Une jeune et belle femme, dont nous ne connaîtrons jamais le nom (le générique la surnomme «the girl»), s'immisce chez les gens en se faisant passer pour une voisine. Elle se met alors à torturer ses occupants sans raison apparente.
NEIGHBOR est le nouveau film d'un jeune cinéaste indépendant, Robert A. Masciantonio. Un nom encore peu connu de la scène fantastique malgré l'attention portée à son premier film COLD HEARTS, une histoire de vampires qui lui avait valu de remporter le grand prix du festival d'Atlantic City dans le New Jersey. Point de suceurs de sang dans ce nouvel opus, mais une relecture du film de torture. «Encore une !», soupirons-nous en ces temps écrasés par l'influence hardcore entre autres de la série SAW. Mais ne préjugeons pas trop vite. Oui, NEIGHBOR est un film décrivant des actes de barbarie parfois difficile à soutenir. Mais c'est aussi un film qui ne se contente pas de jouer la complaisance pour faire sensation. Grâce à son sens de la mise en scène, à des comédiens convaincants et à une écriture qui ne choisit pas la facilité, NEIGHBOR se dégage très nettement de la vague des «torture porn» ayant inspiré beaucoup (trop ?) de films d'horreur récents.
La première excellente idée du film vient du choix du bourreau. Loin d'être une brute épaisse, le malade mental de service prend les traits très séduisants d'America Olivo, une starlette déjà aperçue dans le remake de VENDREDI 13 de Marcus Nispel. Sexy en diable, la comédienne fait du yoyo avec son personnage. Elle est à la fois innocente et godiche, puis vénéneuse et cruelle. Ses changements d'état sont imprévisibles et nous laissent sans arrêt dans l'ambiguïté. Ses séances de torture sont ainsi longues et discontinues : elle martyrise un peu sa victime, puis s'arrête. Elle va se faire du café, revient discuter, avant de recommencer ses horreurs selon ses humeurs. Elle peut séduire sa victime entre deux abominations, puis s'arrêter en une fraction de seconde et s'écrier : «salaud, tu essaies de me violer !». Ce traitement très étonnant met mal à l'aise le spectateur autant que la victime : jusqu'où va-t-elle aller ? Quand va-t-elle se montrer douce ? Quand va-t-elle se montrer sanguinaire ?
Après un début un peu mollasson, le film décolle vraiment quand «the girl» entre dans la maison de Don (interprété par Christian Campbell), un jeune musicien sur le point d'organiser une fête chez lui. Une fois maîtrisé, elle va lui faire vivre les pires horreurs de manière crescendo : du rabotage de genoux à une tige en verre enfoncé dans un endroit si sensible que la séquence fit hurler tout le public du festival canadien de Fantasia où le film fut présenté. Masciantonio connaît ses classiques, en l'occurrence la scène finale de AUDITION de Takashi Miike. A l'instar de ce dernier, le cinéaste joue énormément avec la perception de la douleur chez la victime qui va dès lors s'évanouir régulièrement pendant son supplice. Don va s'endormir et se réveiller dans des espaces-temps différents, nous perdant complètement : qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Don est-il sauf et juste en train de revivre en flashback son martyr ? Ou bien s'évade-t-il psychologiquement alors qu'il est à l'article de la mort ?
Ce jeu du chat et la de souris, traité sous l'angle de la confusion mentale et de la perte des repères psychologiques, fonctionne à merveille et place fissa NEIGHBOR dans la catégorie des réussites du genre. On est dès lors happé par un récit à tiroir, qui abonde en rebondissements au fur et à mesure que les amis de Don viennent frapper à sa porte. Pour aller de pair avec ce souci d'écriture bienvenu, Masciantonio soigne sa mise en scène jusqu'à nous offrir deux plans séquences en steadycam à l'ouverture et à la fermeture du film. Une ambition à souligner pour un film à tout petit budget pour qui ce genre de coquetterie n'est d'ordinaire pas accessible.
On en attendait pas grand chose, et pourtant, force est de reconnaître que nous sommes vraiment emballé par NEIGHBOR, petit film certes mais provoquant de très fortes sensations. Les limites budgétaires se font bien entendu parfois sentir (notamment sur quelques cascades), mais cela ne doit entacher en rien un spectacle à la fois dur et intelligent, où l'humour vient également s'inviter au détour de quelques détails incongrus (comme lorsque «the girl» part en hystérie alors qu'elle vient de s'égratigner le bout du doigt avec un couteau de cuisine en préparant le dîner). Amoureux du genre, Masciantonio nous réserve quelques petits clins d'oeil sympas en baptisant tous les personnages du film avec des noms de famille évoquant des personnalités du fantastique (comme Carpenter, Landis, Hodder, Shaye ou encore Cunningham). Une pratique déjà vue, mais qui achève de rendre le jeune cinéaste sympathique en plus de se révéler prometteur. On attend bien entendu la suite de ses œuvres avec impatience.