Critique du film
et du DVD Zone 2
LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES
1971
L'épilogue catastrophique du SECRET DE LA PLANÈTE DES SINGES, réalisé en 1970 par Ted Post, laissait dubitatif quant aux éventuelles ramifications d'une saga pourtant bien amorcée. Pourtant, le producteur Arthur P. Jacobs décide d'offrir au réalisateur de productions télé, Don Taylor (L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU, 1977 ; DAMIEN: LA MALÉDICTION 2, 1978 ; NIMITZ, RETOUR VERS L'ENFER, 1980), la possibilité de conférer une dimension supplémentaire à la série. Pour ce, l'artiste se montre prudent en choisissant de réutiliser les éléments qui, estime-t-il, constituèrent les indéniables points forts des oeuvres antérieures. De fait, les comédiens Roddy Mc Dowall et Kim Hunter reprennent du service, accompagnés par les nouveaux venus Bradford Dillman (COMPULSION, Richard Fleischer, 1959), Natalie Trundy (en réalité, elle apparaissait déjà dans le film précédent) et Eric Braeden. Entrés dans la légende depuis quelques années, les maquillages simiens créés par John Chambers bénéficient une fois de plus du talent de son initiateur tandis que l'excellent Jerry Goldsmith revient aux univers qu'il orchestra en 1968 (LA PLANÈTE DES SINGES).
Un jour de 1973, les États-Unis voient amerrir une navette spatiale laquelle ressemble à s'y méprendre à celle, disparue, du colonel Taylor. L'enthousiasme des hôtes subit un contrecoup lorsque les astronautes retirent leur casque. Trois singes qui s'avéreront civilisés, débarquent ainsi en terre américaine. Cornelius (Roddy Mc Dowall), Zira (Kim Hunter) et Milo (Sal Mineo) ont réussi à fuir la guerre simienne et l'explosion de la planète pour faire un bond dans le temps, précisément dans le passé. Aidés par les psychiatres Lewis Dixon (Bradford Dillman) et Stéphanie Branton (Natalie Trundy), les époux s'opposeront au ténébreux Docteur Otto Hasslein (Eric Braeden) qui, apprenant la grossesse de Zira, cherchera à modifier le cours du destin, quitte à exterminer les géniteurs d'une lignée considérée comme une menace.
En premier lieu, le métrage de Don Taylor se différencie des précédents opus au vu d'une tonalité comique, somme toute rafraîchissante. En exploitant à bon escient le thème de l'étranger contraint de se plier à des valeurs et mode de vie fort éloignés des siens, LES ÉVADÉS DE LA PLANÈTE DES SINGES s'inscrit dans la lignée des Lettres persanes pour démontrer la relativité d'une culture dont les principes éthiques dépendent d'instances ethnologiques. Cette inversion du point de focalisation classique — notre société appréhendée via un regard externe — se double de celle contextuelle qui substitue aux observés simiens auparavant dépeints, leurs némésis humaines. L'échange des rôles sous-tend d'abord une perspective humaniste en suggérant l'égalité, du moins théorisée, des deux actants. Le phénomène atténuera évidemment la dangerosité présupposée de singes ici à l'origine de maintes séquences burlesques. Les tests d'intelligence rondement menés par la subtile Zira, la découverte d'un poste de télévision auquel on dit bonsoir, l'assimilation du vin au jus de raisin amélioré ou une apparition surréaliste de Cornelius en gentleman, alimentent donc tout un registre comique, principalement lié au potentiel cocasse de l'anthropomorphisme. Judicieusement agencée, la mise en scène parvient en outre à maintenir un équilibre appréciable entre les scènes d'action ainsi que monologues dramatiques et ces moments de pure drôlerie.
À ce titre, la bande originale écrite par Jerry Goldsmith surenchérit la légèreté artificielle de l'oeuvre en s'appuyant sur des synesthésies évocatrices, comme celle encline à rattacher le son du sitar indien à l'orientalisme bucolique entre autres vulgarisé par les hippies. Sympathique sur ce point, le troisième chapitre de la saga ne reprend pas directement les imagologies guerrières et apocalyptiques utilisées par Franklin J. Schaffner ou Ted Post mais en conserve les principales problématiques métaphysiques.
En effet, l'anthropocentrisme justifiant l'accueil réservé par les humains à des primates qui leur ressemblent, confère aux serrements de mains, sourires et embrassades, une dimension moins positive qu'il n'y paraît de prime abord. La repartie, le féminisme et la bonté de Zira sont appréciés non pas en tant que tels mais comme facteurs d'humanité, et par élargissement civilité. Amusantes, intrigantes et attachantes, les bêtes éveillent une sympathie équivalente à celle qui, notamment, singularise notre rapport aux phénomènes de foire. On écoutera le chimpanzé se révolter contre le sexisme afin de recueillir ensuite ses dires dans une revue consacrée aux animaux domestiques. Certes applaudis, les invités restent tout de même séquestrés dans une cage puis entre les murs d'un élégant hôtel. La xénophobie s'exerce de façon insidieuse, sous couvert de générosité. Offrir aux visiteurs la possibilité de s'habiller comme nous, revient à annihiler leur différence et donc identité. L'incipit du métrage préfigure d'ailleurs la suite des événements. Faisant écho à l'arrivée du capitaine Taylor sur LA PLANÈTE DES SINGES, l'amerrissage de la navette et la présence de l'armée aux environs, métaphorise d'emblée l'étrange captivité qui marquera le court passage des cosmonautes au sein du vingtième siècle. Encerclés par les militaires et par l'oeil scrutateur d'une caméra portée sur les panoramiques, nos héros n'ont d'autre alternative que de suivre docilement des hôtes bien décidés à camoufler une animalité qui, reflétant la leur, s'érige en menace. Seuls deux protagonistes refusent de se voiler la face, posant de cette façon les termes d'un débat philosophique dont la notion de destiné demeure la pierre angulaire.
Libre-arbitre ou bien théodicée; les personnages réagiront différemment à la venue des singes et aux révélations corrélatives. Sous l'emprise de l'alcool, Zira avoue que la planète explosera en 3950, suite à une guerre causée, croit-elle, par les gorilles. Si ce secret n'avait pas ébranlé outre mesure les insipides docteur Lewis Dixon et Stéphanie Branton, le présumé “méchant” de l'histoire se montre davantage perspicace à ce sujet. Paradoxalement plus altruiste que les affables psychiatres, Otto Hasslein pense aux générations futures et — pourquoi pas? — à une manière de modifier le cours du destin. Pour ce, l'enfant que porte l'épouse de Cornelius doit être éliminé et les parents stérilisés. L'extinction de la race signifierait la permanence de la domination humaine sur terre et en cela rendrait caduque la prophétie. La “fin justifie-t-elle les moyens?”, s'interroge le président chargé d'entériner ladite proposition. Volontariste, son interlocuteur répond par l'affirmative. L'exercice du libre-arbitre induit ainsi une certaine forme de courage, voire de lucidité, qui pousse l'anti-héros à s'attrister de la passivité manifestée par ses contemporains quant aux problèmes écologiques. L'action au détriment d'une réflexion qui, par définition sans fin, s'avère souvent stérile; Hasslein refuse de s'adonner à quelque fatalisme ni même à la théodicée qui, en revanche, permet à Armando (Ricardo Montalban) de justifier ses actes. Le forain accepte d'aider le couple de fugitifs puisque, selon lui, notre avenir se trouve déjà écrit et que son terme relève d'une volonté divine a priori “impénétrable”. À ce sujet, le métrage ne prend jamais véritablement parti, se contentant d'exposer les convictions de chacun au moyen de digressions judicieusement insérées dans la narration. Aussi, cette dernière ne souffre guère d'un arrière-plan (trop?) édifiant lequel mécontentera les détracteurs des films ultérieurs. Sans être époustouflantes, les scènes d'action contrebalancent les “pauses” dialoguées pour octroyer aux ÉVADÉS DE LA PLANÈTE DES SINGES un rythme relativement soutenu. Au final, Don Taylor nous livre ici une suite plus honorable, pleut-être la plus intéressante de la série.
Outre le plaisir de se plonger aux sein des cinq bandes-annonces de la saga (version originale non sous-titrée en 4/3 - format respecté pour les quatre premières - et en mono), le disque du troisième opus de LA PLANÈTE DES SINGES offre des spécificités techniques grosso modo correctes.
En Scope 2.35 et 16/9ème, l'image présente une bonne définition, d'excellents contrastes et des couleurs agréables. En revanche, la pellicule paraît quelque peu poussiéreuse. La version anglaise en Dolby Digital mono, encodé sur deux canaux, s'avère honorable eu égard à un bon équilibre mais elle demeure plus étriquée que son homologue française curieusement proposée dans un Dolby Surround particulièrement bien spatialisée dans les scènes d'action. L'origine de ce mixage français est, en tout cas, assez étrange.