Andrew Braddock, mécanicien d'un navire, échoue sur une île isolée après le naufrage de son bateau. Heureusement, l'île est habitée par l'affable docteur Moreau qui recueille le naufragé. Celui-ci apprendra bien vite que le bon docteur s'est en fait retiré dans cet endroit pour continuer des expériences scientifiques contre nature…
A la fin du XIXème siècle, H.G. Wells s'intéresse au darwinisme en extrapolant une histoire touchant à l'évolution des espèces. Son personnage central, le docteur Moreau, rejoindra les rangs des scientifiques prêts à tout pour arriver à leurs fins. Le livre sera adapté au cinéma pour la première fois avec L'ILE DU DR. MOREAU de Erle C. Kenton. Charles Laughton incarnait le scientifique alors que Bela Lugosi, affublé d'un maquillage très velu, récitait les lois édictées par le maître de l'île à une communauté d'hommes animaux. Il faudra attendre une quarantaine d'années pour que le sujet ne soit de nouveau porté officiellement à l'écran. Tourné aux Iles Vierges, l'American International Pictures de Samuel Z. Arkoff met les petits plats dans les grands. Doté d'un budget conséquent, pour l'AIP, mais plutôt maigrichon pour les gros studios, le film va rassembler un solide casting autour d'une tête d'affiche de poids. La «star», ce sera Burt Lancaster qui vient camper le docteur Moreau entre deux films militants à propos de la guerre du Vietnam (L'ULTIMATUM DES TROIS MERCENAIRES et LE MERDIER). Le prestigieux acteur amène d'ailleurs avec lui Nick Cravat avec qui il a commencé sa carrière dans un numéro d'acrobate avant de devenir comédien. Toutefois, contrairement au CORSAIRE ROUGE, Nick Cravat passe ici un peu inaperçu puisqu'il joue le rôle de M'Ling, serviteur à moitié humain du docteur. Largement plus reconnaissable, Michael York incarne le marin qui découvre les horreurs de l'île. L'acteur est, à ce moment là, dans une période assez faste puisqu'il a participé à de grosses productions de ZEPPELIN à L'AGE DE CRISTAL en passant par le rôle de D'Artagnan dans les deux films de Richard Lester. A leurs côtés, on retrouve encore Nigel Davenport, Barbara Carrera et Richard Basehart. Ce dernier, à l'instar de Nick Cravat, n'est pas immédiatement reconnaissable sous son maquillage mais l'acteur réussi à donner beaucoup d'âme au rôle tenu par Bela Lugosi dans les années 30. Joli casting !
Cette version de L'Ile du Dr. Moreau ne va pas vraiment adapter à la lettre le livre de H.G. Wells et il ne sera pas non plus un remake littéral du film des années 30. En réalité, les scénaristes vont un peu piocher dans les deux en reprenant les éléments qui leur paraissent les plus intéressants, en supprimant des passages ou en modifiant certains événements. Par exemple, pour donner un côté plus spectaculaire, le sang versé par l'une des créatures du docteur Moreau ne sera pas celui d'un pauvre rongeur mais celui d'un tigre. A l'écran, l'affrontement entre l'hybride et le félin a beaucoup plus de gueule ce qui aurait d'ailleurs pu coûter la vie du cascadeur puisque pris dans l'action, le tigre croqua littéralement la tête de son adversaire. Le cascadeur sera sauvé par le casque en fibre de verre sur lequel étaient fixées les cornes de son maquillage. Cette scène sera d'ailleurs la plus spectaculaire d'autant que le reste du métrage va essentiellement rester dans un cadre intimiste où l'aventure se résume à des images de jungles, de grottes ou de plages. On notera d'ailleurs que le premier film de Erle C. Kenton adoptait un ton très sombre en donnant une ambiance gothique et lugube à son histoire là où cette ILE DU DOCTEUR MOREAU préfère l'ensoleillement. Une exposition à la lumière qui permet de bien profiter des maquillages du film qui sont, à n'en point douter, l'un des points forts du film. Le spécialiste des effets spéciaux John Chambers, aidé par Tom Burman, transforme des hommes en bêtes comme il l'a déjà fait auparavant sur les films de LA PLANETE DES SINGES ou SNAKE LE COBRA. Véritable attraction, ces maquillages viennent épicer une histoire un peu convenue et pas toujours très mouvementée. A la réalisation, on trouve Don Taylor qui avait justement réalisé de la même façon LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES. Dans le genre qui nous intéresse, il réalisera encore de façon très professionnelle mais sans grand éclat DAMIEN : LA MALEDICTION II et NIMITZ, RETOUR VERS L'ENFER.
Du film de Erle C. Kenton, les scénaristes vont repêcher le personnage d'une jeune femme dont le secret ne sera révélé que de façon très subtile en fin de métrage. Peut être une façon de gommer la relation évidemment contre nature que pourrait avoir le héros avec une créature animale sans oublier l'infidélité à celle qu'il est sensé épouser. Ces aspects transgressifs du film des années 30 sont donc assez curieusement gommés ici pour ne conserver qu'un film d'aventure fantastique plutôt plaisant. En effet, les effets spéciaux, les décors et l'interprétation réussissent à donner tout son charme à cette adaptation qui offre au passage une lecture bien plus fidèle du livre original que ne peuvent l'être les autres versions cinématographiques. De plus, l'intrigue intègre clairement la génétique dans les expériences du scientifique qui restait jusque là très évasif concernant ses réelles méthodes de travail.
Ils sont nombreux à s'être intéresser au concept de l'Ile du Dr. Moreau pour la plupart de façon largement plus officieuse. Par exemple, les Philippins, en collaboration avec les Etats-Unis vont produire un curieux TERROR IS A MAN à la fin des années 50 ou encore une version plutôt proche du tissu original avec THE TWILIGHT PEOPLE au début des années 70. L'histoire inspirera beaucoup plus vaguement les Italiens qui produiront LE CONTINENT DES HOMMES POISSONS. Même Charles Band fera sa propre version avec un éloquent DR. MOREAU'S HOUSE OF PAIN aussi fidèle que puisse l'être une production Full Moon (c'est à dire pas tellement non plus). Mais le plus curieux, c'est de retrouver Michael York en fin de carrière dans l'épisode, «Un monde hybride», de la troisième saison de SLIDERS. En effet, l'acteur y singe le docteur Moreau sous un autre nom mais toujours avec des hommes animaux. Bien plus officiel, John Frankenheimer tiendra la barre très chaotique d'un naufrage artistique mettant en scène Marlon Brando, Val Kilmer, David Thewlis et Fairuza Balk avec une ILE DU DOCTEUR MOREAU mise en boîte à la fin des années 90.
Disponible depuis belle lurette dans la collection Midnite Movies de MGM, L'ILE DU DOCTEUR MOREAU ne se faisait pas plus attendre que cela en DVD. Tout du moins pour ceux qui pratiquent l'import nécessaire, de nos jours, à la redécouverte de tout un pan du cinéma carrément occulté par l'édition vidéo française. Le disque américain proposant déjà un sous-titrage et le doublage français, que pouvait bien apporter de plus Wild Side ? Un apport du côté de l'interactivité qui se voit largement amélioré là où les Américains ne proposaient qu'une bande-annonce. Une petite galerie photographique et une filmographie du réalisateur sont de petits plus auxquels viennent s'ajouter deux segments vidéos d'une quinzaine de minutes chacun. Le premier donne la parole à Jean-Baptiste Thoret qui évoque le film en parlant évidemment du livre original mais aussi des deux autres versions officielles. L'additif n'est pas négligeable et permet de faire un tour d'horizon certes pas totalement complet mais en tout cas très bien dressé. La deuxième interview donne la parole à Christophe Lemaire qui déclare son amour à l'actrice Barbara Carrera. Intervention sympathique dans laquelle le journaliste dresse la filmographie de la comédienne. Il n'hésite pas le plus souvent à citer des films dont il avoue ne pas se souvenir ou bien ne pas avoir vu. Il évoque ainsi de sympathiques métrages tels que ŒIL POUR ŒIL ou encore la comédie de super-héros CONDORMAN et nous sommes d'accord avec lui, cela mériterait des éditions DVD… Sauf que, pour le coup, elles existent déjà depuis longtemps !
En ce qui concerne le transfert du film, il respecte le format cinéma aux alentours du 1.85. Néanmoins, si l'on compare avec le DVD américain, on notera quelques bizarreries puisque le disque français semble opérer ici ou là des cadrages très légèrement différents alors qu'à d'autres ils sont identiques. Il sera difficile de trancher pour savoir qui a raison de Wild Side ou MGM. Car si l'on perd un peu d'image sur certains côtés, on en gagne sur d'autres. Les différences ne sont, il faut être honnête, notables qu'en réalisant une comparaison très pointilleuse. Lors du visionnage, on ne note pas vraiment la différence. Les défauts de pellicule présents sur le transfert du DVD commercialisé par MGM sont aussi présents aux même endroits sur le disque français ce qui laisse à penser que les deux éditions ont été réalisées en partant d'une source provenant de la même copie. En tout cas, l'image du Wild Side est plus nette et offre même un rendu souvent plus lumineux. En contrepartie, de petits artefacts de compression peuvent être décelés ici ou là.
Les pistes audio sont semblables et livrent un mono d'époque plutôt clair mais sans véritable envergure. Il apparaît donc plutôt logique, aujourd'hui, d'opter pour cette édition française malgré sa jaquette qui arbore un visuel particulièrement laid. A croire que les couleurs chaudes et agressives, chère au cinéma d'exploitation, rebutent de nos jours les concepteurs de jaquettes !