Le père Andrew Kiernan (Gabriel Byrne) est spécialisé dans les enquêtes relevant du « miracle » religieux, afin que sa hiérarchie puisse statuer sur l'authenticité des manifestations qu'il observe. Il se rend dans un petit village au Brésil pour inspecter une statue de la vierge pleurant des larmes de sang depuis la mort du prêtre local. Le chapelet du décédé est, par un concours de circonstances, acheté par une touriste américaine et envoyé en cadeau à sa fille Frankie (Patricia Arquette). Citadine fiévreuse vivant à Pittsburgh, la jeune femme va dès lors subir les assauts inexplicables d'une entité invisible. Attaquée à répétition, elle découvrira avec l'aide du père Kiernan que ses blessures simulent les stigmates du Christ.
La veille du passage à l'an 2000, marquée par la paranoïa de catastrophes hypothétiques qui n'arriveront finalement jamais (comme le fameux bug informatique), pousse Hollywood à un retour au fantastique démoniaque. LE TEMOIN DU MAL de Gregory Hoblit avec Denzel Washington ouvre la marche en 1998. Suivront LA FIN DES TEMPS où un Arnold Schwarzenegger désacralisé se sacrifiera en affrontant le diable (Gabriel Byrne encore) pour la survie de l'humanité, ou encore LES AMES PERDUES avec une Winona Rider luttant contre le retour de Satan sur terre. Entre ces deux essais pachydermiques, STIGMATA de Rupert Wainwright choisit la carte de la possession « intimiste » en faisant revivre à une pauvre américaine la « passion » du Christ.
STIGMATA se fonde sur des récits « authentiques » de nombreux croyants foudroyés par l'apparition des blessures divines sur leurs corps. Elles sont au nombre de cinq : marques des clous sur les mains, sur les pieds, de la couronne d'épines sur le front, des coups de fouet dans le dos, et enfin la blessure de la lance sur le flanc. Constamment cité dans le film, François d'Assise est répertorié comme le premier cas de stigmatisé (de nombreux ouvrages s'escrimeront d'ailleurs à rationaliser la manifestation). Quant à ceux qui séchaient les cours de catéchisme pour se réfugier devant la télévision, ils auront pu entendre parler du phénomène grâce à la légendaire émission « Mystères », qui avait consacré l'un de ses sujets à la française Marthe Robin (dont « l'extase » était si intense que du sang lui coulait du front et des yeux). Impressionnants, souvent violents, mystérieux, inexpliqués (ou presque diront certains médecins et psychologues), le schéma des stigmatisés est un terreau fertile et original pour un film d'horreur viscéral et théologique. Encore faut-il pouvoir jongler adroitement avec les nombreux sous-textes impliqués par ce type de manifestations.
Il y a comme deux films dans STIGMATA. Le premier est une tentative de thriller religieux, où le prêtre joué par Gabriel Byrne remonte la piste d'un évangile, l'évangile de Saint Thomas, caché par l'église pour cause d'hérésie. Le texte fait l'apologie d'une théorie divine, personnelle et instantanée, où le croyant pourrait trouver le Christ partout autour de lui, et où l'église (en tant que lieu et institution) n'aurait plus sa place. Courageux, STIGMATA n'hésite pas à charger le Vatican d'une peinture acide et subversive, en croquant le portrait corrompu d'un cardinal impeccablement interprété par Jonathan Pryce. Dans ses déambulations pré-DA VINCI CODE qui feront vaciller ses certitudes, le prêtre tirera des informations capitales en fouillant dans les ombres de l'église. L'occasion de découvrir quelques personnages secondaires haut en couleur, dont l'excellent comédien Rade Serbedzija (consacré par le formidable BEFORE THE RAIN de Milcho Manchevski, il est depuis familier des rôles de méchant russe à Hollywood).
La deuxième facette de STIGMATA, beaucoup moins glorieuse, est une tentative de film d'horreur à effets écrasé par l'influence de L'EXORCISTE de William Friedkin. Comme son modèle, STIGMATA s'ouvre par un prologue dans un pays exotique (le Brésil remplaçant l'Irak) avec ses généreux gros plans sur des locaux burinés et infirmes. Quant à « l'extase » de Frankie, elle s'accompagne d'une possession suivant les rails des nombreux ersatz du film de Friedkin : hystérie, œil vitreux, dédoublement de la personnalité, lévitation, monologue en langue ancienne (ici l'Araméen), bave aux lèvres, automutilation, comportement agressif, jusqu'à un simulacre d'exorcisme final… Si la performance de Patricia Arquette n'est pas à mettre en cause, force est de constater que ces séquences ont des allures de resucée pénible peu en phase avec les ambitions premières de l'histoire. Malgré la volonté du metteur en scène de rester neutre vis-à-vis de la « passion » (est-ce une malédiction ou une bénédiction ?), STIGMATA ne peut s'empêcher de verser dans l'effet facile et galvaude son thème prometteur des stigmates au profit d'un EXORCISTE-like pataud.
On se rend très vite compte que le réalisateur Rupert Wainwright (venu du clip et de la pub) n'est pas un homme de finesse. Il souffre, qui plus est, du « syndrome de l'œuf dur », une pathologie tristement répandue qui voit les metteurs en scène se consacrer corps et âme à la « coquille » sans réfléchir au « jaune ». Lardé d'effets de découpage, de photographie, de montage, de design sonore, STIGMATA est un gloubiboulga audiovisuel qui oublie l'essentiel : faire peur, déranger, créer de l'émotionnel. Incapable de nous faire partager le calvaire de Frankie autrement qu'en nous pilonnant la rétine et les tympans, Wainwright désincarne toute représentation de la souffrance et de la détresse psychologique du personnage (non croyante, elle comprend d'autant moins ce qui lui arrive) au profit d'une esthétique complaisante et toc de gothique MTV. Les séquences « d'attaques » de Frankie sont parfois ridicules (la jeune femme est même agressée par son bain !), et souvent puériles (lorsqu'elle s'évanouit crucifiée dans les bégonias).
STIGMATA est donc une œuvre étrange. Sur un fond intéressant et novateur, le film se vautre dans du fantastique de contrefaçon noyé par une mise en scène à effets à destination des ados. Passé ce constat, force est de reconnaître que STIGMATA ne constitue pas pour autant un spectacle désagréable. Rythmé dans sa narration, soigné artistiquement, doté d'une interprétation convaincue d'excellents comédiens, le film rempli néanmoins son contrat de divertissement d'une soirée. Après ce premier essai dans le genre, Rupert Wainwright reviendra au fantastique en 2005 avec le calamiteux remake THE FOG, preuve que le bonhomme a encore beaucoup à apprendre de ses classiques.
L'exploitation vidéo de STIGMATA s'étant synchronisée sur les débuts du DVD, le film bénéficia d'une excellente édition dès sa sortie. On se souvient d'ailleurs avoir découvert certaines possibilités du support entre autres avec ce titre. En effet, outre de proposer une fin alternative très différente, la première édition américaine permettait de choisir dès le lancement du film la fin vue en salle ou la Director's cut. Une option depuis banalisée, mais qui a l'époque faisait figure de révolution pour le grand public. Les fêtes d'Halloween étant toujours l'occasion de mettre au monde quelques nouvelles éditions de films fantastiques, la ressortie de STIGMATA était-elle justifiée ?
Techniquement, l'image est parfaite. Ce qui n'étonnera personne étant donné que c'était déjà le cas sur la précédente édition. La première surprise arrive dans le choix des options sonores : le mixage en DTS est enfin disponible, mais malheureusement que dans son doublage français. De très bonne qualité, cette dernière est tout à fait recommandable. Les puristes rattraperont la version originale dans un Dolby Digital 5.1. qui a quand même un peu vieilli. Entièrement centré sur l'avant, le mixage n'utilise les enceintes arrières que pendant les scènes chocs pour y glisser une poignée d'effets. On est loin des mixages actuels, qui parviennent à utiliser l'espace sonore de manière constante et plus subtile.
Deuxième correction salutaire par rapport à l'ancienne édition, le commentaire audio du réalisateur Rupert Wainwright est désormais entièrement sous-titré en français. L'occasion de découvrir un homme très enthousiaste vis-à-vis de son film. Chaque seconde est passée au crible d'une analyse narrative ou technique, ou est sujette à l'anecdote de tournage. Une dévotion communicative, loin du cynisme de certains mercenaires de la réalisation, mais qui ne comble pas pour autant la réflexion limitée du film. Malgré les efforts de Wainwright, son discours fini tout de même par lasser.
Les bonus, centralisés sur un second disque, reprennent l'intégralité des anciens suppléments. Outre la bande-annonce et le clip vidéo de la chanson finale, on peut y trouver une archive de courtes scènes coupées. Quelques minutes qui ne méritent guère de considération, à part de nous proposer un plan inédit du postérieur nu de Patricia Arquette ! La fin alternative est (heureusement) toujours présente, mais l'option de pouvoir la programmer dès le lancement du film a disparu. Enfin, la featurette de l'époque est aussi au rendez-vous et nous retrace l'historique des stigmatisés avant de nous bombarder d'interviews promos. Cette nouvelle édition propose un seul bonus inédit : un documentaire indépendant de trois quarts d'heure à nouveaux sur les stigmatisés, enchaînant interviews de spécialistes et reconstitutions télévisuelles (dont des visions bibliques bien cheap). Le reportage, pourtant soigné, n'est à conseiller qu'aux inconditionnels tant le sujet semble tourner en rond au bout de quelques minutes. Très axé sur le sensationnalisme, le documentaire n'ose pas prendre parti, ou gratter là où ça fait mal, pour se contenter d'un exposé conventionnel conclu d'un contre-argumentaire timide. La nouvelle édition de STIGMATA corrige donc les bémols du précédent disque, sans toutefois apporter de grandes révolutions. Si seulement les bonus avaient pu inclure un extrait de l'émission culte « Mystères » dédié à notre exception française !…