Curieux de retrouver un film comme BEDEVILLED dans une sélection officielle d'un Festival du Film Fantastique. Présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2010, le film réalisé par Jang Cheol-So est en fait un drame qui vire aux meurtres sanguinolents. Un mélange des genres coutumier du cinéma coréen, somme toute. Il demeure toutefois difficile pour le spectateur de pénétrer dans les arcanes de la sélection d'un Festival, mais de voir des films ouvertement fantastiques comme RARE EXPORTS ou encore PROIE en section «hors compétition» laisse songeur.
Après un problème à son travail, Hae Won (Ji sung-Won) revient dans l'ile de Moodo pour une semaine de repos et rencontre son amie d'enfance Bok-nam (Yeong-hie Seo). Elle la découvre en proie à la soumission et à la violence de son entourage.
Raconté comme cela, la trame fait plus penser à un drame insulaire plutôt qu'à autre chose. En fait, il s'agit exactement de cela. Jang Cheol-So est un ancien assistant de Kim Ki-Duk, et ça se voit. La parenté avec L'ILE semble certes facile mais inévitable. Sur ce point, le métrage est même plutôt réussi. A travers les yeux de la très urbaine et stressée Hae Won, on découvre le calvaire de Bok-nam. Humiliée par son mari qui la bat et la force à être témoin de ses rapports avec une prostituée, elle est également rabaissée par sa tante. Dédaignée par les autres habitants de l'île, Bok Nam ne trouve refuge qu'auprès de sa fille, qui semble cependant elle aussi sous l'emprise charnelle de son père.
Cette première partie du film oppose deux types de Corée du Sud. L'une urbaine et moderne, avec une Hae Won refusant de voir la réalité, obsédée par son train de vie et sa tranquillité. L'autre Corée avec Bok-nam réduite à un quasi esclavage silencieux, au travail rude et aux mœurs abruptes. Ses viols répétés, ses brimades, sa descente aux enfers physique et psychologique ressort telle une habitude de vie. A leur manière, elles survivent à leur propre destinée, sans chercher vraiment à y échapper. En tentant d'adoucir au mieux leur situation mais sans en modifier le chemin. Le scénario va suivre alors cette dualité, distillant au fur et à mesure des informations sur la nature de chacune des héroïnes et le quotidien de Bok-nam. La mise en scène s'avère étrangement neutre, sauf à de très rares occasions des scènes troublantes sur la représentation de la sexualité en place sur l'ile.
L'irruption d'Hae Won précipite l'ordre apparent établi sur l'ile. Elle représente la bouffée d'oxygène pour Bok-nam et le bouleversement des habitudes séculaires réglées pour le reste des habitants, comme une société matriarcale où les hommes ne servent qu'un propos unilatéral. La caméra montre de manière précise la ligne ténue de cet équilibre en train de se briser. Il existe même une certaine poésie très ambiguë qui se dégage de tout cela. Tant et si bien qu'on se demande :
1. que fait le film dans un festival fantastique
2. Mais quand est-ce que Bok-nam va-t-elle réagir ?
3. Elle va forcément perdre les pédales, non ?
Le dernier quart va répondre aux points 2 et 3. Et là, BEDEVILLED verse dans le «Rape and Revenge», un peu comme si Jason Voorhees s'était fait violer à répétition par tous les moniteurs du camp de vacances et décidait de prendre les choses en main. On se dit que le point 1. semble avoir décidé à ce moment pour lui du sort de l'introduire dans un festival comme celui de Gérardmer. Plus qu'un leurre qu'autre chose. Les scènes de violence font mal, entre serpette et coups de massue. Mais ces accès de violence éruptive ne sont en rien nouveaux, eu égard à des films comme OLD BOY ou encore SYMPATHY FOR M. VENGEANCE et ne servent en rien le propos du film.
Le film pêche en outre sacrément sur la présentation des personnages et force l'aspect moralisateur du final. Il est absolument impossible de considérer autrement que ridicules et mauvais les habitants de l'ile. Présentés de manière unilatéralement comme rétrogrades, conservateurs avec en prime une néo-Thénardier et un idiot congénital obsédé sexuel avec la bave aux lèvres. On passera sur le sempiternel stéréotype de présentation de ruraux insulaires comme quasi-arriérés mentaux refusant le monde moderne. La manière démonstrative de présenter les faits au spectateur ne laisse guère de doute sur l'issue. Simplistes et rustres, les clichés n'en sont que plus bêtes que nature. Et le film devient à cet égard très putassier.
C'est également sans compter la prise de conscience que semble provoquer cet événement chez Hae Won. Le commentaire social que BEDEVILED induit reste là aussi très crasse et au ras du bitume. La simplification à l'extrême du discours déçoit plus qu'il ne passionne, tant il enfonce des portes ouvertes. D'autant plus que le sujet central du film (le calvaire de Bok-wan) aurait très bien pu tenir sans la partie du scénario dévolue à Hae won. Cette dichotomie ville/campagne peut plaire au premier abord. Avec une progression dramatique relativement sûre alliée à un visuel très soigné en Scope (très belle photo lumineuse). Mais ce scénario bancal et le jeu un peu trop appuyé des acteurs qui campent des personnages à une dimension lestent le métrage. Trop long, le film manque d'enjeux réels et en rajoute de manière totalement inutile, jusqu'à donner une leçon de conscience à la dernière image.
BEDEVILLED s'avère au final un film pas très fin, manipulateur dans son essence et qui s'ingénie à s'habiller d'un look arty pour faire passer un contenu somme toute très conventionnel.