Suite à un échange global de missiles nucléaires, l'atmosphère du globe est en majeure partie irradiée. Seule l'Australie, dernière terre d'asile, a été épargnée mais des nuages radioactifs se dirigent petit à petit vers le continent. C'est à ce moment qu'un sous-marin américain fait escale à Melbourne.
Gregory Peck va enchaîner deux rôles de militaire dans des films qui n'ont, en apparence, pas grand chose à voir. LA GLOIRE ET LA PEUR dépeint d'inutiles combats coûtant de nombreuses vies durant la guerre de Corée. Six semaines après avoir interprété un militaire dans un contexte réaliste, il se lance dans le tournage du DERNIER RIVAGE où il va incarner le commandant d'un sous-marin nucléaire. Cette fois, le film ne se base pas sur des faits réels mais adapte un livre qui imagine ce que pourrait être le résultat d'une apocalypse atomique. Une nouvelle fois, l'acteur se retrouve donc dans une situation où la guerre ne mène à rien si ce n'est à la défaite des êtres humains. Car LE DERNIER RIVAGE n'évoque jamais aucune idéologie et affiche une situation où des personnages résignés font profil bas face à une condition désespérée.
Pour tourner LE DERNIER RIVAGE, la production décide de se rendre réellement en Australie. Il s'agit, à ce moment-là, de l'un des premiers films hollywoodiens à se déplacer sur ce continent, ce qui causera quelques menus soucis puisque l'industrie cinématographique du pays n'est à ce moment là que peu développée. De plus, lors de nombreuses scènes, une grande foule se presse pour voir travailler l'équipe et surtout apercevoir les vedettes occasionnant parfois de légers inconvénients sur le tournage. Car, en plus de Gregory Peck, le film est aussi interprété par Ava Gardner et Fred Astaire qui jouera, pour la première fois, un rôle dramatique bien éloigné des comédies musicales auxquelles son nom est généralement associé. Mais cette délocalisation va surtout offrir au film le concours des forces navales australiennes. Une aide providentielle, la marine américaine refusant de prêter hommes, navires et sous-marin pour un film qui laisserait entrevoir la fin de l'humanité via la bombe atomique. Ne voulant pas atténuer les retombées du film ainsi que son pessimisme, Stanley Kramer aura donc la chance que les Australiens lui «prêtent» momentanément un sous-marin pour des prises de vues extérieures tout en lui laissant accès à un porte-avions à quai. Le sujet particulier du film et le secret-défense concernant les sous-marins nucléaires vont poser un autre souci mais, cette fois, à l'acteur Gregory Peck. Celui-ci a l'habitude de se documenter sur les personnages qu'il interprète à l'écran mais il va lui être extrêmement difficile d'obtenir des informations détaillées sur les sous-marins nucléaires et leur commandement. La marine australienne fournira quelques détails jugés insuffisants par l'acteur qui réussira tout de même à obtenir de passer une soirée à discuter avec un conseiller technique. L'équipe du DERNIER RIVAGE ne laisse donc rien au hasard même si, à l'arrivée, le propos du film se situe plutôt à un niveau philosophique que vraiment militaire !
En réalité, le cœur du film ne consiste pas à décrire la vie à bord d'un sous-marin. Une partie du film suit une mission de reconnaissance du côté des Etats-Unis mais cette partie de l'histoire est surtout là pour exposer des villes où les êtres humains ont disparu. En cela, Stanley Kramer va choisir d'adopter une approche minimaliste sans verser dans le spectaculaire. Plutôt que de placer des squelettes et autres cadavres dans les rues, le cinéaste filme de loin en adoptant le point de vue du périscope d'un sous-marin immergé. Silencieuses, les villes du monde ont été nettoyées par les retombées nucléaires provoquant une mort lente de la population qui s'est donc retranchée dans les habitations. L'un des personnages fait d'ailleurs un parallèle entre les animaux qui se cachent pour mourir et les êtres humains qui font apparemment de même. L'apocalypse nucléaire, dans LE DERNIER RIVAGE, prend dès lors un aspect terriblement anodin qui rend encore plus dérangeante la suite du récit. Des immeubles dévastés par la bombe, le film n'en présentera pas, préférant laisser planer l'invisible radioactivité et ses lentes conséquences. Ce parti pris peut sembler, aujourd'hui, un peu décevant puisque nous avons été habitués depuis à voir des destructions massives sur grand écran. Mais cette représentation dénuée de sensationnalisme fait justement la force de la dernière partie du film. Ceux qui sont morts sur le coup ont échappé à une contamination et, surtout, à l'attente. En effet, la survie après la bombe en Australie, c'est un peu la salle d'attente avant l'extinction de l'humanité. Les derniers survivants patientent dans l'espoir que la radioactivité s'estompe ou qu'elle vienne mettre un terme à leur existence. La futilité de continuer à vivre en se sachant peut-être condamné est ainsi mise en avant par les agissements de certains personnages. Deux membres d'un club privé s'interrogent, par exemple, sur la bêtise d'avoir engrangé autant de bouteilles dans la cave alors qu'il ne sera probablement pas possible de toutes les boire. LE DERNIER RIVAGE surprend aussi en évitant de dépeindre des émeutes pour ne conserver qu'une population calme et lucide, les discussions enflammées sur les causes d'un holocauste nucléaire laissant la place à une fin de l'humanité qui pourrait s'avérer silencieuse et sans révolte.
Le traitement du DERNIER RIVAGE reste très hollywoodien. Au centre de l'histoire, on trouve une romance traitée de façon particulièrement subtile. Toutefois, le film va faire une entorse au livre original, écrit par Nevil Shute, ce qui déplaira à l'auteur, Gregory Peck émettant quant à lui quelques objections sans succès. A l'origine, les personnages interprétés par Gregory Peck et Ava Gardner vivent un amour platonique. Le film, plus pratique, les fera tomber dans les bras l'un de l'autre. Cette différence n'handicape pas vraiment cette histoire d'amour et semble plutôt logique même si cela pourra paraître moins mignon. Mais, sérieusement, il est difficile de ne pas craquer pour Ava Gardner lorsqu'elle déploie toute sa séduction particulièrement lors d'une scène de plage, joli moment de détente qui semble d'ailleurs sceller la relation de nos deux tourtereaux mais qui se termine pourtant d'une façon très inattendue. Cette scène donne d'ailleurs toute la finesse avec laquelle les personnages ont été dessinés. Mais les qualités du film se heurtent tout de même aux limites d'une grande production hollywoodienne. Très classique, Stanley Kramer ne se permet qu'une poignée d'expérimentations, essentiellement lors de la première soirée entre Gregory Peck et Ava Gardner. Par endroits, LE DERNIER RIVAGE semble nous exposer des scènes peu utiles de romance comme lors d'une partie de pêche assez incongrue. L'ensemble reste néanmoins plus que parfaitement plaisant.
Cinéma, Australie et univers post-apocalyptique, on pense à MAD MAX 2 et ses poursuites en voitures. LE DERNIER RIVAGE contient justement des poursuites en voitures ainsi que des carambolages spectaculaires. Toutefois, cela n'a rien à voir avec des affrontements routiers entre factions rivales. Le personnage de Fred Astaire a toujours eu l'envie de piloter un bolide dans un Grand Prix. La fin du monde lui donne justement l'opportunité de réaliser son rêve. Il n'aurait pourtant jamais pu participer à une course sans l'événement qui gouverne tout le film. Son personnage, une fois ce rêve accompli, semble d'ailleurs ne plus avoir de but. Pendant que certains vaquent à leurs occupations en vivant à 100 à l'heure, d'autres préoccupations vont être soulevées par LE DERNIER RIVAGE. Dans le cas où le nuage radioactif devrait atteindre l'Australie, le gouvernement a mis en place un système d'euthanasie de la population. Cela amènera plusieurs scènes poignantes entre Anthony Perkins et Donna Anderson. Le jeune couple, qui vient d'avoir un bébé, s'oppose de manière particulièrement réussie entre un espoir irrationnel et l'implacable fatalisme d'un suicide collectif. Le film de Stanley Kramer n'a rien de vraiment drôle avec son sujet profondément dépressif. Même en connaissant l'issue de l'histoire, LE DERNIER RIVAGE soutient d'ailleurs de façon très étonnante les multiples visions grâce, justement, à un traitement véritablement adulte en abordant son sujet principal de façon pragmatique. Les acteurs, situations et dialogues sont, en ce sens, véritablement excellents !
Aujourd'hui, LE DERNIER RIVAGE est une œuvre un peu oubliée tout comme LE MONDE, LA CHAIR ET LE DIABLE sorti la même année et traitant aussi de la survie des derniers êtres humains après l'apocalypse. Pourtant, à l'époque de sa distribution, il sera diffusé simultanément dans près d'une vingtaine de capitales du monde : New York, Berlin, Caracas, Johannesburg, Lima, Londres, Melbourne, Rome, Tokyo, Toronto, Zurich… et Paris. Les relations entre les Etats-Unis et l'U.R.S.S. vont mettre un frein à la sortie du film dans la capitale soviétique. Pour pallier à ce blocage politique, Stanley Kramer s'arrange pour y envoyer Gregory Peck avec une copie du film sous le bras pour une projection exceptionnelle en décembre 1959. Accueilli avec les honneurs, le film sera projeté en présence de 1200 personnalités soviétiques dans un auditorium du club des travailleurs. Depuis, le livre de Nevil Shute a à nouveau été adapté en 2000, cette fois, sous la forme d'une mini-série d'environ trois heures mettant en scène Armand Assante, Rachel Ward et Bryan Brown. La trame est conservée mais LA FIN DU MONDE, réalisé par Russell Mulcahy, a beaucoup de mal à faire oublier le film original. De plus, il apparaît quelque peu évident que LE DERNIER RIVAGE inspirera d'autres œuvres. Par exemple, l'expédition en sous-marin dans VIRUS, réalisé par Kinji Fukasaku d'après un livre de Sakyo Komatsu, n'est pas sans rappeler la virée en submersible du film de Stanley Kramer.
A grand film, petit DVD ! C'est l'impression que donne le disque commercialisé par MGM qui ne semble pas faire grand cas du DERNIER RIVAGE. La jaquette indique un format 1.85 et du 16/9. Cela s'avère erroné puisque le film est proposé dans un format aux environs du 1.66 et surtout ne bénéficie pas du 16/9. Le transfert 4/3, au format cinéma tout de même, est plutôt honnête mais la copie utilisée n'est pas exempte de défauts. La pellicule laisse apparaître à plusieurs endroits des défauts qui auraient sûrement été corrigés sur un film commercialement plus viable. Mais, honnêtement, cela n'empêche vraiment pas d'apprécier la vision du DERNIER RIVAGE.
Le disque français est prévu pour une diffusion dans d'autres pays et l'on trouve donc un menu assez spartiate donnant comme seuls choix les langues et les sous-titrages. Toutes les pistes sont en mono d'origine. La version originale anglaise, sous-titrée en français, est la plus naturelle. Le doublage français, d'époque, est, quant à lui, plus étriqué et artificiel. Nous aimerions disserter plus longuement sur cette édition DVD mais le tour a déjà été fait puisque le disque ne contient aucun supplément. Même pas la bande-annonce… Après LE DERNIER RIVAGE, c'est fini, semble vouloir nous dire MGM.