Pour subvenir aux besoins de sa famille mais aussi par envie de quitter son village natal, Memo se rend à Tijuana et s'installe dans une chahute abandonnée d'un bidonville. Là, il devient l'un des travailleurs d'une usine de travail virtuel. Connecté au réseau, il dirige à distance un robot de construction aux Etats-Unis…
D'origine américano-péruvienne, Alex Rivera explore assez tôt le thème de l'immigration hispanique aux travers de courts-métrages et documentaires. Féru de science-fiction et d'internet, il parle déjà en 1997 d'une main d'œuvre travaillant aux Etats-Unis sans pour autant traverser la frontière américaine dans WHY CYBRACEROS?. Son premier long métrage, SLEEP DEALER, va ainsi reprendre cette idée tout en développant divers problèmes géopolitiques et sociaux de manière à développer un véritable univers. Comme beaucoup de cinéastes de sa génération, Alex Rivera a grandi en découvrant le cinéma anglo-saxon de STAR WARS à BLADE RUNNER en passant par BRAZIL. Alors évidemment, SLEEP DEALER ressemble par certaines de ses idées à d'autres métrages de science-fiction. Par exemple, l'installation des «nodules» dans des hangars crasseux et par des mécanos d'un nouveau genre peut éventuellement faire penser au EXISTENZ de David Cronenberg. Il serait possible d'extirper au forceps d'autres références de ce métrage évoquant beaucoup la réalité virtuelle.
Mais Alex Rivera a parfaitement digéré son sujet et conserve sa propre identité en ne cherchant pas à aligner de vains hommages. SLEEP DEALER est, à l'arrivée, un démarquage très réussi d'une histoire dramatique se déroulant dans un cadre futuriste. Mais le futur vu par Alex Rivera s'avère particulièrement sombre pour les pays pauvres. Malgré une technologie permettant de rapprocher toujours plus les individus virtuellement, les pays sont enfermés derrière des frontières paradoxalement imperméables. Les voyages entre pays semblent même devenus un peu rares, ce qui sera rapidement sous-entendu lorsque l'un des personnages passe un poste frontière désert où le douanier tient plus du soldat défenseur d'une menace invisible. La paranoïa des Etats-Unis est au passage très nettement mise en exergue en nous exposant des mesures anti-terroristes très extrêmes et sans véritable fondement. Nation dominant manifestement au moins le continent dans SLEEP DEALER, l'Amérique est aussi dépeint comme contrôlant les ressources naturelles et asséchant toujours plus les pays pauvres pour les garder dépendant. Ce futur d'anticipation mis en place par Alex Rivera n'oublie pas, bien sûr, de mettre en avant des émissions de télé réalité et programmes violents faisant la part belle à une propagande bourrage de crâne.
Particulièrement riche en ce qui concerne les thèmes abordés sur les relations entre pays pauvres et tiers monde, SLEEP DEALER ne s'arrête pas en chemin et pousse son exploration d'un futur où l'univers virtuel raccorde tout le monde. On retrouve donc la main d'œuvre à bas prix délocalisée dans d'autres pays et qui dirige à distance des robots pour mener à bien diverses tâches : garde d'enfants, construction ou agriculture… Le contraire, avec les drones militaires, est aussi, bien sûr, mis en avant par Alex Rivera dans son film. Quelque part très proche des vidéos mis en ligne ou encore de STRANGE DAYS, le cinéaste parle aussi d'un marché monnayant des souvenirs téléchargés sur un réseau. Le film regorge d'autres concepts parfois étranges et extrapolant sur une humanité entièrement branchée à des espaces virtuels en toutes circonstances à l'instar d'un musicien jouant d'un instrument qui n'existe pas dans un bar. SLEEP DEALER s'avère donc carrément chargé d'idées mais il n'en oublie pourtant pas de raconter une véritable histoire. Son personnage principal n'a rien à voir avec les héros habituels de ce type de film puisqu'il s'agit d'un jeune mexicain issu d'un milieu agricole et passionné de technologie. C'est au travers de son voyage, de ses terres natales jusqu'aux usines virtuelles de Tijuana, que le monde de SLEEP DEALER nous sera dévoilé sans que le métrage ne tombe dans le pamphlet présomptueux. C'est d'ailleurs l'une des grandes qualités de SLEEP DEALER. Le métrage n'est pas pour autant sans quelques petites anicroches telles que son final ou bien quelques soucis dans la mise en images. Car si SLEEP DEALER est un film particulièrement bien pensé, Alex Rivera ne dispose pas des mêmes budgets que ceux des grandes productions américaines. Les images de synthèse du film ont un rendu artificiel très évident. Enfin, le cinéaste applique diverses techniques de montage qui pourront être assimilées à des gimmicks gratuits. Néanmoins, ces effets un peu «vidéo clip» donnent assurément un rythme et un ton bien particulier à ce SLEEP DEALER que l'on vous recommande chaudement !
Curieusement, lors de sa sortie dans les salles françaises, SLEEP DEALER s'est vu attribuer une affiche totalement différente de l'originale par son distributeur, La Fabrique de Film. Ne misant plus vraiment sur la science-fiction mais au contraire sur le côté «film d'auteur» du métrage. Cela ne s'est probablement pas avéré payant puisque SLEEP DEALER est passé quelque peu inaperçu. Avec sa sortie en DVD, c'est donc l'aspect «cyber» qui reprend le dessus avec son personnage vu de dos et câblé. Espérons que cela suscitera un nouvel intérêt pour un film très enthousiasmant. En tout cas, le DVD édité par Pathé offre le film dans son format cinéma respecté avec un transfert 16/9 très honnête. Tourné avec un petit budget et avec de nombreuses modifications numériques, le rendu n'est certainement pas ce que l'on a pu voir de meilleur mais offre, en tout cas, une image chaleureuse et bien dans l'esprit de SLEEP DEALER. Il est possible de choisir entre la version originale espagnole (avec des passages en anglais) sous-titrée en français ou bien le doublage français. Ce dernier n'étant pas très convaincant d'un point de vue artistique et il sera donc préférable d'opter pour la version originale. Les deux pistes sont présentées avec des pistes en Dolby Digital 5.1 qui assurent une sonorisation de qualité mais restant très sobre en dehors de quelques passages.
Une interview du réalisateur est annoncée sur le menu des suppléments. Un bonus qui est un peu ridicule au final. En réalité, il s'agit d'un petit sujet consacré au film et issu d'une chaîne de télévision française. Voix off en français, bouts d'extraits et interventions d'Alex Rivera dépasse à peine les deux minutes. Dommage car il est évident qu'un film tel que SLEEP DEALER ouvre la porte à de nombreuses possibilités. Ce ne sera pas le cas puisqu'une fois ce petit document passé, il ne reste plus qu'à visionner la bande-annonce du film et celle d'un autre métrage de l'éditeur ainsi qu'une petite galerie de photos.