En l'an 690, la dynastie des Tang est sur le point de couronner la première impératrice de Chine, Wu Zetian (Carina Lau), dont l'ascension au trône est par ailleurs très contesté. Au milieu d'un climat de suspicion et de paranoïa, l'impératrice doit patienter jusqu'à la fin de la construction d'un stupa (une statue géante représentant Bouddha), la fin du chantier devant coïncider avec son couronnement. C'est alors qu'une série de morts étranges vient ébranler la mise en œuvre de la statue. Plusieurs personnes, dont le chef de chantier, sont victimes d'embrasements spontanés les réduisant immédiatement en cendres. Persuadée que ce mystérieux danger est dirigé contre elle, l'impératrice fait libérer le détective Dee (Andy Lau), un fin enquêteur qu'elle avait elle-même emprisonné après qu'il se soit opposé à elle.
On ne présente plus Tsui Hark, gigantesque icône du cinéma de Hong Kong, producteur et réalisateur de génie à qui l'on doit (entre autres) les fabuleux ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE, THE BLADE, HISTOIRES DE FANTOMES CHINOIS ou encore IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE. Après une aventure américaine désastreuse à l'époque de la rétrocession de 97, Hark revient en Chine avec des projets ambitieux à la réussite en dents de scie (l'hallucinant TIME AND TIDE, le très embarrassant BLACK MASK 2). Il faudra attendre 2005 pour que Hark fasse à nouveau l'événement avec SEVEN SWORDS, un retour aux films de sabre au résultat malheureusement bancal. Après avoir mis en scène un sketch du triptyque TRIANGLE avec Ringo Lam et Johnnie To, Hark empile ensuite deux films totalement impersonnels et anecdotiques : la comédie ALL ABOUT WOMEN et le thriller THE MISSING (que nous avions déjà évoqué à l'occasion de notre dossier sur le Marché du Film de Cannes 2009). Difficile dans ce contexte de ne pas céder à l'appréhension en découvrant DETECTIVE DEE, nouvel opus du maître à la légende écornée et film de l'ultime «grand retour». Que les cinéphiles se rassurent, DETECTIVE DEE est bel et bien l'ébouriffante réussite que son excellente réputation laissait présager.
A l'instar de ses plus grandes réussites, Tsui Hark revisite avec DETECTIVE DEE de grandes personnalités de la culture chinoise. Tout d'abord Wu Zetian, unique femme nommée impératrice de Chine, et qui fonda la dynastie des Zhou succédant ainsi à la dynastie des Tang. Souvent romancé, le destin de Wu Zetian fut notamment porté à l'écran dans EMPRESS WU produit par la Shaw Brothers. Le détective Dee, aussi connu sous le nom du Juge Dee (ou Juge Ti), est également un personnage historique devenu un héros de littérature policière chinoise. Dee pourrait être résumé à une sorte de Sherlock Holmes évoluant dans l'univers fantastique local, où la magie et les animaux dotés de parole sont autant de faux semblants lors des complexes intrigues tissées autour de la cour. Pour donner vie à ces personnages, Tsui Hark s'entoure d'acteurs consacrés lors des grandes années du cinéma de Hong Kong. Andy Lau (SHANGHAI GRAND, INFERNAL AFFAIRS) prête sa présence toujours aussi forte et élégante au détective Dee tandis que Carina Lau (LES CENDRES DU TEMPS de Wong Kar-Wai) incarne l'impératrice de manière particulièrement ambiguë. Nous retrouvons aussi Tony Leung Ka-Fai (L'AMANT de Jean-Jacques Annaud) mais aussi l'excellent Richard Ng, connu pour ses rôles comiques (comme MR VAMPIRE 3). Pour «surveiller» le détective Dee, l'impératrice lui impose une garde rapprochée constituée de deux comédiens de la jeune génération : la jolie Li Bingbing (vue dans LE ROYAUME INTERDIT avec Jet Li et Jackie Chan) et le chanteur et comédien Chao Deng. Riche en séquences d'actions, DETECTIVE DEE confie la chorégraphie de ses combats à la superstar Sammo Hung, à peine remis des chorégraphies des deux IP MAN avec Donnie Yen.
Reconstitution historique, intrigue policière et scènes d'action enivrantes à base de cascades câblées, c'est à ce savoureux mélange que nous invite DETECTIVE DEE durant ses deux heures de spectacle riches en aventures. Rompu au mélange des genres, Tsui Hark ne rend jamais le film indigeste face à l'avalanche de péripéties qui nous attend : les soupçons qui se portent méthodiquement sur chaque personnage du film, la visite d'un «marché fantôme» souterrain où nous sera révélé le secret des inflammations spontanées, l'intrusion à mi-parcours d'un moine démoniaque aux pouvoirs magiques, les retrouvailles entre Dee et son arme de combat (un sabre de pierre capable de «deviner» les faiblesses de l'ennemi), le tout entremêlé par les intrigues et complots autour de l'impératrice. Ayant souvent par le passé négligé la fluidité de la narration au profit du spectacle, Hark soigne ici son intrigue pour que le spectateur soit tenu en haleine du début à la fin de son enquête policière nous réservant moult fausses pistes et autres trouvailles narratives pour mieux nous berner (comme la capacité de certains personnages à changer de visage par le biais de la magie). DETECTIVE DEE n'oublie pas pour autant sa mission de grand spectacle et aligne de grandes scènes spectaculaires dont la maîtrise et la folie renvoit aux classiques du maître. Hark s'auto-cite volontiers et réinvente l'affrontement avec la poutre en bois de IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE en mettant cette fois en scène plus d'une dizaine de poutres ! Lorsque Dee et Jing (Li Bingbing) s'obligent à s'enlacer dans différentes positions pour échapper à des flèches lancées dans leur chambre, impossible de ne pas penser à la scène du baiser d'HISTOIRES DE FANTOMES CHINOIS. Enfin, le grand final à l'intérieur du stupa où Dee va poursuivre le coupable dans un décor vertical tout en passerelles et échelles de cordes renvoit au final d'IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE. Hark ne se singe pas pour autant et nous convie à un retour aux sources d'autant plus rafraîchissant que l'on n'avait plus vu ça depuis beaucoup trop longtemps.
DETECTIVE DEE est donc la parfaite réussite que l'on attendait, et bel et bien le retour de tout un pan du cinéma cantonnais déluré, aujourd'hui disparu au profit de blockbusters chinois fondus dans le même moule historique. DETECTIVE DEE est aussi et surtout un spectacle extrêmement fédérateur, capable de s'adresser à tous les publics. Il ravira les nostalgiques du cinéma de Hong Kong tout en se révélant une excellente «initiation» aux néophytes de l'industrie chinoise. Il séduira les adultes tout comme il captivera un public plus jeune friand d'enquête policière matinée de supernaturel et de fantasy. Il faudra juste être capable de faire abstraction d'effets spéciaux numériques en dessous des critères modernes et ne pas se laisser désarçonner par un premier quart d'heure déroutant où le générique du film vient s'inviter brutalement au milieu des séquences. Souhaitons maintenant au film suffisamment de succès pour que le juge Dee puisse continuer ses aventures sur grand écran, la fin ouverte du film résonnant comme une invitation à une nouvelle franchise dans la carrière de Tsui Hark.