Header Critique : FANDO & LIS (COFFRET JODOROWSKY)

Critique du film et du DVD Zone 2
FANDO & LIS 1968

(COFFRET JODOROWSKY) 

Souillée dans son enfance, Lis est depuis paralysée des jambes. Son ami Fando décide de l'amener à la cité mythique de Tar, où tous les vœux se réalisent. Ils traverseront alors toute une série de tableaux angoissants les attirants toujours plus près de leurs traumatismes intérieurs. Avec au bout, la folie.

Au début de sa carrière, Jodorowsky est un homme de théâtre au Chili, puis en France où il suit l'enseignement du mime Marceau. S'il réalise en 1957 un court-métrage, LA CRAVATE, il s'agit plus d'un essai de pièce filmée. Toujours en France, Jodorowsky fonde avec Fernando Arrabal et Roland Topor le mouvement Panique, spécialisé dans les performances chaotiques et provocatrices. De retour au Chili, Jodorowsky continue à se consacrer au théâtre, même si il caresse l'envie (inaccessible selon lui) de faire un jour du cinéma.

Comme le raconte Jodorowsky dans le commentaire audio dédié à FANDO ET LIS dans le coffret DVD, sa carrière de cinéaste va débuter sur un concours de circonstances des plus particuliers. L'artiste a toujours déclamé son amour sincère pour ce qu'il appelle (affectueusement) des « monstres », soit les gens en dehors des normes imposées par la nature. C'est ainsi qu'il se prend d'affection pour un jeune trisomique du nom de Samuel Rosemberg. Au plus grand mépris des critiques de son équipe, Jodorowsky le propulse comme son assistant et lui fait partager la vie de sa troupe. Lorsque Rosemberg meurt accidentellement dans un incendie, le père richissime du jeune homme veut remercier l'artiste pour avoir pris son fils sous son aile. Rosemberg père veut produire le prochain spectacle de Jodorowsky. Mais celui-ci refuse. En effet, il n'a aucune difficulté à réunir des fonds pour ses pièces grâces aux aides systématiques du pays. C'est lorsqu'un ami lui explique qu'il est possible de tourner un long-métrage de cinéma avec un maigre budget, que Jodorowsky envisage plus sérieusement l'offre de Rosemberg. Il dirigera FANDO ET LIS et le dédiera à son ancien assistant, le meneur accidentel de sa nouvelle carrière.

FANDO ET LIS n'est pas une œuvre originale mais une adaptation d'une pièce de Fernando Arrabal écrite en 1955. Une pièce que Jodorowsky connaît bien pour l'avoir jouée avec sa troupe. Pour autant, le cinéaste ne désire pas s'aventurer dans une transposition littérale. Armé d'un script tenant sur une page, Jodorowsky construit le film au fur et à mesure en travaillant à partir de ses souvenirs de la pièce plus que sur un scénario détaillé. Bien évidemment, le résultat n'a rien de « classique ». Le film est une succession de scènes, de tableaux, où les deux personnages principaux, en quête de leurs innocences perdues, se verront confrontés à une corruption encore plus violente que celle qu'ils essaient de fuir.

A l'instar de beaucoup de premiers films, FANDO ET LIS est une œuvre radicale. La narration, sinueuse, s'articule comme un poème (ou plutôt une plainte) laissant s'installer moult références, symbolismes et métaphores. Il serait inutile de tenter de rationaliser ou d'organiser ce qui se passe à l'écran. Jodorowsky construit FANDO ET LIS comme une expérience totale. Ce qui l'amène, en superposition au surréalisme de son histoire, à tenter de nombreuses expérimentations cinématographiques. Le montage réserve quelques surprises étonnamment modernes pour l'époque, comme ses enchaînements de séquences basés sur des allés retours très rapides entre deux plans. Des transitions « pratiques » d'un point de vue diégétique (car permettant de faire facilement cohabiter des univers antinomiques, comme le réel avec le fantasmé, le présent avec le passé), mais surtout à l'agressivité étourdissante plaçant en permanence le spectateur dans un état d'inconfort. Le son du film ayant été post-synchronisé, Jodorowsky s'amuse également à concocter une bande sonore en dissonance en utilisant des bruitages qui ne correspondent pas à l'action à l'écran. C'est ainsi que le film s'ouvre sur Lis mangeant les pétales d'une fleur sur un fond sonore de guerre. Une manière de donner à ressentir le chaos du personnage qui, sous ses airs de frêle jeune fille, cache une violence intérieure inépuisable.

Toujours dans l'idée de secouer son spectateur, Jodorowsky n'hésite pas à briser les tabous. La peinture du monde que fait le cinéaste est asphyxiante, traumatisante. Le cinéaste nous l'explique très tôt dans le film, en nous montrant l'origine de la souffrance de Lis. Petite fille, elle est fascinée par un marionnettiste dans une salle de théâtre. L'homme (incarné par Jodorowsky) lui propose de voir ce qu'il y a derrière le rideau qui cache le fond de scène, de découvrir ce qu'il y a derrière la magie… L'horreur bien évidemment ! La fillette, errant entre les artistes, finira acculée par la troupe entière, perverse et libidineuse. Jodorowsky n'a pas besoin d'en montrer plus, nous devinons que trop bien l'épouvantable suite.

Sur le plateau de tournage, Jodorowsky s'est également montré très dur avec ses acteurs, un élément qui est pour beaucoup dans l'aura sulfureuse de FANDO ET LIS. En effet, les nombreuses « tortures » subies par les deux comédiens principaux ne sont pas simulées. Lis violemment traînée à terre au milieu des pierres, Fando pris en otage par la représentation de sa mère qui l'oblige à manger des œufs durs à la chaîne, la prise de sang réelle de Lis, sans compter les séquences où les comédiens semblent à bout, en transe, en rupture. Etonnement, il n'y a pas de complaisance dans FANDO ET LIS, et c'est là tout le miracle du film. Le calvaire des comédiens s'enroule sur celui des personnages principaux, rendant leur quête que l'on sait perdue d'avance teintée d'une petite lumière : celle de l'humain qui souffre mais qui ne renonce pas à son ambition (celui de Fando et Lis étant de rejoindre Tar, celui de Sergio Kleiner et Diana Mariscal, les comédiens titres, étant de terminer le film).

Projeté en avant-première à un festival à Acapulco, FANDO ET LIS provoque une émeute. Les spectateurs sont ulcérés par ce qu'ils voient à l'écran. La révolte gronde devant certaines images, comme cette séquence où un homme creuse un sexe au couteau dans une poupée afin de lui faire pénétrer des petits serpents. Jodorowsky doit quitter le festival par une porte dérobée sous peine d'être lynché par la foule. Les futures projections du film seront si houleuses, que le gouvernement mexicain interdira l'exploitation du titre. Une première malédiction pour la carrière cinématographique de Jodorowsky, qui en comptera malheureusement beaucoup. Bien évidemment, de nos jours, FANDO ET LIS ne traumatisera plus autant les spectateurs. Le film n'a cependant perdu en rien de sa force et de sa puissance. Il accuse juste certaines maladresses ou baisses de rythme qui gêneront ceux qui découvriront ce premier essai en dernière position d'une filmographie courte mais foisonnante.

Premier film issu du coffret français regroupant les trois premiers efforts cinématographiques de Jodorowsky, FANDO ET LIS était déjà disponible à l'unité chez l'éditeur américain Fantoma. Hélas, cette édition nationale fait quelque peu profil bas. L'image, au format, est de piètre qualité. Etant donnée la confidentialité du titre et ses nombreux déboires, nous ne nous montreront pas trop exigent. Une seule piste sonore disponible, le mono d'origine en espagnol techniquement rustique. Jusqu'ici, les deux éditions étaient similaires. Jusqu'à ce que l'on découvre que l'édition française de FANDO ET LIS soit coupée de quelques secondes, tandis que l'édition de Fantoma proposait une version intégrale.

Comme à son habitude, Jodorowsky se propose de nous commenter son film. Toujours aussi passionnants et indispensables, les commentaires de l'artiste sont une étape obligée pour qui veut aller au bout de l'expérience du film. Force est de reconnaître cependant que le débit est moins soutenu qu'à l'ordinaire, Jodorowsky livrant moult anecdotes et digressions mais se montrant moins volontaire qu'à l'accoutumée à décortiquer la symbolique de ses propres images. En bonus, nous retrouvons (à l'instar de l'édition Fantoma) le documentaire LA CONSTELLATION JODOROWSKY de Louis Mouchet. Là encore un arrêt de qualité, que nous détaillons à l'occasion de notre chronique des suppléments de ce coffret français dédié à Jodorowsky.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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L'édition vidéo
FANDO Y LIS DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
4 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h37
Image
1.66 (4/3)
Audio
Spanish Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
      • FANDO ET LIS
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