Yuko Kikukawa, une lycéenne sujette à des crises d'angoisses permanentes, est enfermée toute une nuit par trois camarades de classe voulant se moquer d'elle. Le lendemain, Kikukawa a déserté les bancs de l'école. L'une de ses tortionnaires, Yukie, devient la proie de cauchemars qu'elle interprète tout d'abord comme le fruit du remord. Mais quand ses camarades commencent à mourir mystérieusement d'arrêts cardiaques, Yukie a la certitude que Kikukawa se sert de ses rêves pour se venger. Elle va alors frapper à la porte du «Nightmare Detective», cet homme étrange et mutique qui a le pouvoir de voyager dans les songes d'autrui. Ce dernier, dépressif suite à son «don», accepte d'aider la jeune fille car les crises d'angoisses de Kikukawa lui rappelle la pathologie de sa propre mère, une femme apeurée jusqu'à l'hystérie et qui se suicida alors qu'il était enfant.
Shinya Tsukamoto, le franc tireur indépendant du cinéma japonais devenu culte grâce à TETSUO ou encore TOKYO FIST, a trouvé le succès populaire avec NIGHTMARE DETECTIVE. Ce film, qu'il coproduit avec un studio japonais, est initialement l'occasion de livrer un spectacle plus divertissant et moins cérébral qu'à l'accoutumée autour d'un personnage de détective onirique prompt à fédérer la jeunesse japonaise. Mais chassez le naturel, il revient au galop. NIGHTMARE DETECTIVE est une longue descente dans l'univers sombre de son auteur. Un cauchemar éveillé s'enlisant toujours plus profond dans un subconscient torturé, abandonnant en cours de route ses ficelles d'enquête policière pour mieux se confronter aux démons dépressifs qui manipulent le cinéma de Tsukamoto depuis le début de sa carrière. En signant dans la foulée NIGHTMARE DETECTIVE 2, le cinéaste va pousser le bouchon d'un cinéma bicéphale encore beaucoup, beaucoup plus loin.
Hitomi, la pop-star héroïne du premier film, ne reprend pas son rôle de femme flic. Une nouvelle plutôt positive tant le jeu limité de la chanteuse gênait certaines séquences du premier opus. Cette séquelle est entièrement dédiée au personnage de Kyoichi Kagenuma, le «Nightmare Detective» du titre, toujours interprété par le formidable Ryuhei Matsuda. NIGHTMARE DETECTIVE 2 commence comme une aventure parmi tant d'autre, un «contrat» visant à démêler de manière onirique une vengeance entre lycéennes. Durant la première demi-heure du film, nous avons ainsi l'impression d'être sur les rails d'un feuilleton où se seraient juste invités les effets de style bien connus du cinéaste (comme la caméra tremblante ou les explosions industrielles de la bande sonore signée Chu Ishikawa). Bien entendu, Tsukamoto cherche ici à nous «endormir». NIGHTMARE DETECTIVE 2 est un faux semblant terriblement puissant. Comme le dit le «Nightmare Detective» à sa jeune cliente : «Ton problème de cauchemar ne m'intéresse pas, mais je vais t'aider car ton histoire me fait penser à ma propre mère».
Le rapport à la mère et à l'enfance, voici donc le véritable nœud de NIGHTMARE DETECTIVE 2. Doté de nombreux flashback représentant le héros à cinq ans, le film s'attarde sur le portrait d'une famille brisée par la terrible «maladie» de la mère, une peur excessive et permanente des éléments extérieurs. Persuadée que son fils possède les mêmes racines pathologiques, elle va tout d'abord tenter de le tuer. Ses tentatives d'infanticide ratées la conduiront à se pendre dans la pièce principale. Ce passé difficile est d'ailleurs évoqué dans le premier film, au détour de plans courts que nous ne pouvions alors interpréter. Preuve que cette séquelle n'est pas une suite artificielle mais bien une histoire que le cinéaste planifiait dès le départ. La principale enquête du «Nightmare Detective» sera donc majoritairement introspective, le contrat de la lycéenne n'étant là que pour donner quelques clefs qui lui permettront d'ouvrir son refoulé afin d'y sonder le comportement de sa mère. En plus de brouiller la frontière entre rêve et réalité (car pour Tsukamoto, le vrai cauchemar est le réel), NIGHTMARE DETECTIVE 2 abolit les frontières du présent et du passé en montrant par exemple le héros venir en aide à sa représentation enfantine au travers de ses songes. Plus le film avance, plus la narration se tord dans un maelström sensitif et expérimental dont le but est de nous faire vivre des états profondément dépressifs causés par une hyper-empathie des personnages face à un environnement quotidien absurde et destructeur.
Si Shinya Tsukamoto cède aux sirènes de la séquelle de studio, s'il met en scène un groupe de lycéennes ou encore un spectre féminin à cheveux longs dans la pure tradition japonaise, le cinéaste ne se «range» toujours pas. Bien au contraire. NIGHTMARE DETECTIVE 2 est peut-être son film le plus insaisissable, le plus extrême dans l'expérimentation narrative, le plus violent dans sa représentation d'un monde sans issue. Le plus intime surtout. Car derrière l'histoire du film, il y a l'inquiétude du cinéaste devenu père voyant que son enfant de cinq ans commence à développer des sentiments de peur face au monde qui l'entoure. Tsukamoto exprime très clairement que ce nouveau film est un moyen pour lui de matérialiser sa relation avec son propre fils, ainsi que son propre rôle de «Nightmare Detective» pour son petit garçon. Car en tant que papa, Tsukamoto est un chasseur de mauvais rêves, un rôle de réconfort qui le renvoi immanquablement à ses propres angoisses enfantines. Angoisses qui ont été la charpente de sa vision d'adulte et d'artiste. Tsukamoto père rassure son enfant. Mais comment rassurer un enfant alors que l'on est soi-même prisonnier de la peur d'un monde sans réponse ?
Même pour les habitués du cinéaste, NIGHTMARE DETECTIVE 2 laisse donc sans voix. Il ne s'agit pas de savoir si ce nouveau film est meilleur ou non que les précédents, mais de constater qu'il élargit encore l'univers de son auteur ainsi que sa maîtrise représentative. Les scènes fortes sont légions dans NIGHTMARE DETECTIVE 2, d'une scène d'attaque de spectre dans un appartement à l'invasion de personnes dépressives imaginée avec un trou béant dans le visage. Mais le plan le plus impressionnant est sans aucun doute le plus épuré, lorsque le «Nightmare Detective» se met à pleurer face caméra. Un moment d'émotion que le cinéma de Tsukamoto évite d'ordinaire de capter frontalement, comme en témoigne les pleurs de Tadanobu Asano occultés par ses mèches de cheveux lors de la bouleversante crémation finale de VITAL. On ressort de NIGHTMARE DETECTIVE 2 chamboulé, dans tous les sens du terme, face à ce film formidable venu d'un autre monde. Et en se frottant les yeux, on se demande si nous n'avons finalement pas rêvé. Un de ces rêves étranges et enivrant qui nous étreignent lorsque nous sommes sous forte fièvre…