Scott Pilgrim n'est pas le gars le plus pro-actif de Toronto. 23 piges, un groupe de rock pourri (les Sex Bob-omb), pas de boulot, une coloc' avec Wallace, son ami gay, et une relation très prude avec une lycéenne de 17 ans, Knives Chau. Sauf que voilà, Scott rencontre Ramona Flowers, mystérieuse jeune femme fraîchement débarquée de New-York, et son cœur ne fait qu'un tour. Bien qu'il parvienne à la séduire, un gros «mais» s'abat bien vite sur l'idylle naissante. Si la donzelle n'est pas contre quelques frottis-frottas, elle le met néanmoins en garde : pour rester avec elle, il devra vaincre ses 7 ex maléfiques, bien décidés à contrôler la vie amoureuse de Ramona.
Equation bien connue du milieu (mais souvent oubliée) : un gros fan ne fait pas forcément un bon critique. Donc, on va laisser le fan s'exprimer quelques lignes, et puis après, promis, ce sera intéressant. Prêts ? C'est parti :
Raaaah punaise c'est trop bien ce film ! Y a tous les trucs importants de la BD et c'est super bien fait. Wallace est cool ! Stephen Stills est mortel ! Ramona est trop bonne ! Et puis, oh purée comment ils sont réussis les ex ! Aaaaaaaaaah y a la musique de Zelda ! Oh oh oh le logo Universal en pixels et en musique 8 bits ! Scott Pilgrim c'est toi, c'est moi, c'est ton chien. Nous sommes tous des Scott Pilgrim (© Serge July) !
Voilà.
On connaissait Edgar Wright rigolard et efficace pour SHAUN OF THE DEAD et HOT FUZZ. Aujourd'hui, affranchi de son comparse Simon Pegg, il se frotte à un défi pas piqué des hannetons : comment adapter en un film d'une heure quarante l'hallucinante BD en six volumes de Bryan Lee O'Malley ? Bon, c'est sûr, on n'a pas affaire non plus à une densité scénaristique égale à celle d'un WATCHMEN par exemple, mais pour qui a parcouru les premiers tomes publiés en France, la gageure était de taille puisque Scott Pilgrim – le comics, c'est un peu la BD de tous les délires : déconstruction narrative et visuelle, fusion entre manga-BD-jeu vidéo et cinéma, règlements de comptes à coups de robots et de super pouvoirs, bref elle remplit amplement le cahier des charges de l'œuvre inadaptable. Et pourtant, Wright a réussi son pari en évitant le piège, fatal à Robert Rodriguez pour SIN CITY, de l'adaptation littérale au profit de l'interprétation. Effectivement pour réussir quelque chose qui se tienne en si peu de temps, le réalisateur a choisi de piocher ça et là des éléments du comics, de sacrifier des pans entiers de l'histoire au profit du fil conducteur : l'épopée de Scott pour gagner définitivement le cœur de sa belle. Et ce, avec une telle maîtrise et une telle sincérité que même le plus intégriste des fans ne pourra lui en vouloir, tant au final, le film se tient de bout en bout, épouse parfaitement le propos original et l'emmène même plus loin à certains moments. La difficulté majeure était bien entendu de trouver les bons acteurs pour incarner les personnages un brin stéréotypés mais tellement riches de l'univers de SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD. Encore une fois, challenge remporté haut la main, puisque Edgar Wright a su s'entourer des bonnes personnes, mieux il leur permet de se dépasser pour certains, et de s'éclater le temps d'une scène pour d'autres. Michael Cera (JUNO, SUPERGRAVE et BE BAD le mois dernier) campe un Scott Pilgrim sensiblement différent de son homologue papier mais livre une interprétation impressionnante pour un acteur qui se bornait à rejouer le même rôle depuis quelques années. Mary-Elizabeth Winstead (DESTINATION FINALE 3, BOULEVARD DE LA MORT, BLACK CHRISTMAS) est parfaite dans le rôle de Ramona Flowers, cette jeune femme à rollers décolorée cultivant le mystère, et confirme les attentes que l'on plaçait en elle. Bon, on n'assiste pas non plus à la naissance d'une très grande actrice, hein, mais elle est définitivement à surveiller.
Les seconds rôles ne sont pas en reste, puisque Kieran Culkin (LA MUSIQUE DE MON CŒUR) personnifie à merveille Wallace, le coloc' gay un brin désabusé, la petite nouvelle Ellen Wong est juste parfaite dans le rôle de Knives Chau, hystérique et naïve juste comme il faut. Quant aux fameux ex, une fois encore c'est tout bon. Quelle joie de voir Chris Evans (SUNSHINE, LES 4 FANTASTIQUES), Brandon Routh (SUPERMAN RETURNS) et Jason Schwartzman (RUSHMORE, FUNNY PEOPLE) se livrer à des contre-performances, incarner des enfoirés un brin stupides pour la plupart, avec un plaisir plus que communicatif.
Evidemment, SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD a ses défauts. On regrette par exemple que certains personnages ne soient pas plus développés (les jumeaux DJ par exemple, ou les membres du groupe Sex Bob-omb), quelques scènes de combats perdent en lisibilité, la faute à un montage ultra cut par instants. On note également une petite baisse de rythme dans la seconde partie du film, mais on lui pardonne aisément puisque ce qui suivra décroche la rétine. Pourtant, le gros point noir est paradoxalement ce qui fait son charme. SCOTT PILGRIM croule sous les références pop et geeks, construit sa narration autour, les utilisent, les détournent, ce qui le rendra malheureusement totalement hermétique pour un public qui ne baigne pas dans le jeu vidéo (plus période Zelda que Lara Croft), le manga, le cinéma de genre et la musique punk-rock. Néanmoins, ce serait une erreur de ne limiter ce film qu'à cet aspect puisque, en réalité, SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD raconte tout le contraire. Il fait un peu office de film terminal pour la génération proche trentenaire actuelle, il en reprend les codes, les auteurs en sont eux-mêmes issus, mais ne se borne pas à vous beurrer la tartine avec. Le but avoué est de présenter le portrait d'une génération angoissée de la vie, névrosée, se réfugiant dans une certaine forme de virtualité, mais qui, pour évoluer, n'a pas d'autre choix que de se confronter au monde réel voire, pire encore, de se responsabiliser. Bref, l'horreur intégrale.
Il ne fait, par contre, aucun doute que ce film ne marchera pas en salles. Trop décalé, trop fou, trop tout. Et c'est bien dommage, parce qu'il est très rare en ce moment de se retrouver face à une œuvre qui foute une patate du tonnerre, qui surprenne, qui émeuve, qui nous ramène à notre propre histoire et qui, une fois terminée, nous donne envie de gueuler dans le métro : «We are the Sex Bob-omb ! 1, 2, 3, 4 !»
Donc en décembre, entre le dernier HARRY POTTER et le prochain NARNIA, on bouge son cul, on achète une place et on va voir SCOTT PILGRIM VS. THE WORLD. Parce que, quelque part, nous sommes tous des Scott Pilgrim (©DeVilDead).