Header Critique : CORBEAU, LE (THE RAVEN)

Critique du film et du DVD Zone 2
LE CORBEAU 1935

THE RAVEN 

Pour l'amateur de cinéma fantastique, l'ère hollywoodienne classique n'a connu qu'un véritable Âge d'Or : la période allant de 1931 à 1936, au cours de laquelle les studios, en tête desquels Universal, alignent une impressionnante série de chefs-d'oeuvre fondateurs. En plus des aventures des grands monstres classiques (DRACULA, FRANKENSTEIN, le loup-garou avec LE MONSTRE DE LONDRES), Universal sort un petit cycle d'adaptations d'Edgar Poe, à commencer par DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, avec Bela Lugosi et un terrible singe tueur. Vient ensuite LE CHAT NOIR, dont le récit n'a que peu à voir avec le génie de Baltimore, mais qui réunit les vedettes Bela Lugosi et Boris Karloff. Soigneusement mis en scène par Edgar G. Ulmer, cette réussite connaît un triomphe auprès du public. Si bien qu'Universal lance rapidement le projet d'un autre métrage du même acabit.

C'est donc LE CORBEAU, dont la gestation s'avère laborieuse. Le scénario passe en effet par de nombreuses réécritures avant d'être filmé. A l'arrivée, l'essentiel est là. Karloff et Lugosi se voient à nouveau réunis sous le signe d'Edgar Poe, le titre renvoyant à son plus célèbre poème. Bien que les réalisateurs talentueux et affirmés ne manquent pas à cette période pour le cinéma fantastique, Universal se tourne vers Louis Friedlander – il anglicisera plus tard son nom en Lew Landers. Ce metteur en scène vient de débuter dans le métier en tournant divers Serial pour cette major. LE CORBEAU s'avère donc le premier de ses longs métrages.

Un accident de voiture plonge la jeune Jean Thatcher dans un coma profond. Seul le docteur Vollin, chercheur excentrique et chirurgien inégalé, peut lui sauver la vie. Ce qu'il fait en acceptant exceptionnellement de reprendre le bistouri. Une fois sa patiente guérie, il s'en éprend et lui fait une cour pressante. Le père de Jean ne l'entend pas de cette oreille et signifie une ferme fin de non recevoir à Vollin. Torturé par son amour impossible, qu'il compare à la passion tragique qui tortura Edgar Poe de son vivant, le savant orchestre une vengeance sanglante, placée sous le signe de l'écrivain macabre.

Dans LE CHAT NOIR, Karloff tient le rôle du méchant mégalomane, dirigeant un culte maléfique dans une intrigante demeure Art Déco. Lugosi prend le relais dans LE CORBEAU en incarnant le docteur Vollin, personnage insolite s'il en est. Très habile chirurgien, il a renoncé à la profession pour ne consacrer son génie (dont il est intimement convaincu) qu'au service de la recherche médicale. Il découvre que la manipulation d'un nerf particulier du cerveau détermine de manière cruciale le fonctionnement du corps humain. Son Violon d'Ingres, c'est Edgar Allan Poe, écrivain pour lequel il ressent une admiration sans borne et auquel il ne renâcle pas à s'identifier. A côté de son bureau trône un Corbeau empaillé tandis que dans le sous-sol de son manoir gothique, il assemble en grandeur nature divers instruments de torture inspirés par l'écrivain.

Karloff se retrouve dans le rôle secondaire d'Edmond Bateman, assassin recherché par la police et affligé d'une singulière laideur. Tuyauté au sujet des compétences de Vollin, il se rend auprès de celui-ci. Il lui demande de changer son visage afin de le rendre méconnaissable et, tant qu'à faire, beau par la même occasion. Vollin le dupe et le défigure encore plus ! Il ne lui rendra visage humain que si Bateman accepte d'être son complice dans son projet de vengeance criminelle. Le fugitif se résigne, même s'il s'agit dans le fond d'un être plus compatissant et humain que Vollin le fou.

LE CORBEAU démarre de façon classique, sa première partie mettant en place les personnages et les présentant en détail. Il change de ton en son milieu et réunit tous les personnages dans la demeure de Vollin pour une nuit placée sous le signe de l'horreur. Nous nous retrouvons dans le schéma classique de la vieille maison sombre, des invités réunis malgré eux dans une demeure inquiétante au sein de laquelle de funestes événements se succèdent, tandis qu'au dehors souffle une tempête démoniaque et tonne un orage furieux. Il faut dire que cette situation a déjà fait ses preuves pour la Universal avec UNE SOIREE ETRANGE et LE CHAT NOIR, film dont l'ombre plane décidément avec insistance !

La véritable attraction de LE CORBEAU se trouve enfouie dans le sous-sol de la maison de Vollin. Celui-ci y assemble toute sorte d'instruments de tortures, de pièces truquées, de vierges de fer en parfait état de fonctionnement. Le bâtiment lui-même n'est qu'un vaste piège qu'il commande à volonté à partir d'un panneau de contrôle électrique : les pièces s'escamotent, des volets de fer emprisonnent les captifs, l'électricité et le téléphone se coupent à sa guise.

Le clou de cette collection terrifiante s'avère la reconstruction du sinistre pendule inventé par Edgar Poe dans «Le puits et le pendule». Cette faux redoutable descend centimètre par centimètre vers sa victime entravée jusqu'à ce que celle-ci soit doucement et progressivement tranchée en deux au niveau du ventre. LE CORBEAU s'avère la première grande représentation cinématographique de cette machine infernale. Nous la retrouverons dans les décennies à venir, au gré de mises en scène de plus en plus sanglantes et explicites : LA CHAMBRE DES TORTURES de Roger Corman dans son cycle Edgar Poe bien évidemment ; dans le sketch LE CHAT NOIR que réalise Dario Argento pour DEUX YEUX MALEFIQUES ; ou même dans SAW V où un imitateur de Jigsaw reprend le supplice dans une scène d'ouverture à l'efficacité mémorable ! Et il faut bien le dire, ce docteur Vollin, génie du mal mettant en œuvre ses facultés pour transformer sa demeure en un donjon des pièges afin d'assouvir une vengeance personnelle, a tout d'un ancêtre de l'antihéros vu dans cette récente saga horrifique à succès !

LE CORBEAU a dans son jeu un atout maître : Bela Lugosi, l'interprète historique de DRACULA. Parfois rabaissé comme un aimable cabotin, nous l'avons pourtant vu tenir des rôles de façon magistrale (comme le diseur de la loi dans L'ILE DU DOCTEUR MOREAU ou surtout l'Ygor génial de LE FILS DE FRANKENSTEIN). Il peut même faire preuve d'une certaine sobriété, comme pour le justicier un brin torturé de LE CHAT NOIR. Ici, soyons clair, c'est le Lugosi du Grand Guignol qui se voit convié ! Rictus démoniaque et ricanement imbu de sa propre malfaisance, plissement d'yeux appuyés signifiant la plus extrême sournoiserie, gestuelle et déclamation exponentiellement emphatique soulignant une mégalomanie grave... Lugosi joue à fond le jeu du savant fou, sans finesse, ni subtilité. Néanmoins, il a pour lui ce talent de rendre crédible et très divertissant ce style de personnage, leur apportant une touche particulière. Il est évident que l'acteur jubile à interpréter à fond les manettes un tel dément, et cet amusement se montre communicatif, le spectateur se voyant emporté par les délires virevoltants de l'inquiétant savant.

En effet, si LE CORBEAU s'avère artistiquement moins probant que LE CHAT NOIR, si le scénario et les motivations de son grand méchant laissent par moment dubitatif, nous sommes avant tout dans la logique du Serial plus que dans l'atmosphère raffinée des grands classiques du cinéma fantastique de la même période. Cela dit, la qualité de production reste d'un haut niveau, les décors, l'interprétation et la photographie sont soignés et ne font jamais chiche, tandis que le rythme trépidant et la fougue de Lugosi hissent ce long métrage au niveau d'un divertissement de belle tenue, ne faisant en aucun cas tâche dans le magnifique catalogue des horreurs Universal.

Cependant LE CORBEAU a aussi le triste privilège de marquer le début d'un reflux net de la production de films d'horreur et, pour ainsi dire, la fin de l'Âge d'Or du cinéma fantastique. Une fin qui prend vraiment place en 1936, après quelques derniers titres parmi lesquels les Universal LA FILLE DE DRACULA et LE RAYON INVISIBLE.

Une des explications souvent donnée à cet étonnant déclin, LE CORBEAU ayant été un beau succès, consiste à souligner le durcissement de la censure anglaise suite au scandale provoqué par la violence du métrage, entraînant la fermeture de l'important marché britannique à ce style de films d'horreur hollywoodiens.

Néanmoins, des études récentes tendent à démontrer que cette éventuelle montée de la censure anglaise a surtout été mise en avant et exagérée par le Production Code Administration (administration américaine privée chargée de mettre en oeuvre le code de censure dit «Code Hays» en vigueur depuis les années 30) afin de décourager autant que possible la production de films d'horreur. Une croisade plus américaine qu'anglaise et qui finit par aboutir, temporairement, en 1936. Il convient enfin de rappeler que 1936 est aussi marquée par le renvoi de Carl Laemmle (fondateur d'Universal) et de son fils Carl Junior de leur propre studio suite à des soucis financiers. Sans doute ce changement de direction a-t-il influencé notablement le cours de la production fantastique de cette Major, si marquée par la personnalité de son créateur.

LE CORBEAU n'a pas été le film le mieux traité du catalogue Universal en DVD, sans doute car il n'est pas rattaché à un cycle de grand monstre du style Dracula ou Frankenstein. Il apparaît d'abord dans un DVD australien dédié à Boris Karloff et contenant aussi LA MOMIE et LE CHAT NOIR.

Puis il a droit à une restauration plus élaborée pour être publié en 2005 aux États Unis dans le coffret «The Bela Lugosi Collection» contenant aussi DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, LE CHAT NOIR, LE RAYON INVISIBLE et le VENDREDI 13 de 1940 (réunissant à nouveau Karloff et Lugosi et n'entretenant aucun rapport avec Crystal Lake ou ses alentours!). Toutefois, ces cinq films sont stockés sur un seul DVD double couche/double face, format pouvant poser des soucis de lecture en fonction de la machine utilisée pour le visionner.

En France, LE CORBEAU n'est pas exploité en DVD par Universal, mais par Sidonis, qui le sort d'abord en 2007 dans un coffret «3 chefs-d'oeuvre de l'épouvante» aux côtés de LE CHAT NOIR et de LA TOUR DE LONDRES version 1939. Puis LE CORBEAU a le droit à une sortie individuelle en 2010.

Ce disque français propose une copie dans le format standard 1.33 (4/3), en noir et blanc d'origine, qui s'avère une agréable surprise. Certes, la copie aurait pu être encore mieux nettoyée de ses poussières et rayures intermittentes, mais le télécinéma démontre un soin technique réel : la fixité est irréprochable, la compression invisible, la résolution souvent remarquable de précision, le grain rendu dans sa matière originelle... Bref, il s'agit d'une copie de qualité, surtout pour un film tout de même ancien.

La bande-son est proposée en mono Dolby Digital 1.0 anglais. Il ne faut pas s'attendre à un miracle pour un titre datant du début du parlant et ce disque offre en ce sens une piste correcte, avec des dialogues compréhensibles, gardant le bruit de fond et la distorsion à des niveaux acceptables. Elle est accompagnée d'un sous-titrage français... Et c'est tout, car le disque ne propose aucune autre option sonore ou supplément !

Bref, ce disque français se montre pour le moins minimaliste ! Cela dit, il semble que ce soit le lot de ce long métrage puisqu'il est toujours sorti dans des éditions DVD à l'interactivité très limitée. Cette édition française reste donc une option plaisante et facilement trouvable pour le visionner.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
THE RAVEN DVD Zone 2 (France)
Editeur
Sidonis
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
59 mn
Image
1.33 (4/3)
Audio
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
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