Angela ne peut s'empêcher de fantasmer sur sa ravissante voisine, une voyante roumaine qui organise par ailleurs des «parties fines». Un jour, cette dernière est assassinée et par inadvertance, Angela brise une boule de verre. Rapidement, elle se rend compte qu'en regardant au travers des éclats de verre, elle peut assister à des événements futurs. Elle se fait donc fabriquer une paire de lunettes, laquelle lui permet d'assister à son meurtre à venir. Dès lors, Angela n'aura de cesse de fuir la mystérieuse femme en rouge...
Nous avions largement évoqué BLACKARIA lors d'une précédente chronique et force est de constater qu'après quelques mois, le sentiment d'origine se confirme. Les habiles références au Giallo ou au cinéma de Brian De Palma et Alfred Hitchcock demeurent mais c'est avant tout l'incroyable mise en scène qui force le respect. Le film de François Gaillard et Christophe Robin ne relève donc pas seulement de l'hommage respectueux mais existe bien par lui-même, et ce sans la moindre peine. BLACKARIA nous invite dès lors à une expérience viscérale et émotionnelle forte, mêlant l'érotisme «classe» et la mort, le palpable et l'indicible.
L'une des forces du métrage réside tout d'abord dans son imagerie vaporeuse, soyeuse, évoquant certaines pellicules érotiques comme par exemple le HISTOIRE D'O de Just Jaeckin. La texture charnelle et sensuelle de la photographie prend rapidement une dimension onirique parfaitement en phase avec le propos, fait de fantasmes et de visions. BLACKARIA exploite d'ailleurs cette double facette sur une majeure partie du métrage et le fait particulièrement bien. L'un des points culminants de cette union pour le moins risquée arrivera du reste assez tôt dans le métrage, par le biais d'une séquence se déroulant dans un ascenseur. François Gaillard nous invitent alors à une véritable leçon de cinéma dans laquelle il trouble la vision de l'héroïne, mais également du spectateur. Le reflet fantasmé du miroir se fond avec la réalité du personnage d'Angela et les vêtements de celle-ci couvrent pudiquement l'image d'une voisine nue, haletante, sublime, jouée par Anna Naigeon. Au corps à corps imaginaire succédera une mise à mort d'une rare violence, écorchant la chaire que le spectateur commençait à savourer. Les caresses se poursuivent au rasoir et le choc, entre amour et mort, se fait ici plus fort qu'à n'importe quel autre instant du film.
Si nous tenons avec cette séquence l'une des plus bluffantes du métrage, il serait cependant dommage de réduire l'ensemble à cette seule portion. En effet, bien qu'il fut bâti à l'origine comme un moyen métrage d'une trentaine de minutes, BLACKARIA a par la suite été étoffé pour devenir long d'une heure onze. De cette genèse un peu particulière et souvent handicapante est née un film qui, s'il est peu commun dans son esthétique, l'est également dans sa structure. Difficile ainsi de parler de l'«héroïne» du film puisqu'en réalité, le métrage en compte deux. La première, c'est bien évidemment Angela, jouée par la jeune et ravissante Clara Vallet. Dotée d'une personnalité consistante, intéressante et finalement assez vicieuse, elle sera l'antithèse du second protagoniste, incarné par Aurélie Godefroy. Cette dernière donne pour sa part corps à l'assassin, élément a priori détestable et surtout extrêmement violent dans BLACKARIA. Pourtant, à l'inverse d'Angela, le développement de son personnage, s'il ne lui donne pas «raison», apporte une touche d'humanité subtile, efficace et inattendue. Une vraie bonne idée qui tend à engendrer une certaine forme de compassion, et à nous plonger plus avant encore dans le lyrisme et l'irréel.
BLACKARIA avance ainsi à grand renfort de flashbacks et de souvenirs. Un procédé qui n'a ici rien de gratuit et pourrait même être perçu comme le reflet inversé de ces fameuses lunettes permettant de voir l'avenir. Reconnaissons toutefois que la narration en ressort par instants décousue et que certaines séquences s'imbriquent assez difficilement. Le meurtre à la «chaîne» par exemple, s'il est un grand moment de violence sadique, n'en demeure pas moins intégré au chausse-pied. Il en sera de même pour le crime survenant dans la salle de bain. Certains pourront de fait relever une certaine «gratuité», faite de facilités scénaristiques et d'effets gores particulièrement appuyés. Ce n'est pas faux, mais ne boudons pas notre plaisir car la violence éclatante de BLACKARIA fait partie intégrante de sa personnalité et de son charme. David Scherer, maquilleur-prothésiste sur le film, s'en donne à cœur joie et multiplie les plaies et écorchures. L'image devient dès lors aussi dérangeante que pouvait l'être l'ambiance, déjà très pesante.
Car BLACKARIA est avant tout un film atmosphérique, qui ne manquera pas de mettre le spectateur mal à l'aise. La bande originale des Double Dragon joue d'ailleurs un rôle prépondérant dans ce sentiment d'étouffement, d'agression, de tension. Parfaitement maîtrisée, elle soutient l'image à merveille et élève même sa dimension irréelle et brutale. Du bien bel ouvrage.
De la vision de BLACKARIA, et vous l'aurez compris, le spectateur ne peut ressortir indifférent. Vif dans ses couleurs et ses éclats de violence, maîtrisé dans sa mise en scène et son ambiance, magnifiquement photographié et rythmé avec soin, ce «petit» film a assurément tout d'un grand. Nous ne nierons cependant pas les simplicités scénaristiques et ne pouvons passer outre les piètres performances des acteurs masculins. Que l'on parle de Michel Coste en ersatz de Kojak (la sucette, ridicule) ou de Frédéric Sassine en psy amoureux/couillon, le constat n'est en effet guère brillant. Sans doute aussi car il s'agit là de deux personnages qui brisent l'aspect abstrait et fantasmagorique du métrage, si envoûtant par ailleurs… Reste que nous préférerons retenir de BLACKARIA ses grandes qualités et ses séquences les plus marquantes. En plus de l'ascenseur, nous citerons d'ailleurs et pour finir l'incroyable split screen nous ramenant directement à Brian De Palma. A la vision de cette scène, on ne pourra que constater à quel point François Gaillard a parfaitement appris du monsieur. Mieux encore, on se demande si aujourd'hui, face à sa production déclinante, le réalisateur de PULSIONS n'en viendrait pas à envier une telle séquence, c'est dire...
De l'Absurde Séance à l'Etrange Festival, BLACKARIA aura fait frissonner quelques Festivals avant que Le Chat Qui Fume ne s'intéresse à son cas. Édité dans le cadre d'une collection «Les nouveaux talents de l'horreur» (laquelle compte également OUVERT 24/7), le film de François Gaillard et Christophe Robin se voit traité de la meilleure manière qui soit. Cela commence avec la jaquette, sublime puisque reprenant le plus beau visuel du film. Puis cela se poursuit avec l'ouverture du boîtier, révélant un DVD dédié au film (et ses bonus) et un CD Audio reprenant le travail du groupe Double Dragon. Une bien bonne idée tant la partition méritait une redécouverte individuelle, une fois détachée des images. On aura alors tout le loisir par exemple de passer «Dragonfly» en boucle, ou de profiter de l'étourdissant stéréo de la quatrième piste. Globalement, nous avons là un album de très haute tenue, techniquement soigné et très agréable à l'écoute. Nous noterons cependant un bruit («ploc !») lors de la transition entre certaines pistes. Assez rare durant la première moitié de l'album, ce saut curieux, qui aurait pu être évité, survient de manière quasi-systématique dans la seconde moitié. Pas rédhibitoire, mais assez énervant...
Le DVD s'ouvre pour sa part sur un menu sobre mais plutôt agréable. L'unique piste audio française est proposée en Stéréo et se voit encodée sans défaut. L'ensemble est curieusement équilibré, favorisant clairement l'ambiance aux dialogues. Malgré cela, les musiques sont amples et les voix claires, quoique lointaines. L'image porte pour sa part les stigmates d'un tournage DV réalisé à l'économie. A savoir que la définition n'est pas toujours exemplaire et que sa nature numérique est assez régulièrement visible. Si ce constat s'impose dès les premières minutes, il s'oublie cependant assez vite en regard de sa photographie exemplaire, signée Anna Naigeon, également interprète de la voyante impudique. La palette de couleurs est parfaitement rendue et la texture vaporeuse se montre agréable dans l'ensemble. Le format d'origine est par ailleurs respecté et restitué par le biais d'un encodage en 16/9ème...
Comme c'est souvent le cas avec les disques signés Le Chat Qui Fume, le DVD de BLACKARIA est gorgé de suppléments jusqu'à l'asphyxie. En premier lieu, nous aurons donc droit à un commentaire audio donnant la parole aux deux réalisateurs. Comme ils le déclarent assez fraîchement, ils ne sont pas là pour «se sucer la bite» et délivrent donc un propos relativement objectif et pertinent. Les anecdotes sont nombreuses et François Gaillard s'amuse manifestement à titiller Michel Coste, ce qui semble risqué ! L'humour est très présent et s'il ternit quelque peu le sérieux du document, il permet en revanche de faire passer les soixante-dix minutes sans peine, et sans baisse de rythme. Ce commentaire permet également aux deux jeunes hommes de revendiquer certains choix, qu'ils nous semblent pertinents ou moins, comme par exemple le caractère très «Derrickien» du flic...
S'ajoute à cela tout une batterie d'interviews. Dans la première, les réalisateurs reviennent et ne parviennent malheureusement à éviter quelques redites. Reste que les deux barbus évoquent leur rencontre et font pour cela un saut en 2006. Ils progressent ensuite dans le temps et reviennent sur la genèse de leurs travaux communs, jusqu'à BLACKARIA. Le morceaux le plus intéressant s'attache à la direction des acteurs, et à la vision qu'en a Christophe Robin. L'ambiance est encore une fois très détendue et la demie-heure passe toute seule...
L'intervention de Clara Vallet se montre plus intéressante, en plus d'être davantage agréable à l'œil ! La jeune femme nous éclaire quant à sa vision du rôle et, plus globalement, du film. Elle évoque les conditions de tournage, revient sur sa relation avec l'équipe et nous livre quelques informations, parfois redondantes du commentaire audio. Elle cédera la parole à Anna Naigeon et Aurélie Godefroy pour l'interview suivante. Ici, le propos est très pertinent puisqu'il aborde le personnage de la tueuse, complexe autant qu'il est marquant. Aurélie Godefroy revient par ailleurs sur sa carrière et la manière dont elle a appréhendé son personnage, muet dans le film. La double vision d'Anna Naigeon, à la fois devant et derrière la caméra, est également intéressante. Manifestement très exigeante avec son travail de directrice de la photographie, la demoiselle est de surcroît très critique avec sa performance d'actrice. Bien trop en réalité si l'on en juge le résultat ! Reste que le propos est sincère et constructif, et qu'on ne reprochera à cette interview que l'intervention de deux ou trois voix non identifiées, derrière la caméra.
Les dix minutes d'interview de Pascal Garcin (l'un des deux «Double Dragon»), en compagnie d'un François Gaillard décidément omniprésent, complètent ce travail éditorial d'une belle manière. Les influences sont citées (Haim Saban !), le propos éclaire notre écoute du disque et se montre, là encore, plutôt intéressant. D'une manière générale, l'heure complète d'interviews qui nous est proposée se regarde et s'écoute avec plaisir, le débit étant régulier et informatif, touchant à tous les aspects de la production du film.
Nous étions rassasiés mais Le Chat Qui Fume n'en reste pas là ! Le félin défoncé nous propose ainsi le moyen métrage ALL MURDER, ALL FUN, ALL GUTS de François Gaillard, film intéressant mais aux jeux d'acteurs très imparfaits. Nous retrouverons ensuite Clara Vallet dans UNDER THE BLADE, un court métrage saignant aux influences très marquées, mis en boite par David Scherer. François Gaillard voit également son WELCOME TO MY NIGHTMARE salué par le biais d'un trailer et de longs extraits. Tout aussi intéressante, la bande-annonce de 3 HITS FROM HELL nous donne un aperçu du film à sketchs au sein duquel BLACKARIA devait s'intégrer dans sa version de vingt-six minutes. Une séquence (muette) de cette première version de BLACKARIA nous est d'ailleurs également proposée en bonus ! Celle-ci s'avère très digne d'intérêt puisqu'elle dévoile Aurélie Godefroy dans la peau de la victime, agressée par le tueur masqué de SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN. Terminons enfin le tour de cette édition plus que chargée en spécifiant la présence des bandes-annonces de l'éditeur, et du teaser de LAST CARESS, prochain film de François Gaillard et Christophe Robin, cette fois-ci co-produit par Le Chat Qui Fume. Gageons qu'il soit aussi réussi et sensuel que l'est BLACKARIA...