéresse Alexeï Guerman, c'est avant tout la description d'une société qui ressemble à notre moyen âge, au point de filmer des sous-intrigues qui s'écartent du sujet comme pour mieux mettre en avant un réalisme exacerbé à l'extrême. La planète Arkhanar, dans le film, ressemble donc beaucoup à une période qui pourrait se situer entre le XIVème et le XVème siècle de l'Europe sur Terre. Dans une bonne partie de IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU, on suit donc les pérégrinations du personnage principal au milieu de cette société où les notions d'hygiène sont inexistantes et où la grivoiserie est fortement présente. Le développement de cette société est aussi totalement bloqué par un dirigeant qui met un terme par la terreur à toute évolution intellectuelle, très certainement pour contrer d'éventuels opposants. Le sujet est donc un excellent terreau à une critique sociale et politique. Mais cela s'arrêtera là !

Alexeï Guerman braque sa caméra sur le quotidien de cette société médiévale. La caméra, justement, elle ne s'oublie pas puisque le cinéaste prend le parti de la placer réellement dans le décor. Durant une grande partie du film, elle s'avère réellement présente, un peu comme si l'on suivait un film tourné en caméra subjective. Au tout début du film, un effet place une sorte d'ellipse floutée autour de l'image, donnant l'impression qu'il s'agit d'un appareil futuriste captant l'action. Cet effet ne réapparaîtra jamais et il ne sera donné aucune explication concernant le fait que des personnages se mettent à regarder directement les spectateurs comme s'ils avaient pleinement conscience d'être face à un objet ou bien un protagoniste désincarné. Ce choix de mise en scène est assez bizarre et ne semble pas avoir de véritable pertinence si ce n'est, peut être, de tenter d'apporter un aspect capté sur le vif aux images qui nous sont présentées. Mais le véritable défaut de IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU, c'est que le film perd de vue sa véritable histoire pour se focaliser sur de longues scènes mettant en avant la boue, les excréments, les palpations de couilles et de popotins, la morve, la pisse et d'une manière générale tous les fluides corporelles. Si l'ambition d'Alexeï Guerman était de nous présenter la vision la plus trash du moyen âge, c'est plutôt réussi. Mais il faut peut être préciser que son film fait deux heures et cinquante minutes. Soyons francs, c'est un peu long pour un étalage de crotte de nez, de scène de pipi et autres joyeusetés du genre ! Cela donne au final, une errance assez confuse aux confins du mauvais goût, le tout filmé dans un somptueux noir et blanc.

Après une petite heure de projection, on pense à SALO OU LES 120 JOURNEES DE SODOME, film qui brasse des thèmes finalement pas si éloigné, mais le film d'Alexeï Guerman loupe le coche en ne voulant pas expliciter plus clairement ses images livrées la plupart du temps de façon très brute. Quelques scènes donnent un peu l'impression de voir un bout à bout de plans séquence. Quelques-unes ont une petite latence d'une seconde donnant l'impression que les figurants attendent qu'on leur donne le signal de commencer à se déplacer, c'est particulièrement flagrant lors d'une procession. Cela pourrait n'être qu'un détail mais il est important de revenir sur la création du film. Car IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU a mis plus d'une douzaine d'années à se terminer. Alexeï Guerman décédera avant la finalisation du film qui sera terminé sous la supervision de sa compagne, la scénariste Svetlana Karmalita, et son fils. Si le cinéaste russe est mort alors qu'il avait déjà réalisé un premier montage, on peut se demander s'il n'aurait pas revu ce montage avant la fin de la post-production. Cela ne restera qu'une supposition, le film nous est présenté comme ayant été terminé selon les désirs de son réalisateur !

IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU ne peut que partager de manière brutale le public. D'un côté, nous trouverons ceux qui tomberont à genoux devant cette expérience extrême de cinéma, délivrant de façon géniale son message. De l'autre, ils seront sûrement plus nombreux à s'assoupir en priant pour ne pas lâcher un pet ou se curer le nez par dépit, histoire de ne pas être associé à nos incultes ancêtres. Il y a même fort à parier qu'une bonne partie des aventureux cinéphiles prendront leurs jambes à leur cou pour s'enfuir de la salle avant la fin et retrouver leur liberté dans notre société moderne. Autant dire que IL EST DIFFICILE D'ETRE UN DIEU passe totalement à côté de son sujet !

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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