La nouvelle vague venue du froid est bien là. Il n'y a pas qu'en Scandinavie que le film de genre prend son essor. L'Islande met également la main à la pâte. Entre la comédie fantastique ASTROPIA, champion du box,office islandais en 2007, le conte fantastique DUGGHOLUFOLKIÐ, voici le thriller fantastique KÖLD SLOÐ (titre d'exploitation international COLD TRAIL, qu'on peut traduire par «Piste glacée» en français au regard du film).
Baldur (Þröstur Leó Gunnarsson) un journaliste peu scrupuleux, découvre par hasard l'identité de son père. Il vient de mourir accidentellement dans un barrage perdu au fin fond de l'Islande. Sa collègue chargée de couvrir l'événement (Anita Briem – VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE 3D) lui indique par ailleurs que ce barrage est réputé hanté depuis un décès datant d'une trentaine d'années. Et que toutes les caméras de surveillance étaient inexplicablement hors service au moment de la mort. Afin d'en savoir plus sur son père, il se fait engager en qualité de surveillant du barrage. Mal accueilli par ses collègues, il découvre toutefois que son père a bien été assassiné. Tout comme il sent une étrange présence autour de lui.
Selon l'un des personnages, un tiers des islandais croient aux fantômes. Même si la narration met clairement en avant ce fait, sa présence véritable demeure plus que nébuleuse tout au long du métrage qui s'oriente clairement vers un thriller tendance «whodunit». D'ailleurs, la clé de l'énigme apparaîtra dans les toutes dernières minutes du film ! Ou tout du moins l'une des énigmes, car le scénario de KÖLD SLOÐ réussit à faire d'une situation simple en surface toute une série d'intrigues enfouies depuis des décennies. En effet, le scénario s'avère plus complexe au fur et à mesure qu'on avance dans le film. Un peu comme si les surfaces glacées, lisses en surface, recouvraient des éléments moins innocents qu'en apparence.
Le premier atout du film : ses paysages. Malgré un budget que l'on sent relativement faible comparé aux thrillers européens ou américains, la camera tire très bien parti des magnifiques étendues désolées enneigées. De longs travellings latéraux lors des scènes avec les motoneiges, en passant par les sources chaudes, jusqu'à l'arrivée au glacier où sont entreposés une série de cadavres inattendus. L'identité islandaise du film ne fait aucun doute, hormis la langue parlée. Toute une série d'événements et de retournements de situations se déroulent devant nos yeux de manière assez peu ordinaires en nos contrées. Les personnages trouvent une source d'eau chaude au milieu de la campagne enneigée ? C'est pour y sauter dedans la scène d'après afin de se prélasser. On y parle de trafic de viande de rennes, de chasses interdites, de seule liaison par bus pour rallier l'ensemble des villes du pays (il n'y a en effet aucun train en Islande, par exemple)… le dépaysement est radical.
Le réalisateur Björn Br. Björnsson vient du documentaire et KÖLD SLOÐ est son premier film de fiction. La séquence pré-générique donne le ton : entre cinéma-vérité, fiction et reportage, il privilégiera la caméra à l'épaule. Nous avons donc droit à de multiples scènes où la caméra tressaute derrière les personnages puis vire à la caméra subjective. A terme, le procédé est un peu agaçant. D'autant plus que certaines scènes paraissent plaquées afin de provoquer un «frisson» (Baldur face à la première «apparition» dans les sous-sols) qui tombe à plat. D'autant plus que Björnsson colle au scénario, à savoir qu'il privilégie pendant une bonne partie du métrage l'enquête policière à l'environnement fantastique. Ce dernier trouvera son essor et son implication scénaristique dans le dernier tiers. Non que cela soit déplaisant : le suspense est habile, les multiples intrigues imbriquées les unes dans les autres fonctionnent et le spectateur s'avère perdu quant aux réelles motivations de chacun des protagonistes. En fait, le scénario revêt une approche que Dario Argento aura empruntée dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, à savoir que l'élément révélateur de l'intrigue est présenté au spectateur sans que celui-ci n'y fasse attention. Avec beaucoup moins de talent dans le cas présent, mais la mécanique demeure similaire. Mais nous sommes très loin d'un giallo.
L'image privilégie des teintes assez brutes. Les pérégrinations en sous-sol se traduisent par une lumière verte blafarde. Les scènes dans le barrage, dans les locaux du journal ou de la police privilégient des couleurs à forte dominance métallique. Il n'y a guère que les scènes d'intérieur chez Freyja (Elva Ósk Ólafsdóttir) qui offrent des teintes chaudes et tempérées, comme seul abri offert à Baldur qui a pénétré un univers déshumanisé. Il s'agit d'ailleurs de la rencontre de deux êtres perdus. Elle s'occupant de sa mère handicapée suite à un accident et lui handicapé de la vie, incapable de se lier avec qui que ce soit. Mais comme le film offre une approche protéiforme (policier, drame, fantastique), aucun détail de chaque intervenant dans l'histoire n'est laissée au hasard. Entre l'aspect ouvertement social du film et son caractère fantastique, la mise en scène privilégie la description de relations humaines toujours en rapport avec la difficulté géographique du lieu. Ainsi le scénario place ouvertement le personnage de Freyja comme étant la «gardienne» de l'ensemble. Tout d'abord de sa mère du fait de son «accident» qui va se révéler tout autre. Puis du personnel du barrage, dont elle apporte nourriture et colis pendant la période hivernale. Puis enfin de Baldur, mis à part à la fois du groupe et en expérience amoureuse. Tout en focalisant sur la solitude de Freyja, sa condition de femme seule à tenir une ferme face à l'adversité générale, au milieu de nulle part.
L'aspect fantastique rôde sur l'ensemble du métrage mais le réalisateur choisi délibérément de ne pas le mettre en avant. Il s'agit d'une légende (un mort pendant la construction du barrage hanterait les alentours), qui fait partie du folklore local. Cette présence n'est jamais identifiée ou représentée comme les fantômes que nous connaissons (forme spectrale ou transparences diverses). Pourtant, malgré cette quasi-absence et sans révélation tonitruante, elle aura son importance capitale.
Les scènes d'actions, concentrées sur le dernier tiers du film, s'avèrent lisibles : pas de surdécoupage, de montage épileptique. La dynamique des scènes est créé d'abord par la mobilité de la caméra digitale. Souple et régulièrement collée à l'action, aux regards, elle donne toutefois l'impression de trop bouger. On sent bien que le réalisateur souhaite axer son point de vue sur cette caméra qui suit en permanence ses personnages, mais sans céder à la facilité de la «shakycam» qui parasite bon nombre de films récents, les derniers plans, en accord avec l'action à l'écran, se révèlent un vrai soulagement pour l'œil.
En conclusion, ce premier long-métrage de fiction de Björn Br. Björnsson reste une intéressante tentative de thriller fantastique islandais, ce qui est assez peu courant dans cette contrée. Dont, hormis Baltasar Kormákur nous connaissons relativement mal le cinéma et, à foriori, le cinéma fantastique. KÖLD SLOÐ ne révolutionne pas le genre mais possède suffisamment de personnalité et d'originalité pour emporter l'adhésion.
Le transfert du DVD se révèle d'une qualité assez médiocre. Il reste sombre tout au long du film, avec des contrastes parfois laids et comme sous-exposés. On se prend à se demander si le problème ne vient pas du format de tournage mais une compression aléatoire semble indiquer quand même que le travail n'est pas optimal. En tous cas, le tout est peu agréable à l'œil. La piste sonore en Dolby Digital 5.1 islandaise offre par contre un univers multicanal surprenant. Un travail intéressant a été effectué sur chaque canal, y compris pour les heureux possesseurs d'un caisson de basse. Précisions et multiplicité des effets sonores, une musique peu envahissante laissant la part belle à l'atmosphère créée par la nature même de l'endroit où les scènes sont tournées. La présence d'une autre piste islandaise en stéréo n'apporte rien de plus. A noter la présence de sous-titres anglais amovibles, comme pour 95% des DVD produits sur le territoire islandais.
Toutefois, pour les spectateurs qui ne parlent pas couramment l'islandais, la vision des bonus va se révéler très délicate, puisque aucun d'entre eux n'est sous-titré. Comme la quasi-totalité des éditions de films islandais parues sur le marché DVD (aucun Blu-Ray en vue, aussi). Seule une des trois bandes-annonces offre des inter-titres anglais (il s'agit probablement de la bande promotionnelle internationale). Il faut déjà se frayer un chemin dans les choix offerts par le menu (peu) animé et savoir que «Aukaefni» signifie «Bonus». Autre frustration : le commentaire du réalisateur et des deux acteurs principaux, là aussi sans sous-titres explicatifs. Vraiment dommage, car cette édition présente aussi un making-of non pré-formaté comme ils le sont pour la plupart aujourd'hui. Interviews sur le tournage, scènes «prises sur le vif» qui témoignent de la rudesse du tournage quant aux conditions météorologiques, entre autres. Mais qui montrent aussi toute la différence entre la lumière naturelle du tournage et les scènes présentes dans le film : un long travail de post-production et un soin unique apporté aux détails et à la lumière. Et que les techniciens ont parfois recours au système D pour les effets spéciaux in situ et autres mouvements de caméra en pleine scène d'action sous la neige et en pleine nuit ! Seul l'acteur danois Lars Brygmann s'y exprime en anglais à deux reprises à propos de sa présence dans le film – ces passages sont sous-titrés en islandais.