Un professeur de littérature de l'université de Cambridge va devenir la réincarnation d'Aleister Crowley à la suite d'une expérience de réalité virtuelle manquée. Afin de sceller cette résurrection, le célèbre sorcier doit, dans les trois jours qui suivent son retour, procéder à une cérémonie occulte : les «noces alchimiques» («Chemical Wedding»).
Aleister Crowley est une figure contemporaine dont l'aura a fortement marqué plus que son époque, et ce même des décennies après sa mort. Ecrivain, poète et philosophe, il sera surtout connu pour son goût de la provocation (à une époque très pudibonde) et sa fascination pour les sciences occultes. Ses frasques et sa propension à créer la controverse lui permettront même d'obtenir le qualificatif de «Wickedest Man in the World» (personne la plus perverse du monde) selon la presse britannique de l'époque. Mort en 1947, son influence s'étend jusque dans les années 60 et 70, où son côté sulfureux et libertaire inspirera diverses personnalités, qu'il s'agisse de courants philosophiques, occultes ou même musicaux (ses admirateurs vont des Rolling Stones à Led Zeppelin, en passant entre autres par les Beatles, Ozzy Osbourne, Charles Manson et L. Ron Hubbard). C'est cet aspect «Sex, Drugs & Rock'n'roll» mâtiné d'occultisme qui va fasciner Bruce Dickinson, le chanteur du légendaire groupe de heavy metal britannique Iron Maiden. Plusieurs paroles dans la discographie de la Vierge de Fer, ainsi que quelques morceaux de la carrière solo du chanteur sont consacrés ou font référence à la vie et aux écrits de Crowley. Artiste talentueux aux multiples facettes (parolier, compositeur, mais aussi escrimeur, écrivain, animateur radio et pilote de Boeing !), Dickinson a bien vite l'envie de faire un film sur la vie du sorcier britannique. Si les premiers scripts datent d'une bonne quinzaine d'années, c'est sa rencontre avec Julian Doyle lors du tournage du clip «Can I Play With Madness ?» d'Iron Maiden en 1988 qui l'incitera à réaliser son envie de cinéma. Ancien collaborateur des Monty Python (monteur sur LIFE OF BRIAN et LE SENS DE LA VIE, superviseur des effets visuels sur SACRE GRAAL) puis de Tery Gilliam en solo (superviseur des effets visuels sur BRAZIL et BANDITS BANDITS) et de Terry Jones en solo aussi (réalisateur de seconde équipe sur ERIK THE VIKING), Julian Doyle signe ici son second film, après un LOVE POTION en 1987 passé inaperçu, et quelques vidéos clips (pour Iron Maiden donc, mais aussi Kate Bush).
CHEMICAL WEDDING se base sur un scénario qui accentue l'aspect mystérieux et controversé (probablement fantasmé) d'Aleister Crowley, un sujet bien potassé par les co-scénaristes visiblement puisque les références à la vie du célèbre personnage foisonnent au cours du récit. Le but avoué était de faire un film non pas sur ce qu'a fait Crowley (envisagé un temps, le projet d'un film d'époque fut abandonné car jugé trop onéreux), mais sur ce qu'il aurait fait s'il se réincarnait à notre époque. Un sujet ambitieux donc, qui réclame un scénario solide, notamment dans ses références occultes. Ainsi, outre les faits historiques relatifs à l'existence de Crowley, le script met en perspective diverses situations faisant référence à des cérémonies occultes, des rites maçonniques, des théories mathématiques ou philosophiques ainsi qu'à des citations littéraires extraites des écrits de Crowley voire même de Shakespeare, le personnage principal étant à la base un professeur de littérature anglaise classique. Ce CHEMICAL WEDDING donne l'impression d'un heureux mélange qui enrobe un récit d'une grande simplicité avec un discours ésotérique plutôt solide et crédible car très bien documenté.
Plutôt qu'un pur film d'horreur, il s'agit ici d'un film d'épouvante se réclamant d'oeuvres plus classiques comme l'obscur THE MAGICIAN de Rex Ingram (tiré d'un roman de W. Somerset Maugham où le personnage principal est largement inspiré par Aleister Crowley !) dont il reprend les noms de personnages ainsi qu'une partie de la trame principale, ou bien l'illustre RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR de Jacques Tourneur, auquel il emprunte même une scène d'hypnose. Le film lorgne toutefois beaucoup plus vers les grandes heures du cinéma de genre britannique des années 70, dans la catégorie science-fiction teintée d'occultisme (L'ESCLAVE DE SATAN de Norman J. Warren, ou THE WICKER MAN de Robin Hardy). A l'instar de ces films maniant un mélange d'érotisme et d'ésotérisme, le film de Julian Doyle accumule les scènes volontairement scabreuses et baroques, toujours en rapport avec le caractère transgressif du personnage principal, qui apparait ici particulièrement vulgaire et outrancier. Un Aleister Crowley incarné par deux acteurs qui rendent justice à la réputation scandaleuse du personnage. Dans un premier temps, John Shrapnel incarne un Crowley particulièrement angoissant et aux portes de la folie dans une séquence d'ouverture marquante qui figure sa mort en 1947. Puis, Simon Callow se charge d'incarner la version «moderne» du sorcier, livrant une interprétation très cabotine mais en rapport avec la grandiloquence du personnage, ne reculant aucunement dans son interprétation, surtout lors des scènes les plus osées. Une composition tout en exagération, qui permet au personnage d'être crédible et redoutable, se révélant être une menace permanente et imprévisible pendant tout le film, grâce au talent de l'acteur qui est l'une des principales qualités du film.
Si le mélange d'occultisme et d'érotisme est plutôt audacieux, il est aussi parfois bancal, se voulant sulfureux mais échouant souvent dans ses effets. Bien entendu, le manque de moyens est en cause : le "production design" s'avère assez pauvre et les effets spéciaux très limités. Toutes ces contraintes sont reconnues par le réalisateur dans le commentaire audio du DVD, et généralement compensées par un système D plutôt malin (comme, par exemple, avec l'emploi de phares de vélo pour produire un éclairage intermittent). Toutefois, outre ces problèmes de logistique bien compréhensibles, certaines scènes posent un vrai souci artistique. Le film semble être fait dans un amateurisme embarrassant, sans véritable recul, rendant certains aspects du métrage assez grotesques et loupés, au lieu de susciter le malaise (notamment au cours d'une scène d'orgie plutôt gênante, ou lors de la représentation de la réalité virtuelle). L'utilisation de la musique s'avère aussi parfois un peu malheureuse, et l'emploi de chansons à succès d'Iron Maiden se montre bien trop opportuniste et inutile. De plus, au fil du récit apparait un vrai problème d'écriture qui rend le film confus et trop verbeux : dialogues qui «étalent sa science» au mépris de la compréhension du spectateur, multiplication des clins d'œil littéraires, mathématiques (!) et musicaux qui peuvent paraître obscurs et empêchent à tout un chacun d'accéder aux subtilités d'un script pourtant fignolé dans ses références. Est-ce les problèmes inhérents au «syndrome du premier film» ou le manque de recul vis à vis de son sujet, CHEMICAL WEDDING reste assez hermétique et laisse hélas par moment la regrettable impression d'un film fait «entre amis et pour des amis» ce qui nuit un peu à son impact. Si la vision artistique ne se discute pas, ici elle apparaît par trop personnelle et pas forcément des plus heureuses. Au delà de ses scories, reconnaissons que le film s'avère au final plutôt très sympathique, son intégrité ne saurait être remise en cause dans le sens où ses auteurs n'ont pas reculé face à leur propos sans forcément chercher à racoler et réaliser une «oeuvre facile». Le métrage est visiblement surtout portée avec enthousiasme par ses géniteurs (et son acteur principal !), dont le travail de documentation impose le respect, à défaut d'être efficace sur toute sa durée. Une initiative à louer pour un film qui finalement évite d'être trop polissé pour devenir encore un peu plus sincère.
Contrairement à ce qui est spécifié sur la jaquette, l'édition DVD parue en France chez Universal est très fournie. De plus, elle s'avère techniquement au point en proposant le film dans son format respecté et avec un transfert 16/9. Toutefois, la piste audio de la version originale anglaise apparait parfois un peu faible, quelques lignes de dialogue sont peu audibles (comme lors de la scène d'ouverture) et les sous-titrages prennent donc le relai. Mais, globalement et malgré tout, la retranscription audio/vidéo du film tient correctement la route. Passé le film, le point fort de l'interactivité est le commentaire audio qui permet d'aider un peu plus à la compréhension du métrage, que ce soit au niveau de son propos ou de la vision artistique choisie par le réalisateur (et son co-scénariste). En plus de Bruce Dickinson et Julian Doyle, ce commentaire audio donne aussi la parole au producteur Ben Timlett. Très bavards, les trois compères vont tout au long du film éclairer un peu les zones d'ombre du scénario, mettre en lumière les références qui foisonnent tout en étalant leur érudition. Mais, surtout, ils reviennent sur le personnage d'Aleister Crowley, et on peut se rendre compte de l'énorme travail de documentation effectué par Doyle et Dickinson. D'ailleurs, Julian Doyle apparaît ici bien plus impliqué dans le projet que ce que la médiatisation du film pouvait laisser croire. En effet, la renommée du frontman d'Iron Maiden a surtout été mise en avant lors de la promotion. Même dans l'utilisation (parfois incongrue) de la musique d'Iron Maiden et de Bruce Dickinson, les commentaires des intervenants semblent laisser l'entière paternité de ces choix artistiques à Julian Doyle. Si les commentaires techniques sur la création du film sont absentes (la plus-value cinématographique est minime), quelques anecdotes sur le tournage montrent la bonne humeur de toute l'équipe qui n'a pas hésité à mettre la main à la pâte (nombreuses caméos et cascades sont réalisées par des membres du staff). A l'arrivée, ces différentes précisions culturelles, et l'enthousiasme des intervenants augmentent le capital sympathie d'un film confus plus par maladresse que par incompétence. Ce commentaire audio s'avère donc vraiment utile.
La section des "Scènes coupées" propose un panel de séquences non retenues, inédites ou alternatives, allant de la ligne de dialogue modifiée à la scène entière supprimée du montage final, en passant par des apparitions loupées de Bruce Dickinson et autres prises volontairement drôles. Ces scènes sont accompagnées d' un texte explicatif de Julian Doyle, dont le ton est souvent assez potache. Si les informations fournies ici sont redondantes avec le commentaire audio, on peut à nouveau se rendre compte de la bonne ambiance du tournage, mais aussi des tâtonnements créatifs voire juridiques (à l'instar de la censure volontaire d'une ligne de dialogue faisant une référence explicite à L. Ron Hubbard, par peur de poursuites de l'église de scientologie).
Après le commentaire audio et les scènes coupées, le making-of est presque anecdotique car plutôt promotionnel. Il s'agit d'un ensemble d'interviews des différentes personnes ayant participé au projet (du producteur au chef électricien !) qui offre tout de même quelques images du tournage, permettant de se rendre compte que le petit budget est ici compensé par une bonne humeur générale et le système D. On apprends peu de choses fondamentales au cours de ce petit reportage, mais le tout est sympathiquement mis en scène comme lorsque l'équipe essaie de faire croire à un complot orchestré par des adorateurs de Crowley lors du tournage, cherchant ainsi à accentuer avec humour l'aspect sulfureux lié au thème du film. S'ensuit un petit module de huit minutes qui accompagne Julian Doyle en visite dans un joli cottage près de Gloucester, chez John et Michael Yorke, deux frères descendants d'un adorateur de Crowley. Au cours de cet entretien plutôt détendu, ces deux notables anglais rapportent quelques anecdotes qui permettent de démystifier un peu le côté controversé de Crowley, celui-ci apparaissant comme un provocateur, libre penseur et poil à gratter de la société britannique plutôt que comme la réincarnation du Diable. Pour terminer l'interactivité qui est donc plutôt complète, le DVD propose la bande-annonce du film.