A Londres, de nos jours, un manège ambulant déploie sa scène escamotable et tente d'attirer les chalands. Mais ceux-ci ne sont pas attirés par cette attraction obsolète. Ils ignorent qu'il s'agit de l'Imaginarium du Docteur Parnassus, un immortel bienfaisant qui, au moyen d'un miroir magique, invite femmes et hommes à un voyage dans des univers fantastiques. Ces voyages se terminent par un choix délicat entre l'Illumination et la Damnation…
Dans la carrière hors du commun de Terry Gilliam, L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS arrive après une interruption de quatre années. 2005 a en effet vu sortir simultanément deux longs métrages du réalisateur : l'assez commercial LES FRERES GRIMM et le plus abscons TIDELAND.
Avec L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS, Gilliam effectue une sorte de retour aux sources. C'est la première fois depuis BRAZIL que l'ancien Monty Python revient tourner en Grande-Bretagne. Il renoue avec son complice scénariste Charles McKeown, collaborateur en compagnie duquel il signa ses deux plus belles réussites cinématographiques : BRAZIL et LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN. Produit dans une structure indépendante, L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS lui permet aussi de réunir une distribution internationale de qualité, dont Heath Ledger (déjà croisé dans LES FRERES GRIMM), le chanteur Tom Waits, ainsi que le vétéran canadien Christopher Plummer, vu dans L'ARMEE DES DOUZE SINGES.
Comme cela fut largement évoqué dans la presse en son temps, le décès de Heath Ledger stoppa net le tournage. Il fut alors question d'abandonner le film. Nous nous rappelons que Terry Gilliam avait du interrompre le tournage de THE MAN WHO KILLED DON QUIXOTE suite à une série de déconvenues rapportées dans le documentaire LOST IN LA MANCHA. Le même drame artistique faillit avoir lieu sur LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN, le film ayant été sauvé par le soutien inconditionnel de la Major Columbia. L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS sera finalement terminé, après un travail de réécriture et une astuce entraînant les métamorphoses de Tony, le personnage incarné par Heath Ledger, en trois autres figures interprétées par les vedettes Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrel.
L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS n'est pas qu'un retour aux sources pour son contexte de production. Il l'est aussi pour son travail visuel brassant des souvenirs de toute la carrière de Terry Gilliam. Les scènes oniriques renvoient aux séquences animées qu'il signa pour les Monty Python. Une séquence, en particulier, mettant en scène la Tentation de gangsters russes, semble sortir tout droit des oeuvres de la fine équipe ! L'esthétique rococo du théâtre bricolé nous renvoie à LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN, l'emploi de maquettes nous rappelle BRAZIL, les personnages marginaux vivant littéralement sous les ponts s'avèrent un écho de FISHER KING, les voyages dans des univers imaginaires divers et variés évoquent BANDITS, BANDITS...
Au sein de cette compilation visuelle, nous retrouvons aussi, intacts, les thèmes chers à Gilliam. A nouveau l'imaginaire est confronté à une réalité contemporaine d'une totale pauvreté spirituelle. Les mythes anciens (dieux antiques, légendes transmises oralement, Faust, la vie des Saints et leurs tentations...) sont laissés à l'agonie, tel ce docteur Parnassus de plus en plus isolé et amoindri par une société n'accordant aucun crédit à la magie et au merveilleux. Le docteur traverse une crise, une envie de renoncement, tel Munchausen lors de son séjour dans la baleine ou le personnage fantasque incarné par Robin Williams dans FISHER KING. Ces conteurs et magiciens sont pourtant essentiels aux individus, leur permettant de se découvrir en se confrontant à des univers magiques. L'analogie entre le manège de Parnassus et le cinématographe paraît alors, en ce sens, particulièrement évidente.
Nous l'avons vu, L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS a aussi été un film à la gestation tragiquement difficile. Sa seconde moitié a été à l'évidence très remaniée. Le personnage pourtant central de Tony, amnésique recueilli par la troupe de Parnassus, en devient confus. Ni ange, ni démon, Joker (!) inconstant dans la partie de cartes jouée par le Diable et Parnassus, sa description donne lieu à des épisodes moyennement convaincants. Qui plus est, si Johnny Depp prend le relais de Heath Ledger avec aisance. Nous ne pouvons pas en dire autant pour Jude Law et Colin Farrel. Il en ressort un film passant souvent du coq à l'âne, dont la cohérence et le rythme laissent dubitatifs, tandis que son dénouement manque de clarté.
Si l'on rajoute à cela des effets spéciaux numériques inégaux, ne s'insérant pas toujours avec bonheur dans l'univers de Terry Gilliam, L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS laisse sur une double impression étrange. L'impression agréable de retrouver un Terry Gilliam plus recentré que jamais sur son univers personnel, riche et inventif ; et l'impression d'un spectacle chaotique et inégal, jonglant difficilement avec la multiplicité de ses tons et de ses propos. Ne soyons pas trop sévère et sachons replacer les choses dans leur contexte : les difficultés de production de L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS ne sont sans doute pas pour rien sur les réserves qu'on peut émettre à son sujet...