Si les oeuvres de l'écrivain Howard Philips Lovecraft connaissent depuis plusieurs décennies des adaptations en longs métrages, le public sait déjà moins qu'elles donnent aussi lieu à de nombreux films courts. Sa bibliographie se compose en grande majorité de nouvelles, lesquelles constituent un fond très riche dans lequel puiser. Il existe ainsi depuis 1995, à Portland, un festival dédié au cinéma inspiré par Lovecraft et dont la programmation se compose essentiellement de courts-métrages. Andrew Leman, accessoiriste de métier, s'attaque en ce sens à la nouvelle la plus connue de l'écrivain, à savoir «L'appel de Cthulhu», récit d'horreur mettant en scène l'infernale créature-titre, sorte de déité malfaisante et cosmique endormie depuis des millénaires dans une ville sous-marine. Leman tourne essentiellement en Californie, quelques plans étant quand même captés à Providence, en Nouvelle-Angleterre, ville où Lovecraft passa l'essentiel de sa vie. Il s'agit d'une production indépendante à tout petit budget, filmée avec des techniques relevant pour la plupart du bricolage.
Un mystérieux malade interné dans un asile explique à son médecin que, en poursuivant les recherches occultes de son oncle, il a découvert un complot horrifiant contre l'humanité, complot lié à un culte international et malfaisant...
«L'appel de Cthulhu» est un des textes les plus connus de Lovecraft, en fait la nouvelle centrale du corpus dit du Mythe de Cthulhu. Ce cycle de nouvelles a la particularité de tourner autour d'une mythologie et d'un panthéon inventés de toutes pièces par Lovecraft, à mi-chemin entre science-fiction et philosophie paranoïaque. Le Grand Ancien Cthulhu, gigantesque monstre extraterrestre dormant dans une caverne sous-marine, est devenu avec les années une icône de la science-fiction et d'une certaine culture populaire. Non sans une simplification et une certaine trivialité, le Grand Ancien s'est petit à petit décliné sous formes de bandes dessinées rigolotes et autres peluches. La teneur du texte de Lovecraft a parfois été ramenée à un espèce de Godzilla tentaculaire. Bon an, mal an, le mythe de Cthulhu continue à essaimer, comme par exemple dans LA CABANE DANS LES BOIS récemment.
«L'appel de Cthulhu» n'a jamais jusqu'alors connu de transposition au cinéma. La structure du texte, une sorte de testament rédigé par un narrateur à l'imagination enfiévrée, met en rapport divers articles et témoignages, apparemment dénués de liens, pour en tirer une histoire unique. Elle se prête difficilement à une écriture de long métrage classique. Surtout, le dénouement implique une scène à grand spectacle, nécessitant un important budget. Pour populaire que soit l'oeuvre de Lovecraft, elle n'a jamais donné lieu à de gros films, la seule vraie tentative en ce sens, l'adaptation de «Les montagnes hallucinées» par Guillermo Del Toro avec Tom Cruise en vedette, étant, on le sait, au point mort.
THE CALL OF CTHULHU est donc une production très modeste, un projet de passionnés usant de moyens de fortune pour donner vie au fameux texte. Pour cela, ils recourent à une ruse : ils adaptent «L'appel de Cthulhu» non pas comme il serait filmé aujourd'hui, mais comme il aurait été tourné dans la seconde moitié des années vingt, à l'époque à laquelle il a été écrit et publié. Il s'agit d'un film récent singeant les techniques du cinéma muet, d'une manière très comparable à celle du canadien Guy Maddin. Le procédé se voit teinté d'une certaine ironie quant à quelques stigmates de ce cinéma (jeu des acteurs emphatiques) tandis que l'image est délibérément vieillie et salie pour plus d'authenticité.
Si quelques trucages numériques sont employés (pour les incrustations notamment), THE CALL OF CTHULHU emploie surtout des effets spéciaux d'époque, ayant le grand mérite de ne pas coûter trop cher aujourd'hui : fausses perspectives, maquettes ou emploi de miroirs notamment. Nous avons même droit à une créature animée image par image, technique déjà employée à l'époque du texte, par exemple dans LE MONDE PERDU.
En tant qu'adaptation, THE CALL OF CTHULHU fait preuve d'une fidélité pratiquement irréprochable. Certes, il prend des libertés : le récit devient raconté par un fou dans un asile, dans la tradition de LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI ; les marins suédois trouvent le navire «Alert» vide de ses occupants alors que dans la nouvelle, ils y rencontrent des sectateurs. A ces deux petites réserves près, le texte de Lovecraft s'avère scrupuleusement respecté.
Et bien que bénéficiant d'un budget très modeste, le métrage fait montre d'un professionnalisme certain dans l'utilisation des techniques ou son interprétation. Certes, c'est un film à tout petits moyens, mais il est tout de même fait avec un certain soin artistique, l'élevant un net cran au-dessus du bricolage bâclé qu'on pouvait redouter. Cela n'empêche pas que, loin de restituer le vertige cosmique de la nouvelle initiale, le dénouement donne lieu à une scène plutôt légère, plus référentielle que réellement évocatrice du texte.
Limité par un budget de fortune, THE CALL OF CTHULHU ne peut prétendre à être une vraie transposition convaincante de la nouvelle de Lovecraft. Honorable, sympathique, divertissant pour le connaisseur, il n'en reste pas moins qu'une grande adaptation de cette nouvelle au cinéma reste à proposer. Quelques années plus tard, des membres de la même équipe tournent la transposition d'une autre nouvelle classique du Mythe de Cthulhu, à savoir «Celui qui chuchotait dans les ténèbres», en noir et blanc, mais cette fois-ci parlant, sous le titre THE WHISPERER IN DARKNESS.
THE CALL OF CTHULHU est sorti en DVD en 2007, dans une édition américaine en NTSC et multizone éditée par The H.P. Lovecraft Historical Society. Il propose le film dans une copie 1.33 [4/3] en noir et blanc d'une qualité correcte. Certes, le rendu vidéo initial est un peu grossier, tout comme la compression, mais l'ensemble reste fidèle à ce qui peut être offert pour un tel métrage à tout petit budget.
La bande son musicale est proposée en stéréo PCM dans deux configurations : ou bien en «hifi» (qualité normale), ou bien en «Mythosound», c'est-à-dire techniquement dégradé de façon à sonner comme un vieux gramophone d'époque ! Une batterie impressionnante d'intertitrages est proposée, allant du gaélique au basque en passant par le gallois ! Le français est aussi disponible.
En plus du moyen métrage, le disque contient quelques bonus. Nous avons ainsi une bande annonce, une galerie défilante de trois minutes montrant des images du tournage, ou une autre section de photos de plateau de deux minutes (traitées de façon à ressembler à de vieilles photos usées). Plus intéressant, nous trouvons une section dédiée aux scènes coupées, réunissant divers essais d'animation image par image, ainsi qu'une improvisation délirante (avec le son) d'un acteur. Nous trouvons aussi un making-of jovial de 28 minutes, restituant la production rocambolesque et fauchée de THE CALL OF CTHULHU.
En cliquant sur les logos LFP apparaissant dans les menus, nous trouvons divers bonus cachés, comme une scène du film présentée en scope couleurs, une très courte scène de bêtisier, ou une scène parlée avec le son, nous montrant que, bien que le métrage soit muet, les acteurs se sont donnés la peine d'apprendre et de réciter certaines formules en langage ésotérique inventées par Lovecraft. Enfin, en consultant le contenu du DVD sur votre PC, vous trouverez en PDF la réplique d'un journal d'époque consulté par le héros du métrage.
Somme toute, cette petite édition DVD à visée clairement internationale remplit son office, d'autant plus que le film peut être consulté en français et sans souci de zonage.