Après l'excellent 7ème VOYAGE DE SINBAD de Nathan Juran, les frères King (producteurs du sympathique GORGO) voulurent probablement battre le tandem Charles Schneer/Ray Harryhausen en lançant le tournage de CAPTAIN SINDBAD juste après celui de JASON ET LES ARGONAUTES… D'ailleurs, les deux films seront distribués le même jour aux Etats-Unis, à savoir le 19 juin 1963 ! Comme il fallait bien contrecarrer le «Dynamation» alors en vogue, le distributeur du film (MGM) opta pour un ronflant «Wondra-Scope» qui n'était en fait qu'un renfort publicitaire, le film ayant simplement été tourné dans un standard 1.85:1. Les deux films possèdent en outre d'étranges similitudes, jusqu'à présenter chacun un hydre à plusieurs têtes et un dangereux passage maritime étroit où le bateau du héros tente de se frayer un chemin… ce qui n'est pas sans rappeler la méthode récente du studio The Asylum qui se précipite pour effectuer un TRANSMORFERS avant la sortie officielle de TRANSFORMERS. Rien ne se créé, rien ne se perd, tout se transmorfe.
Dans cette co-production germano-américaine, Sindbad combat le méchant El Kerim (Pedro Armendariz) qui possède une bague magique lui permettant d'asservir la population du Baristan. Il souhaite épouser la jolie princesse Jana mais le cœur de la belle appartient à Sindbad qui s'embarque dans une aventure afin de trouver le secret de l'immortalité d'El Kerim.
Byron Haskin, ancien spécialiste des effets spéciaux et directeur photo devenu réalisateur, est une valeur sûre du film de genre dans les années 50. Il se fera assez vite un nom dans le domaine de l'aventure avec sa version de L'ILE AU TRESOR (et sa suite LONG JOHN SILVER, toujours avec Robert Newton), MAN-EATERS OF KUMAON ou TARZAN'S PERIL. Mais c'est LA GUERRE DES MONDES qui va asseoir sa réputation. Il enchaînera alors avec QUAND LA MARABUNTA GRONDE, LA CONQUETE DE L'ESPACE, DE LA TERRE A LA LUNE… L'espace semblant lui porter chance, il continuera avec brio dans son original ROBINSON CRUSOE SUR MARS pour terminer sa carrière cinéma avec LA GUERRE DES CERVEAUX, toujours produit par George Pal. Un vrai sens de l'utilisation judicieuse des effets spéciaux allié à une solide présentation des personnages à l'écran. Pas un style reconnaissable entre tous, mais un technicien solide, amoureux du détail et un spécialiste du genre.
Malheureusement avec CAPTAIN SINDBAD (notez l'orthographe différent du film de Nathan Juran), la production des frères King ne lui apporte pas la pleine puissance des moyens espérés. Le tournage dans le studios Bavaria à Munich donnent le ton... Hauteur et largeur de deux décors du palais, richesse des couleurs, des costumes sont imposants mais le manque de tournage en extérieurs (ce qui faisait la richesse de JASON ET LES ARGONAUTES, par exemple) et l'exiguïté de certains décors intérieurs manquent de profondeur en trahissant un budget que l'on sent parfois étriqué. Le manque d'ampleur de l'ensemble prend régulièrement ses aises. Le dernier tiers se déroulant dans une «jungle luxuriante» sent le décor sur fond bleu avec mélange de plantes réelles et plastifiées multicolores. On sent la volonté de masquer le tout, la multiplication des points de vue, les travellings latéraux à différents endroits lors de l'avancée dans les marais... Mais le côté kitsch prend le dessus et même pour un compte des Mille et Une Nuits, c'est l'esprit «B» qui prend le dessus de manière imparable. Heureusement qu'Haskin sait mettre en valeur une multitude de détails, à la fois dans les effets spéciaux et l'attachement aux décors pour apporter un peu d'épaisseur à un récit qui patine méchamment.
Le scénario fait de bric et de broc tente de pêcher des éléments ça et là. Les œuvres féériques pullulaient sur les écrans cinéma dans les années 50/60, et des succès récents comme le 7ème VOYAGE DE SINBAD, JACK LE TUEUR DE GEANTS, LE VOLEUR DE BAGDAD d'Arthur Lubin ou encore LES MILLE ET UNE NUITS de Henry Levin et Mario Bava conduisirent les scénaristes à piocher dans des univers aussi divers que le peplum, les films de pirates ou autres bandes d'aventures arabisantes. Douglas Fairbanks Jr, Kerwin Matthews, John Philip Law, Patrick Wayne, Lou Ferrigno… la liste des interprètes du fameux marin oriental est longue. Avec Guy Williams en tête de distribution, le public retrouve une figure connue puisqu'il incarne le héros de la très populaire série ZORRO. Et comme dans la série, les scénaristes lui attribuent donc un faire-valoir muet pour l'occasion. On peut parler d'opportunisme de bon aloi.
En plus de Guy Williams, le casting s'offre les services de la teutonne Heidi Brühl alors star en Allemagne. Actrice dans l'excessivement populaire série familiale initiée en 1955 par DIE MADELS VON IMMENHOF (et ses cinq séquelles !) et représentante du concours Eurovision de la Chanson en 1960 avec ce qui fut un énorme tube local, elle était donc l'incarnation idéale pour cette production filmée à Munich. Hélas, elle s'y révèle une bien piètre interprète qui surjoue sous la voilette. Pour le côté people de cette chronique, elle fut l'épouse de Brett Halsey. Vive le petit monde du Bis européen ! Il est également étonnant de remarquer la présence de Maurice Marsac dans le rôle d'Ahmed. Cet acteur relativement peu connu fait partie du patrimoine cinématographique mondial en étant devenu aux Etats-Unis synonyme du maître d'hôtel par excellence. Il fut cantonné (et excella) dans ce rôle à travers des films comme CAPRICE, UN VRAI SCHNOCK (et sa suite TV), DRAGNET ou les séries WONDER WOMAN, L.A. LAW, L'AGENCE TOUT RISQUE, SOAP, NIGHT COURT… et le français de service dans d'innombrables films et séries anglo-saxonne. Une valeur sûre, là aussi et il fallait lui rendre hommage en la matière. Quant aux autres interprètes, ils occupent avec véhémence leur statut-cliché respectif : le sorcier alcoolique (Abraham Sofaer qui roule des yeux comme pas permis), le colonel à la botte du méchant (Helmuth Schneider à la barbiche taillée pour l'occasion) ou Quinius, le valeureux soldat muet de Sindbad courageux et tout et tout… (Bernie Hamilton, 12 ans avant son rôle de commissaire hargneux dans la série STARSKY ET HUTCH).
Une des publicités de l'époque promettait «326 effets visuels» aux spectateurs. Près de 50 ans après, force est de constater que le film soutient mal la comparaison avec les œuvres de Ray Harryhausen. CAPTAIN SINDBAD s'adresse en premier lieu à un très jeune public mais abonde, en effet, de divers trucages, qu'il s'agisse de reconstitutions miniatures, d'effets optiques ou de reconstitution à taille réelle de monstres et autres décors éruptifs. A l'instar de GORGO, le choix d'effets exécutés devant la caméra prime pour les créatures. A ceci près qu'on distingue assez nettement les câbles qui manipulent les douze têtes l'hydre, tout comme ceux des énormes crocodiles. Si les rapaces géants font illusion, certaines maquettes, comme celle du bateau, peinent à traduire un semblant de réalisme. Pour le reste, qu'il s'agisse d'explosions, de simulation de tempêtes multicolores ou de transmutations flamboyantes, on sent un amour du travail artisanal qui, même s'il se trouve à cent coudées au-dessous d'une œuvre à la Ray Harryhausen, fleure bon la volonté de créer un univers merveilleux via toutes les techniques étant à la disposition d'une petite compagnie de production (animation image par image mise à part). La production a misé sur l'abondance, peut-être trop au regard de la qualité variable de l'ensemble.
Byron Haskin sait en ce sens privilégier les effets pour le spectateur. Voir la séquence directement inspirée des jeux du cirque gallo-romains où Sindbad affronte un monstre invisible dont les seuls traces de pas gigantesques dans le sable, les étincelles vertes et ses grognements laissent deviner le danger… Ce qui n'est pas non plus sans rappeler par ailleurs la créature de PLANETE INTERDITE ! L'évolution du combat est de ce fait menée de manière frontale, dotée de plusieurs mouvements de caméra et offrant une illusion quasi parfaite. Autre trouvaille et réalisation réussie, la main gantée géante et pivotante qui garde la précieuse relique, celle-ci se permet même un signe négatif de l'index à Sindbad afin de le dissuader de s'approcher du cœur d'El Kerim ! L'ensemble est également soutenu par une partition solide du français Michel Michelet (avec qui Haskin collabora déjà sur TARZAN'S PERIL), dont certaines mélodies empruntent quelques mesures de deux des compositeurs du groupe des Cinq, à savoir Rimsky Korsakov et Alexandre Borodine (Les Danses Polovstiennes), entre autres.
A noter que les effets spéciaux sont effectués par des héros de l'ombre. A savoir Tom Howard, Augie Lohman et Lee Zavitz. Tom Howard n'est pas vraiment un inconnu. Il participa à l'élaboration des effets optiques de GORGO et également aux effets photographiques de TOM POUCE, LA KERMESSE DES AIGLES ou encore LA MAISON DES DAMNES. Tandis qu'Augie Lohman, nominé aux oscars des meilleurs effets spéciaux pour THE LAST VOYAGE en 1961, s'occupa des effets visuels, tout comme pour THE MAZE, SOLEIL VERT ou encore THE MONSTER THAT CHALLENGED THE WORLD. Enfin, Lee Zavitz, spécialiste en pyrotechnique célèbre chez les cinéphiles pointus pour les effets spéciaux de DESTINATION LUNE pour lesquels il remporta un Oscar. Aucun d'entre eux n'obtienbra le quart de la moitié de la célébrité du grand Ray Harryhausen, mais furent en charge de nombre d'effets visuels qui bercent notre cinéphilie fantastique (et au-delà).
CAPTAIN SINDBAD reste au final un spectacle merveilleux et naïf gorgé d'effets spéciaux en tous genres qui raviront d'abord l'enfant qui sommeille en chacun d'entre nous (où à défaut les enfants qui verront le film). Si l'on est doué du sens de l'indulgence, le film passera pour une aimable série B ayant le bon sens de posséder un montage serré, de privilégier l'action à la logique et de faire la part belle aux rebondissements, costumes chatoyants et décors démesurés. Mais en tous les cas, un vrai glissement progressif vers les matinées enfantines. L'adulte non avisé verra les choses de manière beaucoup plus sévère.
D'un point de vue technique, la copie présentée est très décevante. Si cette édition respecte le format original et la présence d'un transfert 16/9ème reste appréciable, il semble clair que peu d'efforts ont été effectués. Des traces de griffures blanchâtres, des rayures (visibles pendant la scène de l'arène) apparaissent ça et là. Les couleurs resplendissent par moments et l'on peut apprécier le travail sur les codes couleurs ou bien les efforts sur les décors et costumes. Mais la définition de la copie demeure hélas bien médiocre. Une compression plutôt laide, du grain, des effets de moirage... sans parler du fait qu'il n'existe aucun menu à proprement parler, pas d'accès par chapitre : on prévient gentiment juste que les chapitres sont «toutes les 10 minutes». En fait, le menu fixe est identique pour tous les films de la collection Warner Archive. Le seul détail qui diffère est la présence (ou l'absence) d'un film annonce. CAPTAIN SINDBAD profite du traitement «luxe». Vu le prix demandé à l'achat, cela frise presque (soyons fous) le foutage de gueule.
Pour le reste, le film est agrémenté d'une piste sonore en anglais mono sur deux canaux au diapason de la copie. A savoir un rendu médiocre, parfois étouffé. Aucun sous-titre à l'horizon… une édition minimaliste qui donne cependant la chance de voir le film dans les meilleures conditions existantes (il faut savoir qu'il s'agit de ce même master qui est diffusé à la télévision américaine actuellement). Ce sera aussi toujours mieux que la VHS française titrée CAPITAINE SIMBAD (l'orthographe change encore une fois !) éditée il y a quelques années chez «Eliot Communications et Services» dans une édition quelque peu douteuse. A noter qu'il est uniquement possible de trouver CAPTAIN SINDBAD, comme le reste de la collection à laquelle il est rattaché, sur le site internet de la Warner qui n'autorise le film qu'en VOD ou en DVD - envoyé uniquement sur le territoire américain. Il existe par ailleurs un DVD thaïlandais avec un mixage en 5.1 mais qui est uniquement plein cadre.