Au début des années 70, le réalisateur italien Umberto Lenzi a déjà derrière lui une solide carrière de metteur en scène spécialisé dans les genres populaires. Il s'est tout particulièrement orienté vers le thriller à la fin des années 60, en s'inspirant des intrigues de Hitchcock ou de Clouzot pour des films tels que ORGASMO, SI DOUCES... SI PERVERSES, PARANOIA puis MEUTRE PAR INTERIM en 1971. A ce moment-là, la vague du Giallo consécutive au triomphe de L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL submerge les écrans italiens. Il est donc logique que Lenzi, dont la filmographie a presque toujours suivi les modes transalpines, se prête à cet exercice sans se faire prier : ce sera LE TUEUR A L'ORCHIDEE.
Toutefois, LE TUEUR A L'ORCHIDEE n'est pas qu'une production italienne. Il est conçu avec la collaboration du studio allemand Rialto, grand pourvoyeur de films populaires germaniques, en particulier de films policiers inspirés par les histoires de l'anglais Edgar Wallace tels que LA GRENOUILLE ATTAQUE SCOTLAND YARD, LA PORTE AUX SEPT SERRURES, LE NARCISSE JAUNE INTRIGUE SCOTLAND YARD ou L'ORCHDEE ROUGE (titre belge). Le titre de ce nouveau Giallo italien va alors savamment entretenir la confusion - il peut se traduire par "Sept orchidées tachées de rouge", et la promotion en Allemagne ira jusqu'à le rattacher fallacieusement à la série des Edgar Wallace. LE TUEUR A L'ORCHIDEE n'a pourtant guère de rapport avec cet écrivain...
Autre conséquence de la co-production, nous trouvons au générique quelques comédiens d'origine germanique, dont l'autrichienne Marisa Mell (L'ORCHDEE ROUGE, DANGER DIABOLIK) qui incarne ici deux soeurs jumelles, et l'allemande Uschi Glas, alors idole des ados teutons jouant régulièrement dans des "Edgar Wallace". Cette fois, elle tient le rôle de la jeune première Giulia. Pour le reste de la distribution, nous retrouvons quelques visages bien connus du cinéma Bis italien d'alors, tels que Pier Paolo Capponi (LE CHAT A NEUF QUEUES de Dario Argento) dans le rôle d'un détective de la police, Rossella Falk (8 1/2 de Fellini) interprète une femme internée dans un asile, Antonio Sabato (L'OEIL DE L'ARAIGNEE) joue Mario, le jeune héros de LE TUEUR A L'ORCHIDEE...
A Rome, une prostituée est retrouvée morte à quelques pas de son lieu de racolage. Plus tard, la police découvre le cadavre d'une peintre américaine dans son atelier. A priori, rien ne semble lier ces meurtres. Pourtant, les deux défuntes tiennent dans leur main un même médaillon en forme de croissant de lune. Quelques jours plus tard, Giulia, fiancée à Mario, un styliste renommé, échappe de peu à un assassinat apparemment connecté à cette affaire. Les deux tourtereaux pensent que l'assassin aurait fréquenté il y a quelques années un hôtel dont Giulia était la propriétaire...
Comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, Umberto Lenzi n'est plus un novice dans le domaine du thriller lorsqu'il tourne LE TUEUR A L'ORCHIDEE. Toutefois, ses précédentes incursions dans ce domaine s'inspirent avant tout de suspens paranoïaques et machiavéliques dans le style de SOUPCONS de Hitchcock, LES DIABOLIQUES de Clouzot et autres PLEIN SOLEIL. Il ne s'agit donc pas de Giallos au sens strict du terme. Avec LE TUEUR A L'ORCHIDEE, Lenzi se plie cette fois précisément aux règles du genre, en marchant notoirement sur les traces de SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN de Mario Bava ou de L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL de Dario Argento. Des meurtres de femmes ensanglantent Rome, l'action est ponctuée de séquences d'assassinat violentes, la police piétine lamentablement tandis que de jeunes gens vont s'improviser détectives à leurs risque et périls... Chapeau, imperméable, armes blanches : rien ne manque à cet exercice de style très classique !
Certes, la mise en scène s'avère moins inventive et virtuose que dans un film d'Argento ou de Bava Senior. Elle n'a pas non plus l'élégance technique qu'aurait pu lui imprimer un Sergio Martino. Mais Lenzi se rattrape par son récit qui adopte un rythme absolument trépidant. Les rebondissements et les révélations s'enchaînent sur un tempo endiablé, comme Mario bondit d'un lieu à un autre, d'un témoin à un indice, sans jamais s'arrêter pour reprendre son souffle. Le scénario ne se gène pas pour accumuler les coïncidences les plus excessives (soeurs jumelles, témoin à la mémoire vraiment excellente...), mais il s'avère habile dans la révélation progressive des motivation de l'assassin. Le tueur ne perd pas son temps non plus : il aligne à un rythme régulier les victimes, selon des modes de mises à mort variés et assez spectaculaires. Lenzi se laisse même aller à quelque excès gore, en particulier au cours d'un meurtre à la perceuse électrique aussi sec que brutal !
Cette recherche de la vitesse et de l'efficacité se fait parfois un peu trop sentir quand même, en particulier dans un dénouement trop vite expédié. Et, par ailleurs, le mélange de regard réactionnaire (la visite du squat hippie décadent...) et racoleur (... qui permet tout de même de caser quelques nudités !) peut donner un arrière-goût antipathique à cette production. Signalons au même titre une peinture du jeune couple Mario-Giulia qui ne flatte pas cette dernière, vraiment très cruche et totalement à la masse quand son mari n'est pas là pour lui expliquer quoi faire !
Mais, dans un film tel que LE TUEUR A L'ORCHIDEE, l'essentiel n'est pas là. Ici, Umberto Lenzi ne prétend en aucun cas révolutionner le Giallo à l'italienne. Il se prête juste de bonne grâce à cet exercice, travaillant tel un artisan méticuleux sur un modèle imposé, en prenant bien garde à ne jamais ennuyer le spectateur et à lui en donner pour son argent. Toutefois, LE TUEUR A L'ORCHIDEE ne connaîtra pas de sortie dans les salles françaises, et il faudra attendre l'ère de la vidéo pour qu'il atteigne notre territoire.
En DVD, LE TUEUR A L'ORCHIDEE avait déjà été distribué aux États-Unis par l'éditeur Shriek Show il y a quelques années. Le voici qui arrive en France dans la collection Giallo de Néo Publishing. Ce disque français propose une copie au format 2.35 (en 16/9) de bonne tenue. Certes, le grain est assez présent et des petits défauts d'état se font parfois sentir, mais l'on reste à un niveau technique très honorable pour une production "Bis" des années 70.
En bande-son, nous disposons d'une piste en italien (mono codé sur deux canaux) plutôt convenable, mais, malheureusement entachée d'un bruit de fond un peu trop présent (et ayant la particularité de sortir en stéréo !). Ne faisons pas trop la fine bouche, puisque ce disque est le seul à nous proposer la version italienne (le DVD zone 1, lui, ne propose qu'un doublage anglais). Cette piste italienne est bien entendue sous-titrée en français, et nous disposons, en plus, d'un doublage français mono d'honnête facture. Pour les suppléments, la moisson est plutôt maigre. Quelques filmographies de Lenzi ou de ses acteurs ainsi qu'une galerie de photographies et d'affiches italiennes sont tout ce que le spectateur aura à se mettre sous la dent. Sur ce point, le DVD américain faisait mieux en offrant une petite interview de Lenzi et un entretien avec l'actrice Gabriella Giorgelli.
Avec ce disque, Néo propose donc au spectateur français de découvrir dans des conditions techniques convenables un Giallo assez rare de par chez nous. Si nous n'aurions pas refusé une interactivité un peu plus fournie, saluons tout de même cette sortie, surtout dans ce domaine du cinéma italien presque totalement négligé par les autres éditeurs français.